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Un avenir qui nous appartient

Le gouvernement fédéral et les provinces doivent coopérer avec les Métis pour affirmer les droits de ce peuple.

Blake Desjarlais, MP

Selon un vieil adage métis, « nous vivons dans deux mondes, mais n’appartenons à aucun ». Cette maxime vient de nos grands-parents et des générations avant nous, qui avaient accès aux traditions et au savoir de leurs parents d’Europe et des Premières Nations, mais sentaient souvent du rejet de la part de ces deux peuples, n’appartenant ni à l’un ni à l’autre. Avec le temps, nous avons pris le nom d’Otepemisawak, ou le peuple qui s’appartient. L’adage demeure vrai : aujourd’hui, il illustre les obstacles auxquels le peuple métis continue de se heurter quand il collabore avec les instances provinciales et fédérales, prisonnier du « vide juridique » qui existe entre elles.

Les deux ordres de gouvernement ont en effet passé le plus clair de leur existence coloniale à rejeter toute responsabilité à l’égard des Métis, ce qui aurait pourtant dû changer en 2016 quand la Cour suprême du Canada a clarifié une fois pour toutes, dans l’arrêt Daniels c. Canada, que le gouvernement fédéral a une obligation fiduciaire envers les Métis.

Il y a tout de même l’Alberta qui a fait cavalier seul en assumant une part de responsabilité par l’adoption de la Metis Settlements Act. Voilà donc des années que nous sommes dans une situation où les parties « se renvoient la balle », comme le disent avec à-propos les tribunaux.

Mes ancêtres, de Louis Riel à Gabriel Dumont en passant par mon aïeul Ole Charlie Delorme et sa parenté métisse moins connue, ont lutté pour leurs droits fondamentaux. En effet, au lendemain des résistances de 1869 et de 1885 menées par Louis Riel, le Canada commence à rejeter ouvertement le peuple métis. Avec le fameux système de certificats, bon nombre de Métis sont dépossédés de leurs terres et contraints de vivre dans la pauvreté et la clandestinité. Ils habitent des baraques dans des réserves routières, où ils subissent les frappes de la GRC et d’Euro-Canadiens en colère, une situation relatée de façon saisissante par Maria Campbell dans son autobiographie Halfbreed. Pour les Métis, les premières décennies du 20e siècle sont marquées par de terribles épreuves, la famine et la privation de terres, sans gouvernement vers qui se tourner.

Après avoir survécu à ces injustices, les Métis ont de nouveau réclamé leur dignité et des terres.

Ole Charlie Delorme fait partie des nombreuses personnes qui n’en peuvent plus des expulsions, des attaques et de la négligence du gouvernement. Il devient alors un « squatteur », s’installant hors de la réserve crie de Fishing Lake, et organise le plus grand rassemblement de Métis depuis l’échec de la réserve catholique fédérale de Saint-Paul-des-Métis. Des centaines de personnes se massent alors à l’extérieur de Frog Lake, en Alberta, afin de pétitionner pour le droit foncier des Métis. Mon arrière-grand-père, Charlie Delorme, était du groupe. La pétition est présentée au gouvernement provincial dans les premières décennies du 20e siècle, surtout en réponse aux rumeurs qui disent que le fédéral a l’intention de céder le contrôle des terres et des ressources à la province nouvellement établie de l’Alberta par le biais de la Loi concernant le transfert des ressources naturelles de 1930, une manœuvre comparable à la vente de la Terre de Rupert au Dominion du Canada. Avec l’aide de gens exceptionnels, surnommés « les Cinq célèbres », le peuple métis s’organise et exige réparation auprès du gouvernement albertain.

Les Métis de l’Alberta ont continué de faire pression pour obtenir des terres. La province entre alors dans la première d’une série de querelles de compétence avec le fédéral. Quand elle comprend qu’elle devra traiter avec les Métis dépossédés, elle s’active, d’abord en formant la commission Ewing pour enquêter sur ce que les Métis martèlent depuis longtemps, à savoir qu’on les a privés de leurs biens et abandonnés à la pauvreté. Sans soutien du fédéral, le gouvernement albertain fonde 12 colonies pour améliorer les conditions de vie des Métis. La nouvelle se propage aux quatre coins des Prairies, et de nombreuses familles métisses se rendent à Fishing Lake et ailleurs pour peupler ces nouvelles assises territoriales. En 1938, la province adopte la Metis Population Betterment Act, inspirée de la Loi sur les Indiens du Canada, sous le régime de laquelle ces peuplements sont administrés comme de petits fiefs.

En 1975, les colonies de peuplement métisses se soulèvent de nouveau contre l’oppressante Metis Betterment Act et les « agents indiens » du gouvernement provincial appelés « superviseurs ». Elles poursuivent le gouvernement pour de multiples infractions à la loi, ce qui entraîne l’adoption de nouvelles dispositions législatives en 1989 qui sont toujours en vigueur aujourd’hui. Ce n’est qu’après un siècle de négligence fédérale et de législation provinciale lacunaire que la Cour suprême du Canada reconnaît que le peuple métis relève de la compétence du gouvernement fédéral. Dès lors, les Métis de l’Alberta, en particulier ceux qui vivent dans des colonies de peuplement, se retrouvent à nouveau coincés entre la législation provinciale, qui ne reconnaît pas et ne permet pas de reconnaître pleinement leur statut d’Autochtones, et le gouvernement fédéral, qui continue de se montrer négligent, prétextant l’existence de lois provinciales.

Mais il y a de l’espoir. Durant mon mandat de directeur national du Metis Settlements General Council (MSGC), j’ai plaidé en faveur de l’élaboration d’un plan commun pour le peuple unique que forment les Métis de l’Alberta, plan visant à tracer la voie à suivre. Cette démarche a donné lieu, en 2017 et en 2018, à un protocole d’entente et à un accord-cadre entre le MSGC et le Canada.

Ultimement, pour qu’il y ait réconciliation, il faut une discussion trilatérale saine, particulière et distincte entre les groupes représentant les Métis de l’Alberta, la province et, enfin, le gouvernement fédéral. C’est ainsi que nous pourrons bâtir un avenir non plus fragmentaire, mais entier, où les droits des Métis seront reconnus et confirmés, comme le veut l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

Il reste beaucoup à faire, mais avec le soutien fort des gouvernements provinciaux et fédéral, nous pouvons enfin imaginer un avenir où nous aurons réellement notre place.