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Personnes trans : les expériences avec la justice sont souvent négatives

Un nouveau rapport de l'ABC met en lumière les obstacles et défis à l’accès à la justice auxquels sont confrontées les personnes trans.

Lee Nevens, coprésident e de la CORIS de la C.-B.
Lee Nevens, coprésident e de la CORIS de la C.-B. Jimmy Jeong

Intitulé L’accès des personnes trans à la justice, le rapport révèle qu’un nombre croissant de personnes trans militent pour leurs droits et expriment les difficultés qu’elles rencontrent dans leurs interactions avec le système de justice. Malgré leur résilience, elles sont l’un des groupes les plus défavorisés au pays. Elles courent également plus de risques d’être victimes de discrimination, de harcèlement et de violence dans d’autres aspects de leur vie, notamment en ce qui concerne l’accès aux soins de santé, au logement et à l’emploi. Cela est dû en partie aux obstacles systémiques qu’intègrent ou érigent les règles, politiques, lois, règlements, systèmes, programmes et organisations. 

Le rapport a été produit par le Sous-comité sur l’accès à la justice de l’Association du Barreau canadien (ABC) en collaboration avec la HIV and AIDS Legal Clinic Ontario (HALCO) et l’équipe de recherche TRANSformer la JUSTICE. S’inspirant du vécu des personnes trans, il comprend plusieurs recommandations qui touchent l’ensemble du système juridique.

Plus particulièrement, le rapport souligne que l’appareil juridique et les systèmes administratifs, plutôt que d’aider les personnes trans dans leurs démêlés avec la justice, sont souvent la source de ces démêlés. Les personnes trans sont confrontées plus fréquemment à des problèmes juridiques concomitants, parfois en raison de problèmes non réglés, lesquels peuvent s’empirer et se multiplier pour créer plus d’ennuis – juridiques ou non – qui touchent tous les aspects de la vie. À d’autres moments, c’est l’appareil juridique lui-même qui est la source de leurs difficultés.

Lee Nevens, coprésident·e de la Section de la communauté sur l’orientation et l’identité sexuelles de la Division de la Colombie-Britannique de l’ABC, explique comment les événements peuvent s’enchaîner, en partant du milieu de travail : « Vous êtes victime de discrimination parce que vous êtes trans? Essayer de résoudre ce problème peut conduire à la perte de votre revenu, ce qui mène ensuite à la précarisation de votre logement, et ainsi de suite, dans un effet domino. »

Me Nevens est avocat·e plaidant·e pour le ministère de la Justice Canada à Vancouver et lea premièr·e avocat·e ouvertement transgenre et non binaire élu·e au conseil d’administration de l’ABC-C.-B. Iel soutient que des préjugés, qu’ils soient inconscients ou conscients, sont souvent en jeu, mais cela demande tout un travail pour le démontrer.

« Il est parfois difficile de prouver que quelqu’un est transphobe lorsqu’il invoque d’autres raisons, même si vous voyez bien comment il se comporte avec vous et que ses préjugés entrent vraiment en ligne de compte », indique-t-iel.

Il n’est donc pas surprenant que les personnes trans soient moins susceptibles d’emprunter les voies officielles pour régler leurs problèmes juridiques; cela s’explique en partie par un manque de ressources financières, mais aussi par l’absence de prestataires de services juridiques qui connaissent bien l’identité trans. Leurs expériences avec la justice sont souvent négatives.

Comme la méfiance règne, beaucoup ne se sentent pas à l’aise de signaler un problème juridique ou d’intenter une action en justice. Selon Me Nevens, les problèmes sont encore plus aigus pour les personnes trans dont l’identité est intersectionnelle, notamment celles qui sont autochtones ou noires. Leur expérience peut engendrer une crainte justifiée d’interagir avec le système qui leur a fait subir, à elles ou à une connaissance, un préjudice physique ou de la discrimination.

Me Nevens considère que des difficultés similaires peuvent aussi se poser pour les professionnels du droit qui œuvrent dans le système, par exemple pour faire modifier les pièces d’identité afin de refléter le bon genre ou le nouveau nom. Lors de procédures judiciaires, on ne reconnaît pas toujours les pronoms et titres de civilité de certaines parties, ce qui augmente les risques de mégenrage. Dans d’autres cas, le mégenrage est tout à fait intentionnel.

Le rapport recommande que tous les acteurs du système juridique soient sensibilisés à la transidentité, qu’on facilite l’accès à des renseignements et services juridiques fiables en lien avec l’identité trans, et que des mesures correctives soient mises en œuvre pour améliorer l’inclusion des personnes trans dans les organismes publics. Il recommande également de favoriser, d’encadrer et de financer la formation juridique des personnes trans afin qu’elles puissent diriger des initiatives qui touchent leurs communautés. 

Parmi les autres recommandations figurent l’équité en matière d’emploi et la réforme du droit pénal ainsi que la création de tribunaux judiciaires et administratifs inclusifs.

On peut d’ailleurs lire ceci dans le rapport : « Les personnes trans devraient être en mesure d’accéder au système de justice sans craindre de voir leur identité trans divulguée contre leur gré, d’être victimes d’agressions, d’être victimes de mégenrage ou d’être appelées par un mauvais nom. Les tribunaux judiciaires et les tribunaux administratifs doivent être un endroit sécuritaire où les personnes trans peuvent travailler ou interagir avec d’autres personnes. »

Me Nevens trouve les recommandations satisfaisantes, car elles suggèrent d’adopter une approche générale pour éliminer les obstacles systémiques. Cependant, « c’est aussi un peu désolant et bouleversant de voir à quel point le changement est nécessaire, et à quel point les problèmes que nous avons encore à résoudre sont vastes et profonds ».

Neshama Nicole Nussbaum, qui a dirigé le projet TRANSformer la JUSTICE, estime qu’il est également nécessaire d’examiner les choses de manière beaucoup plus approfondie.

En particulier, nous devons mieux comprendre comment le système cause du tort, de façon systémique et structurelle.

« Nous devons reconnaître que nos systèmes ne se sont pas véritablement adaptés à tant de changements, sous tant de facettes, de la diversité dans notre société ». Neshama Nicole Nussbaum considère que ce qu’il faut maintenant, c’est une prise de conscience, pas un débat.

« Nous devrions pouvoir dire à quel point cela est nuisible et ouvrir les yeux sur les préjudices qui en découlent dans la société, lesquels alimentent ensuite de manière cyclique l’assujettissement aux processus obligatoires de l’appareil judiciaire ou la récidive et éloignent les gens du recours volontaire à la justice. »

« C’est bien beau quand le système veut vous imposer quelque chose, mais quand vous lui demandez de l’aide, il ne répond pas souvent présent. »

Alors, par où commencer?

En tant que membre de la communauté 2ELGBTQI+, Steeves Bujold place parmi les priorités de son mandat à la présidence de l’ABC la lutte contre les inégalités et la discrimination dont sont victimes les membres de la communauté et, plus particulièrement, les personnes non binaires et trans au Canada.

« Le nombre d’études sur l’accès à la justice a connu une augmentation notable au Canada au cours des deux dernières décennies, mais les problèmes juridiques que rencontrent les personnes trans et l’expérience qu’elles font de l’appareil juridique n’ont pas vraiment été documentés jusqu’à récemment », dit le président de l’ABC.

« Les présentes données et recommandations constituent un bon premier pas et serviront de point de départ aux discussions sur la façon dont nous pouvons améliorer l’accès à la justice pour les personnes trans. »

Dans cette optique, l’ABC a décidé de créer un groupe consultatif chargé de guider les initiatives de l’association qui ont un impact sur les communautés trans. Il amorcera son travail au cours de la prochaine année.

« En tant que figures de proue de la communauté juridique canadienne, les juristes ont le devoir de défendre et de protéger les droits de tous les membres de notre société, en particulier des personnes les plus défavorisées qui en ont le plus besoin », affirme Me Bujold.

« Nous devons poursuivre cet important dialogue; nous devons écouter, apprendre, tendre la main, afin de rendre nos systèmes de justice inclusifs pour tous. Nous profitons tous des avantages incroyables qui découlent d’une société pleinement engagée et inclusive. »