Le Bijuridisme procédural
Le Code de procédure civile du Québec pourra être utilisé devant les cours fédérales.
D’ici quelques semaines, un projet pilote permettra d’appliquer le Code de procédure civile du Québec devant les cours fédérales. L'objectif visé? Faciliter la tâche des avocats formés dans la tradition civiliste et, ultimement, favoriser l’accès des justiciables québécois à ces instances judiciaires.
Affichant leur volonté de se rapprocher des populations qu’elles desservent, les cours fédérales ont lancé un projet pilote grâce auquel le Code de procédure civile du Québec pourra être utilisé, avec les adaptations nécessaires, pour les actions déposées dans la province dans le cadre de certains recours judiciaires.
« Nous entendions souvent dire que les règles applicables devant ces instances décourageaient les juristes de tradition civiliste. C’est pourquoi les juges en chef Marc Noël, de la Cour d’appel fédérale, et Paul Crampton, de la Cour fédérale, ont mis sur pied un groupe de travail pour réfléchir à la question et dégager des pistes de solution », explique Me Amélie Lavictoire, directrice exécutive et avocate générale de la Cour d’appel fédérale.
Bien que ces cours de justice occupent une place importante sur l’échiquier judiciaire canadien, les règles de procédure qui y prévalent demeurent relativement méconnues de plusieurs avocats québécois, en particulier ceux qui ne se rendent que sporadiquement devant elles. En revanche, leurs confrères des autres provinces sont plus familiers avec ces règles, car leur pratique s’inscrit dans un environnement judiciaire où la procédure est d’inspiration de common law.
Gestion d’instance
Afin d’analyser la faisabilité d’un projet pilote sur le bijuridisme procédural, un groupe de travail constitué de praticiens et d’experts a été formé en mars 2018. Dans ses conclusions, il a noté que les cours fédérales ont toujours été engagées dans l’amélioration de l’accès à la justice, comme en témoignent les modifications successives de leurs règles procédurales, par exemple l’élaboration d’une procédure de recours collectif, la poursuite par représentation, le jugement ou procès sommaire, etc.
Dans cette perspective, donner la possibilité aux intervenants judiciaires québécois de tradition civiliste d’opter pour l’application du Code de procédure civile semblait donc très pertinent.
Les détails seront révélés dans les prochaines semaines, mais d’ores et déjà, on sait que ces aménagements seront effectués par le biais de la gestion d’instance. Concrètement, c’est donc un juge gestionnaire d’instance qui constituera « la clé » et le rouage essentiel au bon fonctionnement du processus.
« Nous croyons que cela créera davantage de souplesse et permettra aux praticiens québécois de se sentir plus à l’aise devant les cours fédérales », souligne Amélie Lavictoire, qui a d’ailleurs participé au groupe de travail.
Au bout du compte, les justiciables pourront bénéficier de l’expertise des cours fédérales et auront accès à une autre avenue lorsqu’ils voudront entreprendre une action dans des domaines où ces cours de justice ont compétence pour le faire.
Abaisser une barrière
Sur le terrain, on semble bien accueillir la nouvelle. Pour sa part, Me Claude Marseille, et associé chez Blakes, applaudit les efforts effectués en ce sens. L’avocat a eu l’occasion de se rendre à plusieurs reprises devant les cours fédérales, notamment en matière d’actions collectives. « Pour le juriste québécois, c’est un défi d’apprendre un système de règles de procédure avec lequel il n’est pas habitué de jongler », estime-t-il.
Même si les dispositions du projet pilote n’ont pas encore été annoncées et que Me Marseille n’en connaissait pas les détails au moment de l’entrevue, il salue la volonté des cours fédérales d’améliorer l’accès à la justice en abaissant la barrière procédurale qui peut subsister pour les juristes de tradition civiliste.
Il note toutefois que cette initiative comporte certains défis. « Avec ce projet, on demande à des juges de compétence fédérale, et qui ont également compétence à travers le pays, d’appliquer à l’occasion une série de règles procédurales, et dans d’autres circonstances une autre série de règles, qui sont toutes deux très différentes », fait-il valoir, rappelant que le Code de procédure civile comporte plus de 800 articles.
Il relève par ailleurs que ce faisant, les cours fédérales s’astreignent à appliquer des règles procédurales adoptées par l’Assemblée nationale du Québec. « Contrairement aux cours fédérales, notre procédure civile n’est pas laissée aux tribunaux, mais votée à l’Assemblée nationale. Dans notre contexte procédural et constitutionnel, c’est donc une situation très particulière », relève Me Marseille.
L’avenir dira si le projet pilote remplira ses promesses. Pour l’heure, aucune échéance n’a encore été déterminée. « Nous souhaitions permettre aux dossiers de cheminer de la cour fédérale jusqu’à la cour d’appel fédérale au besoin. C’est la raison pour laquelle nous ne voulions pas fixer une période trop courte afin de disposer du temps nécessaire pour évaluer ses retombées », mentionne Me Lavictoire.
On espère par ailleurs que les avocats de tradition civiliste démontreront leur intérêt et feront la promotion de cette initiative auprès de leurs clients, et qu’ultimement, le projet pourra être pérennisé. Même si le groupe de travail pense avoir envisagé toutes les éventualités, il faudra néanmoins que tout se déroule comme prévu et qu’aucun obstacle ne surgisse en cours de route.
Ce projet pilote a pu voir le jour grâce à l’appui du ministre de la Justice du Canada, David Lametti, et la collaboration du juge en chef de la Cour supérieure du Québec, Jacques R. Fournier, et du bâtonnier du Québec, Me Paul-Matthieu Grondin.