Présumer l’accès à la justice
Nous ne devons pas laisser l'efficacité du système nuire aux intérêts des enfants.
Les présomptions sont des outils puissants en droit. On les utilise comme raccourcis pour des exigences rigoureuses en matière de preuve. Elles aident à sauver du temps et des ressources pour les cours et les justiciables. Mais même si on cherche toujours à rendre le système plus efficace, le recours aux présomptions n’est pas toujours approprié dans le contexte familial.
Évidemment, la crise de l’accès à la justice demeure un problème sérieux. C’est une crise aux causes nombreuses, et elle ne peut être analysée sérieusement qu’en l’examinant sous tous ses angles. L’une des pistes de solution passe par la prévention de problèmes juridiques, et par une meilleure éducation et des stratégies de justice informelles. Une autre est de trouver des moyens de résoudre des différends qui n’impliquent pas les tribunaux. Mais nous devons quand même travailler à rendre le processus judiciaire plus efficace pour les clients.
Ce n’est pas seulement bon pour le système. C’est bon pour les parties. Dans les dossiers de droit de la famille, c’est aussi essentiel pour les enfants. Nous savons que l’exposition aux conflits est un facteur hautement négatif dans le développement d’un cerveau en santé et dans la résilience nécessaire pour s’ajuster à une famille restructurée.
Les utilisateurs du système de justice doivent comprendre les lois qui leur sont applicables. Une telle connaissance est plus susceptible de favoriser le règlement de différends de manière consensuelle. L’impact peut être significatif.
Mais pour que ce soit possible, les lois doivent être bien rédigées, ce qui nous mène au projet de réforme de la Loi sur le divorce, et en particulier à la manière dont il abandonne la présomption de temps de garde égal pour les parents.
Tant le rapport Atteindre l’égalité devant la justice, auquel j’ai contribué, que le Comité national d’action sur l’accès à la justice, sur lequel je siège, ont proposé des stratégies formelles et informelles qui rendraient plus facile pour les membres d’une famille de régler leurs différends. Ces conclusions ont mené à une recommandation voulant que le droit familial soit « plus simple et offre de meilleures indications par l’entremise de règles et de présomptions, lorsqu’approprié ».
Tel que noté par le Comité d’action, les présomptions ont, en droit de la famille et dans d’autres domaines, permis à plusieurs familles de réduire le nombre de problèmes qui nécessitent un recours aux tribunaux.
Les Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants en sont un bon exemple. Les parties peuvent les appliquer elles-mêmes et arriver à des montants précis, évitant ainsi dans plusieurs cas l’intervention judiciaire. La présomption de partage de propriété dans le cadre de mariages a elle aussi réduit le nombre d’enjeux qui peuvent donner lieu à des litiges.
Les présomptions qui touchent au rôle parental, cependant, fonctionnent différemment.
Les présomptions, en effet, reposent sur des hypothèses. Par exemple, le fait que le partage financier représente pour les parents qui ont des enfants l’option juste et équitable.
Mais les hypothèses peuvent aussi être incorrectes, ce qui peut rendre les présomptions inefficaces en tant que normes législatives. C’est souvent le cas dans le contexte du rôle parental. Si l’objectif sous-jacent de la politique vise le meilleur intérêt de chacun des enfants – une notion évaluée au cas par cas – alors une présomption n’est pas l’approche appropriée.
Une présomption dans ce contexte ne vise pas à imposer les mêmes règles du jeu entre les parties, comme ça peut être le contexte des questions financières. Elle crée plutôt un déséquilibre de pouvoir en faveur du parent qui « gagne » sa part égale dans l’implication parentale, par rapport à ce qu’il aurait pu mériter au regard de son implication passée. Dans ce contexte, il incombe à l'autre parent de prouver qu'un autre arrangement aurait été préférable. Ce parent, ayant passé plus de temps avec l’enfant mais disposant de moins de ressources financières, peut être désavantagé. Le risque est donc que la présomption aille à l’encontre des intérêts de l’enfant.
De plus, ce type de présomption ne s'applique que dans les cas où les parents n’arrivent pas à convenir d’un arrangement. L'ironie est qu’elle est imposée dans les mauvaises circonstances et qu’elle mine la possibilité d’avoir recours à un processus de médiation et de collaboration fondé sur l’intérêt de l’enfant comme point de départ de la conversation.
La réalité est que les notions de garde et de droit de visite relèvent d’un système où l’on retrouve des « gagnants » et des « perdants ». Cette réalité a un impact sur la manière dont les parties abordent le règlement des différends. La Colombie-Britannique et l'Alberta ont introduit des réformes qui permettent de définir le rôle parental par les éléments essentiels d’un plan de responsabilité parentale, plutôt que par des étiquettes nuisibles auxquelles les parties peuvent résister.
Ces réformes provinciales nous ont montré qu’en ayant recours au langage approprié, on peut favoriser une approche fondée sur les intérêts. Mais le changement de mentalité a été ralenti par la persistance de l'expression « garde » dans la Loi sur le divorce, ce qui devrait être sur le point de changer. Cela devrait ouvrir la voie à des stratégies de résolution efficaces.
Lors de l’élaboration d’un plan parental, nous devons évaluer les facteurs appropriés du point de vue de l’intérêt supérieur de l’enfant. En l'absence d’une présomption, les parents n'ont d'autre choix que d'examiner leur famille et des facteurs identifiés dans la loi, tels que la valeur du contact et le temps passé avec chaque parent, pour les guider dans l'évaluation de leur enfant en tant qu'individu.
Tout principe appelant à un maximum de contacts avec chaque parent, sans tenir compte des autres facteurs, mine ce type d’évaluation.
Le Comité d'action a noté que les présomptions étaient utiles lorsque justifié. En matière d’accès à la justice, cela dépend de la nature du problème, y compris « la gravité et l'impact des résultats potentiels ». Les résultats, bien sûr, peuvent affecter les enfants de manière positive ou négative. Heureusement, les modifications proposées à la Loi sur le divorce n'imposent pas un régime de présomption de temps égal pour les parents. À mon avis, le gouvernement fédéral a bien cadré cet enjeu crucial.
Ce qui peut être efficace pour le système n’est pas nécessairement ce qu’il y a de mieux pour les gens. En particulier les tout petits.