Rétablir l’équilibre en matière de droit d’auteur
Les droits devraient revenir à l’auteur ou à l’auteure une fois leur œuvre retirée du commerce.
Le droit d’auteur est généralement perçu comme un équilibre entre les intérêts des parties créatrices et ceux des parties utilisatrices qui vise à promouvoir l’intérêt public général. Comme l’a écrit la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Théberge de 2002, l’atteinte d’un juste équilibre reconnaît les droits de la partie créatrice et tient dûment compte de leur caractère limité.
Six mois se sont écoulés depuis que l’Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM) a prolongé de 20 ans la durée normale de la protection du droit d’auteur au Canada, la portant à 70 ans après le décès de l’auteur ou de l’auteure.
Il n’y avait pas de déséquilibre apparent dans le régime des droits d’auteur que la modification visait à modifier. Dans le cadre de son examen législatif de la Loi sur le droit d’auteur achevé en 2019, le Comité permanent de l’industrie et de la technologie (INDU) de la Chambre des communes n’a pas formulé de recommandations en ce sens. Au lieu de cela, cette prolongation semble avoir été une monnaie d’échange dans une négociation commerciale.
Nous pouvons débattre des mérites de l’accord, mais le résultat a sans aucun doute perturbé l’équilibre des droits d’auteur. Pour le rétablir, il faut envisager l’introduction d’ajustements compensatoires. La détermination des parties prenantes qui ont pu bénéficier de cette perturbation et de celles dont les intérêts ont pu être lésés pourrait fournir des indications sur les mesures correctives à entreprendre.
Les intérêts des entreprises américaines, qui cherchent à protéger leurs biens les plus précieux protégés par le droit d’auteur, ont été à l’origine de sa prolongation. Mais malgré le caractère crucial de cette décision vis-à-vis de nos relations avec notre plus grand partenaire commercial, les motifs qui ont poussé les négociateurs canadiens à accepter d’appliquer cette prolongation à toutes les œuvres protégées, quel que soit leur potentiel commercial, demeurent nébuleux. Nous réserverons cette discussion pour un autre jour.
Le domaine public est la partie prenante la plus touchée par cette prolongation. Lorsqu’une œuvre est publiée, le ou la titulaire des droits bénéficie de la protection légale du droit d’auteur. En retour, le public se voit octroyer l’accès constant à ces œuvres. Cet avantage commence à la publication et subsiste pendant toute la durée de la protection du droit d’auteur, tant que l’œuvre est disponible dans le commerce et après son retrait de celui-ci. Ce processus se poursuit jusqu’à ce que la période de protection du droit d’auteur prenne fin et que l’œuvre tombe dans le domaine public.
Du point de vue du public, toute prolongation de la durée du droit d’auteur ne fait qu’exacerber les difficultés relatives à l’accès aux œuvres protégées par le droit d’auteur, mais retirées du commerce, et à leur préservation en vue de leur utilisation après leur entrée dans le domaine public.
Quant aux parties créatrices, il semble douteux que l’on puisse réellement croire qu’une prolongation de 20 ans de la protection des droits d’auteur puisse les inciter davantage à créer de nouvelles œuvres.
De toute évidence, ce sont les éditeurs qui en bénéficient en gagnant 20 ans de revenus supplémentaires sur une infime partie des œuvres protégées qui ont encore une valeur commerciale. Mais en réalité, en plus d’être obtenu au détriment de l’accès du public à toutes les autres œuvres protégées, cet avantage ne profite aucunement aux auteurs et aux auteures.
Pour rétablir l’équilibre, comme le souligne l’arrêt Théberge, le droit d’auteur doit viser à garantir « l’assurance que personne d’autre que le créateur ne pourra s’approprier les bénéfices qui pourraient être générés ». Il est logique d’examiner ce qui pourrait constituer un avantage réel pour les auteurs et auteures et compenser une partie du préjudice causé au domaine public.
Comme nous cherchons à le faire sans mettre en péril nos relations commerciales, il est essentiel que nous adaptions notre approche aux orientations de l’arrêt Théberge pour « harmoniser notre interprétation de la protection du droit d’auteur avec celle adoptée par d’autres ressorts guidés par une philosophie analogue à celle du Canada ».
La solution pourrait consister à mettre en œuvre la réversion des droits. La Loi sur le droit d’auteur pourrait imposer que tout contrat d’édition ou tout autre contrat de cession de droits d’auteur comporte une clause garantissant que les droits reviennent à l’auteur ou à l’auteure après que l’œuvre a été retirée du commerce pendant une certaine période. Cette modification permettrait aux auteurs et auteures de reprendre le contrôle de leurs œuvres et, si elles ne sont plus viables commercialement, de les mettre à disposition sous une licence ouverte, facilitant ainsi l’accès continu du public à l’œuvre. La directive de l’Union européenne sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique, en particulier l’article 22, prévoit déjà un tel droit de révocation.
En outre, une amélioration de la Loi sur le droit d’auteur pourrait consister à établir une durée maximale pour les accords de cession de droits d’auteur en la limitant à 25 ans, que l’œuvre reste commercialisée ou non pendant toute cette durée. Cette solution permettrait à l’auteur ou à l’auteure (ou à ses ayants droit) de renégocier l’accord de publication si l’œuvre continue à avoir une valeur commerciale importante au-delà de la période initiale. Cette réversion des droits serait similaire à celle dont bénéficient les auteurs et auteures aux États-Unis au bout de 35 ans.
Ensemble, ces mesures renforceraient considérablement le pouvoir des auteurs et auteures en leur accordant un plus grand contrôle sur leurs œuvres, ce qui augmenterait la probabilité qu’elles restent accessibles au public pendant toute la durée de la protection du droit d’auteur.
Les auteurs et auteures, ainsi que le lectorat actuel et futur de leurs œuvres, ont tout à gagner de facteurs qui incitent véritablement les auteurs et auteures à créer, tout en donnant la priorité à l’intérêt public général en préservant l’accès à leurs œuvres.
Bien que nous devions accepter la malheureuse prolongation de 20 ans de la durée des droits d’auteur, il demeure possible d’exhorter le Parlement à prendre des mesures correctives et à rétablir l’équilibre rompu. Examiner sérieusement la question de la réversion des droits constitue une bonne première étape.