Quel sort attend l’ACEUM en pleine guerre commerciale?
La conclusion prochaine d’un accord trilatéral de libre-échange amène les juristes canadiens spécialisés en droit commercial à se demander si les choses avancent malgré le terrain miné inconnu instauré par Donald Trump

À la signature du nouvel accord de libre-échange avec le Canada et le Mexique en 2018, le président des États-Unis Donald Trump l’a salué comme une « victoire colossale » qui mettait fin au « cauchemar de l’ALENA ».
« On dit que c’est le meilleur accord commercial jamais conclu », a-t-il dit de l’accord commercial, appelé au Canada comme l’Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM).
Récemment, toutefois, alors qu’il s’adressait à des journalistes dans le Bureau ovale et déplorait ce qu’il décrit comme un déficit commercial injuste avec le Canada, son ton a changé.
« J’examine certaines des ententes conclues et je me demande qui a bien pu les signer. Elles sont tellement mauvaises. »
Au cours des premières semaines de son mandat, Donald Trump devait imposer des tarifs de 25 % sur presque tous les produits canadiens et un tarif de 10 % sur le pétrole et le gaz.
Son décret indiquait que [traduction] « la circulation de drogues illicites, dont le fentanyl » aux États-Unis depuis le Canada et le Mexique était une « urgence nationale et un problème de sécurité à la frontière ».
Quelques heures avant leur entrée en vigueur, le discours musclé de M. Trump s’est volatilisé et il a consenti à une pause de 30 jours sur les tarifs, acceptant les propositions de patrouille à la frontière déjà annoncées par le Mexique et le Canada, tout en ajoutant deux conditions : soit que les deux pays suivent l’exemple des États-Unis pour désigner les cartels de la drogue comme des terroristes et nommer des « tsars du fentanyl ».
Monsieur Trump a ajouté une autre condition à la pause tarifaire, affirmant que la période de 30 jours avait pour but de « vérifier si un accord économique définitif avec le Canada peut être conclu ».
Une semaine plus tard, il a annoncé des tarifs de 25 % sur toutes les importations d’acier et d’aluminium de tous les pays, y compris le Canada, sans exception ni exemptions. Il a également songé à un tarif supplémentaire sur les voitures fabriquées au Canada, lequel pourrait atteindre de 50 % à 100 %.
« La plupart des commentateurs seraient d’accord pour dire que l’imposition de tarifs comme celui-ci contrevient à l’ACEUM », dit John Boscariol, chef du groupe du droit du commerce et de l’investissement international de McCarthy Tétrault et membre du Groupe de travail de l’Association du Barreau canadien sur l’ACEUM.
« Donald Trump ne respecte pas l’ACEUM. »
Il se demande si le président trouvera d’autres raisons de renouveler les tarifs après la période de 30 jours.
« C’est difficile de bien comprendre ce qui inquiète M. Trump », dit Me Boscariol. « Un jour, il dit une chose, le lendemain, c’est autre chose. Les États-Unis sont prêts à brandir l’épouvantail des tarifs devant les Canadiens pour obtenir ce qu’ils veulent, tant en ce qui concerne la politique commerciale ou de l’immigration que les drogues illicites. »
Le contexte est chaotique et l’examen conjoint de l’ACEUM par les trois signataires approche. Il doit commencer cet été, mais étant donné l’imprévisibilité actuelle, les juristes du Canada spécialisés en droit commercial se demandent quelle direction prendront les événements avec l’accord commercial trilatéral.
La loi américaine de mise en œuvre de l’ACEUM exige que le Bureau du représentant américain au Commerce (Bureau américain) entame des consultations publiques 270 jours avant le 1er juillet 2026, la date de début des négociations, ce qui correspondrait au mois d’octobre prochain.
Toutefois, le président Trump met ce processus sur la voie rapide avec un autre décret imposant le 1er avril comme date limite pour que le Bureau américain fasse rapport de ses recommandations sur la participation des États-Unis à l’ACEUM.
Brenda Swick, une associée du groupe du commerce international de Cassels, pense que Donald Trump s’empresse de commencer les négociations de l’accord parce qu’il sait que son parti perdra probablement le Sénat ou la Chambre des représentants aux élections de mi-mandat de 2026, ce qui freinera l’adoption de ses politiques.
« Je crois que nous assistons d’une certaine façon à la renégociation de l’ACEUM en temps réel », pense Me Boscariol.
Selon Lawrence Herman, un ancien diplomate canadien, avocat chez Herman & Associates et membre senior de l’Institut C.D. Howe, avec autant d’incertitude, le processus d’examen de l’ACEUM, qui est « plutôt ordonné, mais pas particulièrement bien défini » ne sera pas le processus principal.
« On parle d’une renégociation à grande échelle et nous ne savons pas quelles seront les exigences des États-Unis », dit-il.
« Je pense que leurs exigences seront très lourdes, y compris la gestion de l’offre, l’accès aux banques, la taxe sur les services numériques et toute une gamme d’autres éléments que les Américains n’aiment pas. »
Me Herman demande qu’un envoyé spécial expert des questions commerciales et possédant de fortes habiletés politiques négocie avec Washington. Il propose notamment le nom des anciens premiers ministres provinciaux Brad Wall, Jason Kenney et Jean Charest, tout comme celui de l’ancien premier ministre fédéral Stephen Harper.
On ne peut pas faire fausse route grâce aux habiletés et autres connaissances. Bien que Donald Trump soit obligé de respecter les lois américaines autorisant l’ACEUM, Me Swick dit qu’il recourra à des tactiques agressives de promoteur immobilier dans ses négociations commerciales.
« On est en présence d’un président des États-Unis investi des pouvoirs nécessaires qui ne respecte ni les règles ni les normes. Même si le Canada dispose d’excellentes positions de négociation, il aura comme réponse : “vous n’avez qu’à intenter des poursuites si vous n’êtes pas contents”. »
Me Boscariol est d’avis que le gouvernement canadien se doit de garder la « tête froide » lorsqu’il négocie avec cette administration. Toutefois, le fait que le Canada ait des alliés américains dans les domaines de la circulation du pétrole et du gaz et du secteur automobile, compte tenu des chaînes d’approvisionnement tripartites en vertu de l’ACEUM, est un avantage. Il est aussi d’avis que le Canada a le soutien d’entreprises américaines, au Congrès, au Sénat et dans les États où le commerce avec leur voisin du nord est important.
« Je crois qu’une partie de la stratégie de négociation du Canada est de s’assurer d’avoir ces alliés qui, avec un peu de chance, influenceront l’administration Trump dans ce processus. »
Me Boscariol rappelle que la Politique énergétique nationale du Canada des années 80, alors que le pétrole était vendu à 35 $ le baril, comprenait une taxe à l’exportation de 8 $ le baril sur le pétrole expédié aux États-Unis. Selon lui, les États-Unis étaient disposés au libre-échange avec le Canada à l’époque parce qu’ils se soustrayaient aux barrières commerciales du type de cette politique.
« Ils voulaient avoir accès à nos ressources et je crois que ces intérêts existent toujours, peu importe les propos de Donald Trump sur le fait que les États-Unis sont en mesure de pourvoir à leurs propres besoins énergétiques. »
Cela dit, le Bureau américain a été chargé de faire rapport sur les pays avec lesquels les États-Unis peuvent négocier des accords bilatéraux ou sectoriels afin d’avoir accès au marché de l’exportation.
Par exemple, le Pacte de l’automobile entre les États-Unis et le Canada est un accord sectoriel remontant aux années 60. Une nouvelle entente sectorielle entre les États-Unis et le Canada pourrait exclure le Mexique, dont les usines sont une cible fréquente de Donald Trump, pour que plus d’automobiles soient construites aux États-Unis.
« Disons que les Américains exigent un pacte de l’automobile et que le Canada doive accepter », dit Me Swick.
« Si Trump obtient ces changements unilatéralement, sans passer par l’ACEUM, il pourrait ne pas obtenir toutes les concessions qu’il souhaite. »
Selon elle, Donald Trump veut négocier en dehors de l’accord tripartite, étant donné la brève fenêtre avant les élections de mi-mandat de 2026.
L’ACEUM expirera en 2036. Le programme pour les négociations de renouvellement de juillet 2026 exige que les trois pays s’entendent sur une prolongation de 16 ans jusqu’en 2042.
« Cependant, les États-Unis vont probablement suspendre leur approbation pour forcer une renégociation partielle de certains engagements », selon Me Swick, y compris des modifications à l’industrie de l’automobile, aux règles d’origine ou aux nouvelles restrictions concernant les entreprises chinoises.
« Cette fois-ci, l’administration des États-Unis est différente. Il s’agit d’une administration plus arrogante qui fait fi des règles ou de la position de négociation du Canada. C’est une position de type “à prendre ou à laisser. Je vais avoir ce que je veux”. »