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Nous risquons de perdre les juristes communautaires

Les dettes étudiantes empêchent les diplômés de travailler au sein de leur communauté.

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J’ai grandi dans le nord-ouest de Toronto, dans une communauté dynamique, remplie de grands-parents, d’immigrants et de cols bleus. Plusieurs d’entre eux étaient pauvres, comme ma famille. Mes parents avaient immigré au Canada d’El Salvador, alors ravagé par la guerre. Ils ont élevé deux filles, et nous ont appris, à ma sœur et à moi, à avoir de grands rêves et à aspirer à un avenir meilleur pour toutes les générations.

J’avais de grands rêves, car, malgré notre statut de ménage à faible revenu, je voulais aller à la faculté de droit et défendre les intérêts de ma communauté. J’ai pu constater personnellement à quel point les lois peuvent avoir des conséquences négatives sur les communautés marginalisées à bien des égards, qu’il s’agisse de droits des locataires, d’aide sociale, de droits dans le milieu de travail ou dans le domaine de l’immigration. J’ai fini par fréquenter la faculté de droit. Je voulais consacrer ma carrière à la justice sociale. J’étais loin de savoir le prix de la justice sociale et de l’ambition de vouloir changer les choses.

Les frais de scolarité des facultés de droit constituent un obstacle majeur pour de nombreux jeunes diplômés. Un récent rapport de la Société des étudiants et étudiantes en droit de l’Ontario (SÉÉDO) révèle que les frais de scolarité annuels à l’Université de Toronto s’élèvent à environ 36 000 dollars (pour un programme de trois ans). D’autres facultés de droit rattrapent leur retard. À l’Université d’Ottawa, mon alma mater, les frais de scolarité étaient d’un peu moins de 19 000 dollars par année en 2019-2020, selon le calculateur des droits universitaires. Ajoutez à cela le manque de logements abordables dans les zones urbaines, des services coûteux de garde d’enfants et de soins aux personnes âgées, et un marché juridique hautement concurrentiel. Tout cela brosse un sombre tableau de la réalité financière de nombreux diplômés des facultés de droit.

Comme beaucoup de juristes racialisées de première génération à faible revenu, je n’avais pas de filet de sécurité financière. J’ai réussi à obtenir un prêt bancaire, ce que je reconnais également comme un privilège, car de nombreux étudiants à faible revenu ne sont pas admissibles en raison de leur mauvaise cote de crédit ou d’autres obstacles. Il est également troublant de savoir qu’une grande partie de la classe ouvrière ne peut pas se permettre de payer les frais de scolarité qu’exigent actuellement les facultés de droit.

Pour prendre au sérieux le remboursement de mes prêts et finalement assurer ma stabilité financière, j’ai dû confronter un dilemme. Ma communauté ne pouvait se permettre de payer mes honoraires juridiques élevés, mais je ne pouvais pas non plus me permettre de les baisser davantage. La cruauté de l’ironie est devenue apparente lorsque je me suis rendu compte que je ne pouvais pas aider la communauté même qui avait inspiré mon parcours dans le domaine du droit.

C’est le legs des droits universitaires élevés, qui renforcent l’incapacité de la profession à répondre aux besoins juridiques des communautés marginalisées et locales. En tant que membres de la profession juridique, nous voulons encourager l’exercice du droit communautaire en raison des compétences culturelles, lesquelles ne peuvent pas être enseignées dans les facultés de droit, que possèdent les juristes. La compétence culturelle est un élément essentiel d’un service à la clientèle efficace et les membres de la communauté sont les mieux placés pour répondre à ces besoins juridiques.

Voilà pourquoi nous devons nous attaquer aux problèmes du coût de la vie et de la dette des études à la faculté de droit. Le fardeau financier pour les juristes comme moi ne nous donne pas d’autre choix que d’aller ailleurs pour payer nos factures. En fin de compte, ce sont les gens ordinaires de la communauté et le grand public qui en sortent perdants.