Passer au contenu

À bout de souffle

L’attention que nous portons aux projets de pipelines transfrontaliers se heurte à l’évolution des politiques énergétiques américaines.

Les projets pétroliers et gaziers canadiens réalisés aux États-Unis sont en difficulté. D’aucuns croient que la décision du président Biden d’annuler le permis pour le pipeline KeystGas gauge on empty

Les projets pétroliers et gaziers canadiens réalisés aux États-Unis sont en difficulté. D’aucuns croient que la décision du président Biden d’annuler le permis pour le pipeline Keystone XL de TC Energy le premier jour de son mandat était un avertissement quant aux priorités en faveur de la lutte contre les changements climatiques adoptées par la nouvelle administration. Cependant, elles ne sont que l’une des difficultés auxquelles est confronté le secteur pétrolier et gazier de l’Alberta sur le territoire américain. Les projets énergétiques visant à relier les sables bitumineux aux marchés nord-américains, qu’ils soient nouveaux ou en cours, font face à des obstacles législatifs étatiques et fédéraux. Les projets Keystone XL et la canalisation 5 d’Enbridge sont particulièrement touchés.

Aux États-Unis, la Federal Energy Regulatory Commission (FERC) ne réglemente pas l’emplacement des pipelines transportant le pétrole ou le gaz naturel. Elle ne réalise pas non plus d’examens environnementaux. Lorsque les projets traversent la frontière, le Département d’État effectue un examen environnemental en vertu de la National Environmental Policy Act (NEPA), un processus qui peut prendre des années avant qu’une recommandation ne soit faite.

Jusqu’à récemment, les présidents acceptaient généralement les conclusions du Département d’État et accordaient, ou refusaient les permis en conséquence. L’administration Obama avait, au départ, rejeté la première demande pour que le pipeline Keystone XL franchisse la frontière; une décision que l’ancien président Donald Trump avait, pendant sa campagne électorale, promis d’annuler. Toutefois, une fois en fonction, il a découvert qu’il était difficile, en raison des exigences du droit administratif américain, d’annuler un processus réglementaire réalisé par le Département d’État. Frustré par cet état de fait, il a délivré le permis par voie de décret présidentiel, contournant ainsi complètement le processus prescrit par la NEPA. Cela place le permis dans une position précaire puisque les décrets présidentiels sont assujettis au pouvoir discrétionnaire du président. Le permis pouvait par conséquent être retiré n’importe quand, soit par le président Trump, soit par son successeur.

C’est précisément ce qui s’est passé. Le président Trump pouvait avoir considéré qu’il accordait une faveur à TC Energy en accélérant l’approbation du projet Keystone XL au moyen d’un décret présidentiel. En réalité, l’accord du permis de cette manière l’a rendu extraordinairement vulnérable. Il semble peu probable que les permis pour des projets futurs qui traverseront la frontière soient accordés de cette manière puisque la politisation croissante aux États-Unis laisse entrevoir que les présidents seront enclins à défaire ce que leur prédécesseur a fait. Alors que le sort exact du permis transfrontalier de Keystone XL ne se reproduira probablement pas pour un autre projet, d’autres dangers se profilent à l’horizon.

En tant que chef du pouvoir exécutif, le président Joe Biden peut exiger des organismes qui effectuent les examens des projets énergétiques en vertu de la NEPA qu’ils accordent un poids supplémentaire aux considérations liées aux changements climatiques. Nous pourrions également voir l’administration Biden publier des lignes directrices plus vastes, comme l’avait fait le président Barack Obama lorsqu’il avait instruit l’Environmental Protection Agency de créer le Clean Power Plan. En fonction des directives, les projets qui visent à transporter du pétrole brut de l’Ouest canadien pourraient avoir des difficultés à obtenir des permis au terme d’un examen en vertu de la NEPA. Cette incertitude potentielle pourrait dissuader d’envisager des projets transfrontaliers majeurs.

Pour compliquer les choses, certains États commencent à affirmer leur propre pouvoir quant à l’emplacement des projets pour révoquer les autorisations légales accordées pour des pipelines sur leur territoire. C’est le cas de la canalisation 5 d’Enbridge, une portion du principal système de pipeline américain de la société qui livre plus de la moitié des importations de pétrole en Ontario et au Québec. Construite en 1953, la canalisation 5 part du Wisconsin et traverse le Michigan avant d’entrer à Sarnia. Une partie du pipeline au Michigan comporte un segment jumelé qui passe sous le détroit de Mackinac, une voie navigable empruntée par de nombreux navires qui relie le lac Michigan et le lac Huron.

En 2018, l’ancre d’un remorqueur a percuté l’un des segments jumelés de la canalisation 5 dans le détroit. Bien qu’il n’y ait pas eu de dommages, les inquiétudes au sujet des répercussions d’une possible fuite de la canalisation vieillissante ont commencé à être écoutées puisque cette canalisation est dans le détroit depuis 1965. Enbridge a proposé de construire un nouveau segment unique de la canalisation 5, dans un tunnel sous le détroit afin de prévenir toute collision future. Bien que la société ait obtenu certains des permis au Michigan pour construire le tunnel, l’État, en même temps, cherchait à faire enlever la canalisation 5 du détroit.

En juin 2019, l’État a intenté un procès pour obliger Enbridge à enlever le segment Mackinac de la canalisation 5, et en novembre 2020, la gouverneure du Michigan, Gretchen Whitmer, a proposé de révoquer la servitude afférente au passage de la canalisation 5 dans le détroit. Pour s’opposer à ces deux prises de position, Enbridge se fonde sur des arguments de nature constitutionnelle et sur le traité de 1977 sur les pipelines de transit entre le Canada et les États-Unis. Selon ce traité, aucune « autorité publique » américaine « n’adoptera de mesures » qui « auraient pour effet, d’empêcher, de dévier, de réorienter ou d’entraver de quelque manière que ce soit l’acheminement d’hydrocarbures en transit » sauf « désastre naturel, l’éventualité d’un désastre naturel, une situation d’urgence dans l’exploitation ou toute autre situation qui, pour des raisons techniques ou de sécurité, nécessite manifestement la réduction ou l’interruption temporaire de l’exploitation normale d’un pipe-line ».

Le manque de jurisprudence portant sur le traité complique la tâche de prédire les chances qu’a Enbridge d’avoir gain de cause si elle s’en sert pour s’opposer aux tentatives du Michigan d’enlever le segment Mackinac. Il n’en reste pas moins que la bataille dans son ensemble est révélatrice du contexte politique changeant aux États-Unis. Rares sont les risques d’opposition face aux pipelines canadiens fondée sur des motifs environnementaux, sans égard à la validité des préoccupations invoquées. Même si ces poursuites juridiques échouent en fin de compte, les coûts et les retards qu’elles génèrent pourraient décourager les sociétés canadiennes de proposer des projets de canalisations traversant les États-Unis, qu’ils soient nouveaux ou de remplacement.

L’enseignement à tirer de cette situation est que les politiques américaines en matière d’énergie sont en pleine évolution et que les projets canadiens pourraient être des cibles faciles pour les politiciens des États et de l’administration fédérale qui souhaitent ardemment faire état de leur bonne foi environnementale, alors même que des projets américains similaires pourraient aller de l’avant. Cela pourrait indiquer que le temps est peut-être venu de recentrer l’attention sur les projets de pipelines nationaux, ici au Canada, tels que le prolongement du réseau Trans Mountain et, pour le secteur, de se demander sérieusement quelle est la capacité future des pipelines qui sera véritablement nécessaire.

Les projets pétroliers et gaziers canadiens réalisés aux États-Unis sont en difficulté. D’aucuns croient que la décision du président Biden d’annuler le permis pour le pipeline Keystone XL de TC Energy le premier jour de son mandat était un avertissement quant aux priorités en faveur de la lutte contre les changements climatiques adoptées par la nouvelle administration. Cependant, elles ne sont que l’une des difficultés auxquelles est confronté le secteur pétrolier et gazier de l’Alberta sur le territoire américain. Les projets énergétiques visant à relier les sables bitumineux aux marchés nord-américains, qu’ils soient nouveaux ou en cours, font face à des obstacles législatifs étatiques et fédéraux. Les projets Keystone XL et la canalisation 5 d’Enbridge sont particulièrement touchés.

Aux États-Unis, la Federal Energy Regulatory Commission (FERC) ne réglemente pas l’emplacement des pipelines transportant le pétrole ou le gaz naturel. Elle ne réalise pas non plus d’examens environnementaux. Lorsque les projets traversent la frontière, le Département d’État effectue un examen environnemental en vertu de la National Environmental Policy Act (NEPA), un processus qui peut prendre des années avant qu’une recommandation ne soit faite.

Jusqu’à récemment, les présidents acceptaient généralement les conclusions du Département d’État et accordaient, ou refusaient les permis en conséquence. L’administration Obama avait, au départ, rejeté la première demande pour que le pipeline Keystone XL franchisse la frontière; une décision que l’ancien président Donald Trump avait, pendant sa campagne électorale, promis d’annuler. Toutefois, une fois en fonction, il a découvert qu’il était difficile, en raison des exigences du droit administratif américain, d’annuler un processus réglementaire réalisé par le Département d’État. Frustré par cet état de fait, il a délivré le permis par voie de décret présidentiel, contournant ainsi complètement le processus prescrit par la NEPA. Cela place le permis dans une position précaire puisque les décrets présidentiels sont assujettis au pouvoir discrétionnaire du président. Le permis pouvait par conséquent être retiré n’importe quand, soit par le président Trump, soit par son successeur.

C’est précisément ce qui s’est passé. Le président Trump pouvait avoir considéré qu’il accordait une faveur à TC Energy en accélérant l’approbation du projet Keystone XL au moyen d’un décret présidentiel. En réalité, l’accord du permis de cette manière l’a rendu extraordinairement vulnérable. Il semble peu probable que les permis pour des projets futurs qui traverseront la frontière soient accordés de cette manière puisque la politisation croissante aux États-Unis laisse entrevoir que les présidents seront enclins à défaire ce que leur prédécesseur a fait. Alors que le sort exact du permis transfrontalier de Keystone XL ne se reproduira probablement pas pour un autre projet, d’autres dangers se profilent à l’horizon.

En tant que chef du pouvoir exécutif, le président Joe Biden peut exiger des organismes qui effectuent les examens des projets énergétiques en vertu de la NEPA qu’ils accordent un poids supplémentaire aux considérations liées aux changements climatiques. Nous pourrions également voir l’administration Biden publier des lignes directrices plus vastes, comme l’avait fait le président Barack Obama lorsqu’il avait instruit l’Environmental Protection Agency de créer le Clean Power Plan. En fonction des directives, les projets qui visent à transporter du pétrole brut de l’Ouest canadien pourraient avoir des difficultés à obtenir des permis au terme d’un examen en vertu de la NEPA. Cette incertitude potentielle pourrait dissuader d’envisager des projets transfrontaliers majeurs.

Pour compliquer les choses, certains États commencent à affirmer leur propre pouvoir quant à l’emplacement des projets pour révoquer les autorisations légales accordées pour des pipelines sur leur territoire. C’est le cas de la canalisation 5 d’Enbridge, une portion du principal système de pipeline américain de la société qui livre plus de la moitié des importations de pétrole en Ontario et au Québec. Construite en 1953, la canalisation 5 part du Wisconsin et traverse le Michigan avant d’entrer à Sarnia. Une partie du pipeline au Michigan comporte un segment jumelé qui passe sous le détroit de Mackinac, une voie navigable empruntée par de nombreux navires qui relie le lac Michigan et le lac Huron.

En 2018, l’ancre d’un remorqueur a percuté l’un des segments jumelés de la canalisation 5 dans le détroit. Bien qu’il n’y ait pas eu de dommages, les inquiétudes au sujet des répercussions d’une possible fuite de la canalisation vieillissante ont commencé à être écoutées puisque cette canalisation est dans le détroit depuis 1965. Enbridge a proposé de construire un nouveau segment unique de la canalisation 5, dans un tunnel sous le détroit afin de prévenir toute collision future. Bien que la société ait obtenu certains des permis au Michigan pour construire le tunnel, l’État, en même temps, cherchait à faire enlever la canalisation 5 du détroit.

En juin 2019, l’État a intenté un procès pour obliger Enbridge à enlever le segment Mackinac de la canalisation 5, et en novembre 2020, la gouverneure du Michigan, Gretchen Whitmer, a proposé de révoquer la servitude afférente au passage de la canalisation 5 dans le détroit. Pour s’opposer à ces deux prises de position, Enbridge se fonde sur des arguments de nature constitutionnelle et sur le traité de 1977 sur les pipelines de transit entre le Canada et les États-Unis. Selon ce traité, aucune « autorité publique » américaine « n’adoptera de mesures » qui « auraient pour effet, d’empêcher, de dévier, de réorienter ou d’entraver de quelque manière que ce soit l’acheminement d’hydrocarbures en transit » sauf « désastre naturel, l’éventualité d’un désastre naturel, une situation d’urgence dans l’exploitation ou toute autre situation qui, pour des raisons techniques ou de sécurité, nécessite manifestement la réduction ou l’interruption temporaire de l’exploitation normale d’un pipe-line ».

Le manque de jurisprudence portant sur le traité complique la tâche de prédire les chances qu’a Enbridge d’avoir gain de cause si elle s’en sert pour s’opposer aux tentatives du Michigan d’enlever le segment Mackinac. Il n’en reste pas moins que la bataille dans son ensemble est révélatrice du contexte politique changeant aux États-Unis. Rares sont les risques d’opposition face aux pipelines canadiens fondée sur des motifs environnementaux, sans égard à la validité des préoccupations invoquées. Même si ces poursuites juridiques échouent en fin de compte, les coûts et les retards qu’elles génèrent pourraient décourager les sociétés canadiennes de proposer des projets de canalisations traversant les États-Unis, qu’ils soient nouveaux ou de remplacement.

L’enseignement à tirer de cette situation est que les politiques américaines en matière d’énergie sont en pleine évolution et que les projets canadiens pourraient être des cibles faciles pour les politiciens des États et de l’administration fédérale qui souhaitent ardemment faire état de leur bonne foi environnementale, alors même que des projets américains similaires pourraient aller de l’avant. Cela pourrait indiquer que le temps est peut-être venu de recentrer l’attention sur les projets de pipelines nationaux, ici au Canada, tels que le prolongement du réseau Trans Mountain et, pour le secteur, de se demander sérieusement quelle est la capacité future des pipelines qui sera véritablement nécessaire.