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Le pouvoir de la loi

La reconnaissance du droit autochtone fait son chemin au Canada, mais les tribunaux demeurent timides.

BC legislature
La Colombie-Britannique a été la première province canadienne à enchâsser la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Photo sous licence Creative Commons par BC Gov Photos (CC BY-NC-ND 2.0)

La reconnaissance du droit autochtone dans les tribunaux canadiens est moins avancée que certains pourraient le croire, ou veulent bien l’admettre.

Or, Dwight Newman, titulaire de la Chaire de recherche sur les droits des Autochtones dans le droit constitutionnel et international et professeur au Collège de droit de l’Université de la Saskatchewan, affirme que la reconnaissance proviendra d’autres avenues.

Alors qu’il s’adressait récemment aux participants d’un panel sur l’interaction entre les ordres juridiques autochtones et occidentaux de l’Association du Barreau canadien, il a indiqué que de plus en plus, la reconnaissance se développe par l’entremise de traités modernes et de mécanismes légaux externes aux tribunaux.

Cela dit, des changements sont à prévoir dans les tribunaux à la lumière de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA), que l’Assemblée générale des Nations Unies a adoptée en septembre 2007. Cette déclaration internationale sur les droits de la personne établit les normes minimales pour la survie, la dignité et le bien-être des peuples autochtones du monde.

Au Canada, la Loi concernant la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones a reçu la sanction royale et a été adoptée en juin 2021. Celle-ci se veut une réponse à un appel à l’action de la Commission de vérité et réconciliation et une demande au gouvernement fédéral de consulter les peuples autochtones et de collaborer avec ceux-ci pour s’assurer que les lois fédérales sont conformes à la DNUDPA.

Me Newman mentionne qu’il s’agit là d’une sphère complexe qui évolue constamment, et que « la réponse que donneront les tribunaux pourrait venir dans plusieurs années ».

En ce moment, c’est le jugement R. c. Pamajewon de la Cour suprême du Canada qui fait autorité en matière de législation autochtone. Selon ce jugement de 1996, la revendication du droit à l’autonomie gouvernementale selon l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 devrait être jugée conformément au test énoncé dans le jugement R. c. Van der Peet.

Cette décision n’a mené à aucune reconnaissance générale du gouvernement autochtone ou du pouvoir législatif autochtone, puisque la Cour suprême a indiqué qu’elle analyserait l’élaboration de lois particulières « loi par loi », ou du moins « sujet par sujet », pour voir si la législation à ce propos répondrait aux critères énoncés dans Van der Peet. Me Newman explique que le résultat est restrictif étant donné le besoin de cumuler les éléments de preuve voulus.

« Nous sommes face à une éventualité très complexe, affirme-t-il. C’est là que la Cour suprême du Canada s’est arrêtée. D’une certaine façon, ce n’est pas ce qu’il y a de plus concret (la décision), et ça peut ne pas sembler totalement raisonné considérant où nous en sommes aujourd’hui, mais cela cadre tout de même plutôt bien avec le droit jurisprudentiel de la Cour suprême du Canada. Il n’y a pas eu de changement majeur depuis la décision Van der Peet. »

Cependant, le jour où la problématique sera à nouveau abordée pourrait approcher.

Le Renvoi à la Cour d’appel du Québec relatif à la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis a été transmis à la Cour suprême une fois que la Cour d’appel du Québec a reconnu que l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 confirme le droit générique à l’autonomie gouvernementale autochtone. La décision, rendue plus tôt cette année, comprend des « énoncés très importants » concernant la DNUDPA et le pouvoir de légiférer des gouvernements autochtones, selon Me Newman. Il s’agit donc là d’un dossier qu’il faut surveiller pour voir ce que la Cour suprême dira et ne dira pas.

En Colombie-Britannique, en 2000, la Cour suprême a reconnu le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale des nations autochtones selon l’article 35 dans le jugement Campbell. Cette affaire portait sur les dispositions concernant l’autonomie gouvernementale de l’Accord définitif nisga’a. Le gouvernement provincial a tenté d’invalider l’entente de 487 millions de dollars, qui accordait des pouvoirs législatifs et un territoire aux Nisga’a, alors que l’ancien premier ministre provincial Gordon Campbell décrivait l’approche de l’autonomie gouvernementale du traité comme la « recette du chaos ».

Bien que cette affaire ait été largement citée, Me Newman fait remarquer qu’il n’y a eu aucune affirmation définitive quant à ses principes directeurs, tout particulièrement au sujet de la place du droit autochtone en dehors des articles 91 et 92 de la Constitution. Par ailleurs, la décision très apparentée de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans la cause Chief Mountain a été de confirmer la décision du tribunal inférieur soutenant la validité constitutionnelle de l’Accord définitif nisga’a. Cependant, davantage de déclarations provisoires ont été prononcées au sujet de ce type de pouvoir juridique autochtone à la lumière des dispositions du traité, et le tribunal n’a fait aucune déclaration quant à son caractère inhérent.

Les tribunaux sont passablement hésitants à reconnaître un pouvoir de la législation autochtone en vertu de l’article 35, mentionne Me Newman, et ce, même s’ils démontrent leur ouverture à reconnaître les traités adoptés.

Dans le contexte des traités modernes, qui reconnaissent la législation autochtone, des considérations légales sont également en jeu, notamment la Declaration Act de la Colombie-Britannique. Cette loi vise à adopter la DNUDPA dans la province et comprend des dispositions en lien avec les accords consensuels. Cela permet au gouvernement provincial d’accepter de reconnaître la compétence autochtone dans certains domaines, ce qui n’était pas inclus dans la législation fédérale entourant la DNUDPA. Cette considération légale spéciale a ouvert la voie au premier accord de ce type entre la province et le gouvernement central Tahltan plus tôt cette année, ce qui permettra à l’Eskay Creek Mine (située sur le territoire Tahltan) d’être le premier projet minier à voir son permis autorisé par un gouvernement autochtone.

Revendiquer une compétence lorsqu’il n’y a pas nécessairement d’accord ou l’appui d’un traité est une autre entreprise risquée, explique Me Newman, puisque des tensions peuvent se manifester entre les gouvernements provinciaux et le fédéral qui ont tous deux des lois pour encadrer les mêmes sujets et d’autres groupes autochtones vivant sur un territoire traditionnel dans la même zone. À cela, il ajoute que des questions complexes concernent également tout individu pouvant être affecté par cette législation, par rapport à la façon dont il la perçoit et son impact dans un contexte juridique canadien.

Dans ces situations, la question est de savoir si le droit autochtone sera reconnu et traité comme ayant primauté ou y étant sujet. Il n’y a actuellement aucune orientation claire sur cette question, mais certains cas intéressants sont à surveiller, comme une affaire qui se trouve devant l’Environmental Appeal Board de la Colombie-Britannique. Celle-ci concerne l’adoption de l’Elhdaqox Dechen Ts’edilhtan (Sturgeon River Law) par les chefs de la Première Nation ?Esdilagh (Alexandria) en 2020 afin de protéger le fleuve Fraser, qui court sur leur territoire, et d’autres Premières Nations voisines.

Bien que des tribunaux soient intervenus en matière de droit autochtone dans le cadre de conflits de lois, Me Newman indique qu’ils sont réticents à entrer dans cette doctrine. Plusieurs raisons expliquent cela, la principale étant le malaise entourant le fait de désigner le droit autochtone « droit étranger », même si lors de l’évaluation de conflits de lois, le droit d’une province relativement à une autre est considéré comme droit étranger.

« Les tribunaux canadiens ne se bousculent pas dans cette direction », a-t-il affirmé.