Un nouveau départ
L’adoption d’une loi sur la mise en œuvre de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones est une excellente avancée vers la réconciliation. Mais il y aura du travail à faire pour tenir le gouvernement responsable.
Lorsque le gouvernement canadien a signé la DNUDPA en 2010, il l’a fait en y mettant un bémol, précisant qu’il s’agissait d’un « document d’aspirations » qui n’était pas juridiquement contraignant. Il aura fallu six ans avant que la ministre des Relations Couronne-Autochtones, Carolyn Bennett, affirme que le Canada « appuie maintenant pleinement, et sans réserve, la Déclaration ». Il y a ensuite eu une première tentative d’intégrer la DNUDPA au droit canadien, mais le projet de loi d’initiative parlementaire C‑262 du député Romeo Saganash est mort au Feuilleton parce que le Sénat n’a pas réussi à lui faire franchir l’étape du vote final en 2019. Le projet de loi C-15, déposé en décembre 2020, reprend le contenu du projet de loi C-262, mais avec un préambule bien plus long et un rejet explicite des doctrines de la découverte et de terra nullius sur lesquelles se sont appuyés les colons européens pendant des décennies pour affirmer leur souveraineté. Il a reçu la sanction royale à point nommé lors de la Journée nationale des peuples autochtones, et la DNUDPA est maintenant une source d’interprétation confirmée du droit canadien.
Il s’agit, pour la nouvelle génération de juristes, d’un incroyable outil de représentation, a indiqué Merle Alexander, directeur chez Miller Titerle Law Corporation, lors d’un symposium de l’ABC qui s’est tenu tout juste avant que le projet C-15 devienne loi, le 21 juin. « C’est sur ça que travailleront sans doute les sept prochaines générations de juristes », dit-il, reconnaissant que la joute oratoire portera sur la distinction entre les mécanismes de consentement et de consultation en cause dans la réalisation des projets du domaine des ressources naturelles. « Ça pourrait entraîner un changement drastique en droit; c’est quelque chose qui vient toucher tout ce que nous faisons. »
Effectivement, le gain potentiel est énorme pour les communautés autochtones du Canada. Outre son libellé général indiquant ses grandes aspirations, le projet de loi C-15 précise qu’il faut obtenir le « consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause » des peuples autochtones pour les mesures législatives et projets qui ont des répercussions sur leurs terres, portent atteinte à leurs droits ou sont susceptibles de les concerner. Ce consentement est un concept qui, même s’il est encore mal défini, va sans doute influer sur l’approche de consultation de la Couronne, mais aussi sur les attentes pratiques des autres parties concernées, soit l’industrie et les communautés autochtones.
Selon Me Alexander, cette loi offre au pays une nouvelle occasion de faire face à l’incertitude qui le paralyse « en tant que nation ».
Autre grande question : comment progressera le rythme du changement par rapport aux attentes? « J’espère entre autres que les gens seront patients, a dit Brenda Gunn, professeure à la faculté de droit Robson Hall, durant le symposium. C’est ici la ligne de départ, et non celle d’arrivée. » Me Gunn soupçonne qu’il y aura des déceptions semblables à celles exprimées par les défenseurs des droits ancestraux après l’adoption de la Declaration on the Rights of Indigenous Peoples Act en Colombie-Britannique il y a deux ans. Selon certains opposants, la province n’a pas fait ce qu’il faut pour garantir l’uniformité entre ses lois et la DNUDPA. Elle n’a pas non plus produit à ce jour de plan d’action visant à atteindre les objectifs de la Déclaration.
Il a été assez difficile d’obtenir la sanction royale pour le projet de loi C-15… mais c’était de la petite bière à côté de la préparation d’un plan d’action par le fédéral. Le premier ministre Trudeau va sans doute déclencher une élection. En même temps, il s’agit d’un gouvernement qui n’est pas tellement connu pour sa capacité d’exécution, mais qui a quand même le plan ambitieux de passer à une économie à zéro émission nette tout en gérant la reprise économique post-pandémie.
En fin de compte, réussir la mise en œuvre de la DNUDPA dépendra autant du bon travail du gouvernement que de la reconnaissance nationale que les peuples autochtones font partie des décideurs.
« [L]e gouvernement fédéral doit jouer un rôle de premier plan dans la pratique d’obtention du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause », affirme le directeur général du Conseil de gestion financière des Premières Nations, Geordie Hungerford, un autre conférencier au symposium. « Nous ne pouvons pas laisser ça au privé et aux Premières Nations devant les tribunaux. Le gouvernement fédéral et les provinces doivent faciliter ce consentement. Et le fédéral, ce faisant, doit communiquer au secteur privé et aux autres ordres de gouvernement les droits et responsabilités prévus dans la DNUDPA. »
Me Gunn convient également que les acteurs du changement devront encourager le gouvernement à s’activer, mais reconnaît aussi que « mettre pleinement en œuvre la Déclaration de l’ONU nécessite un énorme changement de mentalité de [sa] part, parce que ce n’est pas lui qui décidera seul de bien des choses. »
Me Alexander, pour sa part, veut qu’un secrétariat spécialisé soit créé – quelque chose qui avait été promis en Colombie-Britannique – pour garantir que les nouvelles lois et politiques cadrent avec la DNUDPA.
Par ailleurs, quatre autres choses doivent se produire, ajoute Me Hungerford. Premièrement, il faut définir, dans le cadre d’un programme de gestion du rendement pour les hauts fonctionnaires, des paramètres et des objectifs pour aider les ministères et organismes fédéraux à faire du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause une réalité. La loi prévoit que le gouvernement doit présenter des rapports annuels, en consultation et en collaboration avec les peuples autochtones, sur les mesures prises pour garantir l’uniformité entre les lois du Canada et la DNUDPA ainsi que l’élaboration et la mise en œuvre d’un plan d’action visant à atteindre les objectifs de la Déclaration. « Il faut que des gestes se posent et que des comptes soient rendus, lance Me Hungerford. Et à travers ça, je crois qu’il faut une représentation des peuples autochtones à tous les échelons de la fonction publique. Avoir plus d’Autochtones dans la fonction publique, surtout à la haute direction, favorisera la reconnaissance de ce qui doit se passer. »
Deuxièmement, les communautés autochtones ont besoin de plus de professionnels occupant des postes dans des entreprises pour activer les débouchés économiques. « Pour la réconciliation, il faudra d’innombrables chefs d’entreprise autochtones pouvant occuper des postes de direction au gouvernement [et dans] le secteur privé et assurer la communication entre le privé et les groupes autochtones, juge Me Hungerford. Un leadership sera aussi nécessaire dans les communautés même, pour diriger, démarrer des entreprises et stimuler le développement économique. »
Le défi, selon lui, c’est que seulement 10,9 % des Autochtones âgés de 25 à 64 ans ont un diplôme universitaire, comparativement à 29,3 % pour le reste de la population. Il faudra faire plus de sensibilisation au secondaire pour recruter les futurs chefs d’entreprise; accorder des bourses d’études et des stages aux Autochtones; et trouver des parcours d’obtention de titres professionnels plus accessibles aux membres de leurs communautés.
Troisièmement, Me Hungerford affirme que le développement économique exigera l’accès « à énormément de capital, et ce à des taux raisonnables si nous voulons que les Premières Nations aient, comme elles le devraient, une participation en capital dans les entreprises et puissent saisir les débouchés économiques sur leurs territoires traditionnels. Mais dans un pays comptant plus de 630 Premières Nations, il sera difficile d’évaluer les possibilités à mesure qu’elles se présentent. Il faudra trouver une façon de développer les capacités, et peut-être envisager le regroupement des bandes visées par la Loi sur les Indiens et des Premières Nations pour que celles-ci puissent prendre de l’expansion et profiter des possibilités. »
Quatrièmement, Me Hungerford explique que les administrations publiques et les peuples autochtones du Canada doivent conclure un nouveau pacte financier. « Nous avons besoin de financement à plus long terme pour les Premières Nations; il faut aussi pouvoir puiser dans les finances de l’État pour garantir la participation au capital-actions. » Il mentionne que le Canada devrait envisager de constituer une banque de l’infrastructure autochtone.
Bref, il reste encore beaucoup de travail à faire. Entre-temps, il reviendra aux avocats de rappeler aux tribunaux que la DNUDPA fait maintenant partie de nos obligations internationales à l’égard des droits de la personne, déclare Me Gunn, qui appelle les avocats à rafraîchir leurs connaissances en droit international. « Si vous n’avez pas fait de droit international pendant vos études, si vous ne connaissez pas les fondements des droits de la personne d’ici et d’ailleurs, et si vous ne savez pas comment ces droits s’appliquent au Canada, vous n’avez pas compétence pour donner un avis juridique à un client, dit-elle. Il est essentiel que les avocats sachent comment la DNUDPA s’articule avec les autres traités internationaux relatifs aux droits de la personne, ajoute-t-elle. Parce que le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause n’est pas une nouveauté de la Déclaration de l’ONU. C’est une réalité qui existe depuis les années 1990 dans les organes de l’ONU chargés de ces traités […] Il ne suffit pas de lire la Déclaration; il existe des études, des rapports, des décennies de recherches pour nous guider et nous faire comprendre ce que signifie cet instrument au Canada. »
Les gouvernements autochtones devront se poser une question primordiale, conclut Me Gunn : « Qu’est-ce que ça veut dire, de participer au processus décisionnel? » Selon elle, la mise en œuvre de la DNUDPA peut être un puissant outil pour les peuples autochtones dans leur libération du joug du colonialisme, mais il faut plus que dire oui ou non aux projets. « Les peuples autochtones doivent participer aux débats qui ont des répercussions réelles et à la prise de décisions. Il leur faut faire partie des décideurs pour s’assurer de protéger leurs droits de la personne fondamentaux. »