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Possession de NFT : quels sont les enjeux juridiques?

Les jetons non fongibles ont beaucoup retenu l’attention des médias; les juristes devront surveiller ce phénomène de près.

Bored Ape
Photo de Markus Spiske sur Unsplash

Le cofondateur de Twitter, Jack Dorsey, a vendu un jeton non fongible, ou JNF, pour près de trois millions de dollars américains; un jeton du tout premier gazouillis qu’il a publié. Charmin a succombé à la tendance en mettant aux enchères des œuvres d’art ayant pour thème son papier hygiénique non fongible afin de réunir des fonds pour un organisme de bienfaisance. Il semblerait que quiconque paraît dans le magazine People, fait métier d’influenceur ou même s’appelle Justin Bieber cède à l’hystérie des JNF.

Mais pourquoi cet engouement? Et que dit le droit concernant la possession de ce nouvel actif numérique?

Les JNF peuvent être attrayants et rentables pour les créateurs et les artistes, qui sont ainsi dispensés de passer par une galerie ou un négociant. Ils peuvent à la place vendre les droits sur une œuvre directement sous forme de JNF, ce qui leur permet de conserver une plus grande part des profits en éliminant les intermédiaires. Un interprète bien connu pourrait faire beaucoup plus d’argent avec un JNF de son tout premier enregistrement que ce qu’il percevra de Spotify sur des décennies…

Les artistes au Canada ne reçoivent généralement aucune redevance sur la revente de leur œuvre. Avec un JNF, ils peuvent exiger un droit d’auteur automatique et ainsi percevoir un pourcentage du prix de revente, généralement sous forme de cryptomonnaie.

À l’instar de la cryptomonnaie, les JNF sont stockés sur une chaîne de blocs, le plus souvent Ethereum, dont la monnaie est l’ether.

Comme les chaînes de blocs sont chiffrées et distribuées en plusieurs copies sur de multiples ordinateurs ou systèmes, elles sont difficiles à pirater ou à compromettre.

Toutefois, même si les cryptomonnaies (bitcoin ou ether, par exemple) sont fongibles, comme la bonne vieille monnaie fiduciaire ordinaire, les JNF, eux, ne le sont pas. Chaque JNF a une signature numérique qui lui est propre, donc deux JNF n’auront pas la même valeur.

Un JNF est généralement créé, ou « miné », pour un objet numérique représentant à la fois un élément matériel et les droits immatériels codés dans le jeton.

Les éléments matériels inclus dans le JNF, ou qui lui sont liés, comprennent des œuvres d’art, des photos, de la musique, des vidéos, des articles de créateur, par exemple des souliers, des avatars ou même un gazouillis, comme celui de Jack Dorsey. La seule limite est sans doute l’imagination du mineur. Et il n’est peut-être même pas nécessaire d’avoir un élément matériel — après tout, un gazouillis est léger comme l’air.

Je pourrai miner un JNF pour ma première voiture à vie, même si c’était une épave il y a des décennies et que tout ce qu’il me reste est une photo… Tout ce que j’ai à faire, c’est de trouver quelqu’un d’assez crédule pour accepter d’acheter un JNF lié à cette photo et au fait qu’il s’agisse de ma toute première voiture (ou du moins, c’est ce que je lui ferais croire). Le prix de revente d’un JNF dépend de ce que l’acheteur est prêt à payer.

Les JNF permettent de vendre des séries limitées qui, en quelque sorte, se distinguent des autres éléments de la même collection. Par exemple, il y a la série du Bored Ape Yacht Club, qui compte 10 000 dessins de singes qui s’ennuient, chacun étant unique et numéroté. Tous les dessins ont été vendus, mais il y a un marché secondaire actif de mises aux enchères et de revente.

Justin Bieber a récemment acheté son deuxième singe qui s’ennuie pour 470 000 $, après avoir payé 1,3 million pour son premier; peut-être a-t-il eu un rabais sur son deuxième achat? Il ne lui en manque que 9 998…

Légalement parlant, il peut y avoir au plus trois parties en cause dans une transaction impliquant un JNF : le créateur de l’œuvre ou objet original, le mineur et l’acheteur.

Le créateur, ou propriétaire original peut détenir un droit d’auteur et des droits moraux sur l’œuvre, avoir transféré ceux-ci ou y avoir renoncé, ou ne jamais les avoir acquis. Il peut être ou non le mineur du JNF.

Les droits sur les JNF seront énoncés dans un contrat intelligent sur la plateforme de chaînes de blocs. Pour obtenir le titre sur le JNF, son acheteur doit généralement accepter les modalités du contrat et procéder au paiement de la façon prévue. Comme le JNF reste lié à la chaîne de blocs et au contrat intelligent, les transactions ultérieures sont habituellement régies par le contrat ou le code inscrit dans le JNF.

On pourrait établir une analogie entre le contrat intelligent et une machine distributrice. Lorsque vous approchez de la distributrice, vous voyez ce que vous pouvez acheter (si la marchandise est encore disponible, bien entendu). Si vous voulez quelque chose, vous insérez le montant correspondant au prix de l’article (élément fongible) dans la machine et appuyez sur un bouton pour faire votre choix. La machine « sait » que vous avez mis le bon montant et exécute un code de type « si-alors », courant en informatique et élément clé d’un contrat intelligent type. SI vous insérez le bon montant et appuyez sur un bouton, ALORS la machine vous « distribue » l’article sélectionné.

Mais les questions de droit peuvent devenir complexes. Les droits sur un JNF acquis par un acheteur peuvent exclure les droits sur l’objet ou l’œuvre physique. Dans ce cas, l’acheteur n’acquiert que les droits spécifiés et accordés pour le JNF définis dans le contrat intelligent.

L’artiste a peut-être vendu la totalité ou une partie de son droit d’auteur. Ou il pourrait conserver les droits moraux, s’il n’y a pas renoncé. Dans ce cas, est-ce que le recours au JNF porte en quelque sorte atteinte à ces droits moraux? Le JNF lui-même pourrait ne même pas être assujetti au droit d’auteur. Après tout, il ne s’agit pas de l’œuvre en tant que telle, mais de données d’un code numérique qui, habituellement, n’est pas généré par une personne, mais plutôt par un processus informatique, et stocké sur une chaîne de blocs. Le JNF entre-t-il même dans la définition d’œuvre au sens de la Loi sur le droit d’auteur?

Le mineur n’a peut-être même pas le pouvoir de disposer de l’œuvre originale. Quel recours aurait alors l’acheteur s’il n’obtient pas ce qu’il a acheté? Et si une marque de commerce était utilisée sans autorisation dans une annonce de promotion d’un JNF?

Nous n’en sommes encore qu’aux premières années des actifs et droits reposant sur la technologie des chaînes de blocs. Mais à mesure qu’augmentera le nombre de transactions et d’échanges commerciaux par chaînes de blocs et contrats intelligents, il faudra prévoir l’imprévisible et faire face à de nombreuses conséquences inattendues.