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Démanteler les barrières invisibles

Folami Jones en quête perpétuelle d’une justice équitable.

Folami Jones
Manani Jones

Mon père, le Dr Burnley « Rocky » Jones est né le 26 août 1941 à Truro (Nouvelle-Écosse). Il a grandi dans une famille hautement matriarcale, avec ma grand-mère, Willena Jones, à la tête d’une maisonnée de sept filles et trois garçons. Cela n’enlève en rien au rôle joué par mon grand-père, Elmer Jones. C’était un homme discret et stable qui n’a jamais manqué un jour de travail, s’est battu pendant la Seconde Guerre mondiale et a ensuite travaillé au bureau de poste. Truro était une ville où sévissait une solide ségrégation. Il a souvent parlé des différentes « règles » applicables aux Noirs et aux Blancs et de l’importance de l’éducation comme pilier de notre liberté.

Que ce soit le dimanche après-midi ou le mardi soir, je trouvais toujours mon père étendu sur le canapé, un livre entre les mains pendant des heures. Il se plongeait dans les écrits de Thomas Sankara, Frantz Fanon, Kwame Ture et Kwame Nkrumah. Il lisait des poèmes comme The Cremation of Sam McGee de Robert Service, ou des guides de pêche de Terre-Neuve-et-Labrador. Sa bibliothèque était un hommage au mouvement des droits civiques et contenait des souvenirs de la vie d’un homme noir en milieu rural en Nouvelle-Écosse. Des insignes des Black Panther, des lettres de délégués internationaux, des moulinets et un appelant à orignal étaient des objets communs dans son bureau. Naturellement, s’y trouvait aussi une bonne bouteille d’Havana Club pour ses amis du vendredi soir et un vieux jeu de cartes pour une partie de poker entre amis. C’était un homme dont le vécu était riche, qui avait de nombreux amis et n’oubliait jamais son foyer. Il était fier d’être de la Nouvelle-Écosse, un homme noir né et élevé dans le « marrais » à Truro.

Il s’est heurté à de nombreuses barrières invisibles, mais a toujours tenté de percer de nombreux murs érigés par le racisme. Ses efforts inlassables révélaient invariablement une faille. Il était occupé, toujours impliqué dans un projet ou un autre, que ce soit un groupe de réflexion, un mouvement social ou une médiation communautaire. Il n’a jamais cessé de travailler pour le mieux-être des autres. Une sortie avec mon père pouvait se terminer au cœur d’une manifestation ou bien à la table de quelqu’un à écouter pendant des heures les débats et les discussions parfois animées. Ou au bord de l’eau en train de préparer vos cannes à pêche et à mettre le bateau à l’eau pour aller taquiner le maquereau. Quel que soit le déroulement de la journée, elle regorgeait d’enseignements dont je ne comprendrais la véritable portée que plus tard, une fois devenue adulte; enseignements qui ont profondément aidé à faire de moi la personne que je suis aujourd’hui.

Mon père me l’a toujours dit : si tu vois que quelque chose ne va pas et que tu ne fais rien pour défendre ce qui est juste, tu fais partie du problème. C’est peut-être pour ça j’ai fini par suivre des études au programme juris doctor après avoir étudié pour devenir infirmière, puis sage-femme et fait une maîtrise en apprentissage continu (moins la thèse). Pour être pionnière, il faut une résilience ancrée dans une soif du changement et un désir de s’attendre à mieux.

Mon père percevait les disparités au sein de sa communauté : la représentation excessive des Néo-Écossais africains dans le système judiciaire et la quasi-absence de représentation des juristes noirs. Alors, qu’a-t-il fait? Il a lancé une initiative pour appuyer les étudiants autochtones noirs et Mi’kmaq qui suivaient des cours à la Faculté de droit Dalhousie il y a 30 ans; une faculté qui a décerné plus de 200 diplômes à des étudiants et étudiantes issus de ces communautés. Je suis également une fière étudiante liée à cette initiative et, bien que les obstacles posés par le racisme demeurent très difficiles à franchir, des initiatives telles que celle-ci sont les mécanismes qui facilitent la tâche.

Quand les gens me disent : « oh, vous allez être pareille à votre père », je plie sous l’humilité. Dr Burnley « Rocky » Jones était un héros, et un homme courageux qui ne s’est jamais plaint face à l’injustice. C’est pour moi un honneur que d’être sa fille. Pourtant, je suis une femme. Une femme ancrée dans ma propre réalité où la révolution se fait dans ma distinction en tant qu’être féminin.

Je suis une Néo-Écossaise africaine dont les cheveux sont crêpés et volumineux, prenant toute leur place dans les salles du conseil, les prétoires et les chambres parlementaires. Parfois, ma jupe frôle l’homme à mes côtés, laissant derrière elle les effluves divers du succès et, oserai-je le dire, ma peau brune est symbole de radieuses transformations. Le désir d’équité est palpable au sein de la profession juridique alors que l’emploi viable et l’égalité des opportunités deviennent essentiels pour une culture en pleine évolution.

De nombreux cabinets qui depuis toujours employaient principalement des hommes blancs sont aux prises avec les modalités du soutien de la mise en œuvre de la diversité et de l’inclusion au sein de leur structure organisationnelle. Quelques cabinets ont commencé à adopter ces améliorations et je suis fière de dire que le cabinet McInnes Cooper a embrassé le défi et m’a accueilli en son sein en qualité d’étudiante et stagiaire.

La mise en œuvre de l’équité et de l’inclusion exige une attention approfondie et une évaluation critique de l’efficacité. Cela m’amène à espérer un jour constater que ces barrières invisibles que mon père essayait de démanteler ont cessé d’exister, et que des femmes très diverses dirigeront l’Association du Barreau canadien, comme c’est le cas de Vivene Salmon, dont la présidence est une grande première en 123 ans d’existence de l’Association.

Que cela signifie-t-il pour l’avenir du droit canadien? Je dirais, une myriade de différences, reliées par une demande unifiée de justice équitable et une profession qui reflète directement une plus vaste source d’expérience et de savoir.

Mon appelant à orignal et mes insignes des Black Panther sont bien là, au fin fond de mon sac à main, rempli des outils d’hier pour bâtir la magistrature de demain.