Optimisme chez les dirigeants de cabinets
Mais le risque d'une deuxième vague de COVID-19 demeure bien réel.
Après avoir été ballottés par les vagues de l’incertitude pendant les premiers mois de la pandémie, les cabinets juridiques canadiens de moyenne et grande taille portent désormais leur attention sur 2021. Alors que le travail reprend dans la plupart des secteurs, nombreux sont ceux qui constatent un accroissement de l’activité dans le secteur des fusions et acquisitions, de l’insolvabilité, et des projets d’infrastructure alors même que l’état de santé de l’économie n’est pas encore stabilisé.
Les dossiers qui ont permis à un grand nombre de cabinets de rester actifs au début de l’arrêt de l’économie, relativement à l’emploi, l’immobilier et le contentieux, continueront à s’accumuler. On discerne aussi des signes de vie côté litige, en droit des affaires et dans des domaines d’exercice connexes à la lutte contre les changements climatiques ou encore à la diversification économique entamée par l’Alberta.
« Je pense que le volume des travaux qui nous ont permis de continuer à exercer pendant la pandémie va augmenter », dit Christopher Hirst, associé directeur dans le cabinet Alexander Holburn Beaudin + Lang LLP, qui cite le droit des testaments et successions et le droit de l’emploi, mais aussi une récente augmentation importante de son travail dans le domaine des actions collectives. « Nous constatons aussi une augmentation surprenante du travail connexe à la cybersécurité », dit Me Hirst. « L’augmentation des fraudes et autres hameçonnages dans tous les domaines de l’économie alimente travail dans ce domaine. »
Au fil du retour des clients dans l’économie, les travaux axés sur les fusions et acquisitions et sur les valeurs mobilières sont également en hausse, dit Me Hirst.
Maria Scarfo, associée directrice du cabinet Blaney McMurtry, reconnaît que le cabinet a senti les répercussions de la pandémie. Malgré tout, « il y a eu plus de peur que de mal », dit-elle. « Le groupe spécialisé en droit de l’emploi et du travail devrait continuer à être occupé, ainsi que les juristes qui travaillent sur des dossiers d’insolvabilité et de restructuration, le groupe spécialisé dans les couvertures d’assurance et toute personne qui participe au refinancement. Sauf toute autre surprise, le rythme devrait rester stable... »
Ceci dit, c’est ce que nous ne savons pas qui continue à inquiéter Me Scarfo.
« Ce qui m’effraie, c’est si une deuxième vague conduit à une interruption des affaires beaucoup plus importante », dit-elle. « Pour le moment, il est impossible de dire si elles vont ralentir, s’il va y avoir une importante récession ou même quelque chose qui s’apparenterait à une dépression. Personne ne peut le dire. Cela pourrait aussi être une reprise éclair. »
Dans le cabinet WeirFoulds, Wayne Egan, associé directeur, seulement 15 % des juristes travaillant du bureau en ce moment. Il s’inquiète du fait que les gens continuent à travailler de manière isolée.
« La bonne nouvelle pour nous, c’est que nous sommes restés occupés. Nous continuerons à axer notre attention sur le litige, le droit municipal, les fiducies et successions, le droit de la construction, l’immobilier commercial et la location, les capitaux propres et les valeurs mobilières du point de vue des sociétés, et notre pratique générale en matière de réglementation », dit-il.
Toutefois, il faut maintenir la culture du cabinet en l’absence d’interactions en personne.
« De manière générale, la difficulté est de faire en sorte que les gens continuent à participer malgré l’absence de contacts personnels », dit Me Egan. « Vous devez faire l’effort d’utiliser le téléphone et de ne pas toujours vous fier uniquement aux textos et aux courriels. »
Approche de la gestion des clients
Les clients, eux aussi, font face à l’inconnu, et cela change la manière dont les cabinets traitent la gestion des clients et la structure des honoraires.
« Je pense que l’économie canadienne va être durement touchée pendant un ou deux ans, et nous nous attendons à ce que les clients exigent une valeur accrue et des services à la clientèle plus importants, nous allons donc vivre des pressions sur ce front », dit Me Hirst.
Selon Jeffrey Cohen, l’associé directeur du cabinet Torkin Manes, le cabinet basé à Toronto a décidé très tôt de ne pas adopter une attitude rigoriste quant à la perception des honoraires. Il a plutôt encouragé les clients à le tenir au courant, même si cela signifiait un plus grand nombre de conversations pour demeurer au courant de ce qui se passait dans les entreprises de leurs clients.
« Il ne s’agit pas uniquement de toujours avoir un revenu ou un profit le plus élevé possible. Il s’agit, au fond, des solides relations que nous entretenons avec les clients », dit Me Cohen.
Qui plus est, les réalités de la conjoncture commerciale actuelle forcent à envisager la prestation et la gestion du travail selon des paramètres différents, dit Anik Trudel, chef de la direction dans le cabinet Lavery de Billy, à Montréal.
« Nous vivons une époque où il y a plus de questions que de réponses », dit Me Trudel. « Nous devons vraiment repenser plusieurs dimensions de notre modèle d’entreprise [...]. L’une des choses qui me semblent de plus en plus évidentes, c’est que nous ne pouvons pas travailler en silo et nous devons communiquer avec les clients et comprendre leurs besoins en cette période de crise. »
Un cabinet à l’épreuve de la récession
S’il y a eu un domaine d’exercice à toute épreuve pendant toute la pandémie, c’est bien le droit du travail et de l’emploi.
« Le volume de travail qui entre continue à être stable. La différence réside dans sa nature, qui diffère un peu alors que les employeurs sont de plus en plus nombreux à reprendre leur activité », dit Carolyn Kay, une associée principale dans le cabinet Hicks Morley Hamilton Stewart Storie et membre du comité de direction du cabinet. « Le travail lié aux audiences qui avait été interrompu pendant le premier trimestre de la pandémie est maintenant mis au rôle. Nous prévoyons un automne très occupé en ce qui concerne toutes les audiences à distance. »
Wendy Hulton, une associée dans le cabinet Dickinson Wright à Toronto, exerce dans deux domaines du droit à égalité : le droit de l’emploi et le droit de la réglementation axé sur le droit de la santé. Elle travaillait sur des questions d’actualité liées à la COVID-19, y compris l’aide apportée aux sociétés canadiennes pour traiter avec leurs installations aux États-Unis.
Le travail reprend de plus belle dans toutes les sphères, dit Me Hulton. « Il y a eu un ralentissement pendant un moment dans celle des fusions et acquisitions, mais le rythme reprend pour tous les domaines et de nouvelles opportunités s’ouvrent dans tous les secteurs traditionnels. Dans ceux de l’immobilier et de la technologie, les gens font comme si les affaires avaient désormais repris leur cours habituel. »
Les grands cabinets nationaux comme Blake, Cassels & Graydon ont également constaté que leurs groupes spécialisés en droit du travail et de l’emploi et dans les contentieux étaient occupés en mars. Ils constatent aujourd’hui une activité accrue dans ses autres domaines.
« Au départ, nous avions un bon inventaire de dossiers de transactions et de contentieux. Nous anticipions un très bon premier trimestre avec beaucoup de travail », dit Me Bryson Stokes, associé directeur dans le cabinet Blakes. « Heureusement, cela a continué en grande partie. Manifestement, avec ce qui s’est passé dans les tribunaux, certains de ces travaux ont un peu ralenti, mais cela n’a été que de courte durée en ce qui concerne les contentieux. Un certain nombre d’ententes ont été retardées, mais honnêtement, pour nous la plupart se sont concrétisées selon une chronologie juste un peu différente. Et puis, nous avons fait face à un nouvel ensemble d’enjeux liés à la pandémie de COVID-19. »
Maître Stokes dit que les sociétés de financement par capitaux propres ont recherché des possibilités d’investissement, et que dans les domaines de la restructuration et de l’insolvabilité ses avocats se trouvent confrontés à de nouveaux enjeux. Le travail connexe à la pandémie dans les domaines des sciences de la vie et des métaux précieux tient aussi les juristes du cabinet bien occupés.
« Les domaines de la technologie et de la biotechnologie prospèrent et ces sociétés recueillent des fonds au moyen de premiers appels publics à l’épargne (PAPE) », dit-il. « Alors nous constatons une reprise de ce secteur tant du point de vue du savoir-faire dans ces deux domaines qu’au point de vue des valeurs mobilières dans les marchés de capitaux ».
Les avantages de la diversification
Les cabinets diversifiés tels que Torkin Manes sont d’avis que le litige et le droit des sociétés, deux secteurs qui ont beaucoup souffert, commencent à voir des signes de reprise des activités se rapprochant des niveaux historiques. Cependant, ils « ont quelques difficultés » causées par le manque d’accès au système judiciaire.
Maître Cohen dit qu’il s’était préparé pour une diminution plus importante des revenus qui ne s’est pas produite.
« Nous avions également anticipé que nous constaterions un retour à une situation relativement normale en septembre. Le déclin a été loin d’être aussi important que prévu, mais la période sur laquelle on peut prévoir une diminution des revenus s’est étalée sur une période plus longue. Donc, rien de dramatique et de manière générale, la situation est loin d’être aussi mauvaise que nous envisagions. »
Secteurs des mines et de l’énergie
L’énergie et les ressources naturelles sont des secteurs importants pour des cabinets tels que Lavery, particulièrement depuis que la valeur de l’or et autres métaux s’est accrue.
« Nos avocats ont été très occupés auprès des sociétés de prospection qui ont réussi à trouver un financement. Cependant, celles qui en sont à l’étape du développement et de la production ont également été à la recherche de projets et ont effectué des acquisitions. Nous pensons que la tendance va se poursuivre tant que le prix des matériaux de base va continuer à augmenter », dit Me Trudel.
« Le secteur des énergies renouvelables a également été actif et cela devrait augmenter alors que nous modifions nos comportements », dit Me Trudel. « Éventuellement, l’économie va aussi reposer sur les projets de construction et d’infrastructure. »
Pat Maguire, vice-président du cabinet Bennett Jones et associé directeur de son bureau de Calgary, affirme que le cabinet a également été occupé dans le domaine minier, car l’or demeure un métal très recherché. Le cabinet a aussi constaté une croissance du nombre de ses dossiers de fusion et acquisition dans le secteur pétrolier et gazier avec les consolidations d’entreprises qui ont lieu.
L’infrastructure civile, les énergies renouvelables, l’hydrogène et les technologies mises en avant par les changements climatiques et les réductions des émissions sont autant de domaines dans lesquels le cabinet s’attend à voir une plus grande activité liée aux investissements.
« L’économie de l’Alberta a la chance de posséder un très grand nombre de personnes talentueuses du point de vue technique, un capital créatif et des personnes favorables à la prise de risque, et nous sommes bien placés pour faire partie de cette évolution… », dit Me Maguire.
Répercussions de la COVID sur le droit de la famille
Pour le cabinet Harper Grey à Vancouver, c’est le groupe axé sur le droit de la famille qui a été bien occupé, selon l’associé directeur Jonathan Meadows.
« Les gens étant à la maison et sans travail, cela a généré une hausse marquée du volume de ce genre de travail. Certains de nos juristes ont plus de travail qu’avant », dit Me Meadows.
« Les dossiers en assurance et en droit de la santé reprennent aussi », dit-il. « Parce que nous représentons les clients en défense, nous dépendons largement de ce que font les cabinets qui représentent principalement les demandeurs. Je pense qu’on peut voir que ces cabinets recommencent à déposer des demandes, mais au départ le nombre de ce genre de dossier avait considérablement diminué. »