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Éliminer les préjugés

Des professionnels du droit font du travail de sensibilisation auprès d’hommes en matière de santé mentale.

Dennie Michielsen, Clyde & Co, Montréal
Dennie Michielsen, Clyde & Co, Montréal

« Amener des hommes à parler de problèmes de santé mentale est un défi, affirme Brandon Trask. Nous devons éliminer les préjugés. »

Me Trask, professeur de droit à l’Université du Manitoba et ancien procureur de la Nouvelle-Écosse, affirme qu’il a développé un trouble de stress post-traumatique (TSPT) au cours de sa carrière juridique. Il s’affaire maintenant à changer la culture juridique afin d’épargner à ses étudiants les défis auxquels il a dû faire face.

« Je parle très franchement de la santé mentale en salle de classe, dit-il. J’essaie de la déstigmatiser et de normaliser les discussions sur la santé mentale. »

« Trop d’hommes ressentent la pression d’être stoïque et d’éviter de parler de leurs sentiments, ajoute-t-il. Cela vient souvent du fait de grandir dans un environnement où il était perçu comme une faiblesse de parler de ses émotions ou de verser une larme. Mais le besoin d’être stoïque face à tout ce qui arrive n’est pas sain, et ce n’est pas humain. »

Une préoccupation au sujet de la santé des hommes est également ce qui a inspiré Dennie Michielsen, parajuriste et chercheur chez Clyde & Co Canada LLP, à lancer une initiative Movember au sein de son cabinet. Cette année, M. Michielsen, qui travaille depuis Montréal, a convaincu environ 60 collègues de partout au monde de se laisser pousser une moustache pour cette cause de bienfaisance.

« La profession juridique est une profession très stressante, soutient M. Michielsen. Cela a un impact considérable sur les personnes qui travaillent dans ce secteur. »

L’Étude nationale sur les déterminants de la santé psychologique des professionnels du droit au Canada, publiée l’an passé, a démontré que plus de la moitié des répondants déclarent ressentir de la détresse psychologique et de l’épuisement professionnel. L’étude a mis en évidence des niveaux élevés de stress, de dépression et de consommation de substances, particulièrement durant les premières années de pratique des juristes.

Selon l’étude menée par des chercheurs de l’Université de Sherbrooke grâce à du financement de la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada et de l’ABC, plus de 57 % des professionnels du droit ayant participé au sondage avaient éprouvé de la détresse psychologique et plus de 35 % avaient eu des troubles d’anxiété.

M. Michielsen qualifie les résultats de l’étude de « troublants » et souligne l’importance de mettre fin à la stigmatisation persistante qui touche les hommes. Le message est également repris par Carolena Gordon, avocate principale chez Clyde & Co LLP. « Les hommes ont tendance à ignorer leurs problèmes de santé physique et mentale. Ils sont occupés, ils sont concentrés et ils peuvent penser qu’ils n’ont pas le temps de le faire », explique Me Gordon, qui est basée à Montréal.

Selon elle, Movember est l’une des nombreuses initiatives de Clyde & Co LLP conçues pour aider les hommes à parler davantage de leur santé mentale et physique.

Une carrière en droit peut être trépidante, croit-elle. « Vous devez trouver l’équilibre en ayant une bonne santé mentale et physique. Vous devez être actif. Vous devez prendre soin de vous-même. »

Gregory G. Evans, c.r., avocat, médiateur et arbitre à Winnipeg, affirme qu’un changement dans la culture juridique est essentiel pour prévenir la perte de juristes talentueux en raison d’un soutien inadéquat en lien avec leurs problèmes de santé mentale.

Les jeunes sociétaires qui ont tendance à être récompensés par leur cabinet sont ceux qui « ont des limites mal établies et qui sont disponibles 24 heures sur 24, sept jours sur sept, explique Me Evans, qui pratique le droit de la famille. Cependant, ce n’est pas un mode de vie durable et ce n’est pas une façon pérenne de pratiquer le droit. Si vous faites cela pendant quelques années, vous allez vraiment vous épuiser. Et puis un cabinet juridique peut perdre un juriste important simplement parce qu’il n’a pas valorisé des comportements de bien-être. »

Aussi, ignorer les problèmes de santé mentale, c’est ignorer les besoins des clients. « Nous souhaitons réellement que cette profession reste utile pour les gens que nous servons, déclare Me Evans. C’est une profession incroyable et une occasion incroyable d’aider les gens et de contribuer à la construction d’une société meilleure. Toutefois, nous ne pouvons pas y parvenir si nous ne nous traitons pas bien nous-mêmes. Nous devons accepter la réalité que nous sommes brisés, et nous devons corriger cela. »

Me Evans, qui est en rétablissement pour son alcoolisme depuis trente ans, se dit particulièrement préoccupé par l’accent que met la communauté juridique sur l’alcool.

« Pensez aux événements juridiques auxquelles vous assistez. Personnellement, je peux difficilement penser à un seul d’entre eux où on ne sert pas d’alcool, dit-il. Si vous avez une culture où la socialisation nécessite de l’alcool, il y a un certain nombre de personnes qui sont des bombes à retardement. »

« Il est important de reconnaître que la profession a un problème d’alcool », explique Me Trask. La consommation d’alcool est le principal mécanisme d’adaptation pour plusieurs juristes et les événements où l’alcool est omniprésent font partie de la culture.

« La culture dans un cabinet particulier pourrait être que tout le monde se réunit pour boire un verre. Par exemple, lors d’une victoire dans une grosse affaire, tout le monde sort prendre un verre. Et si nous sommes dans le camp des perdants, nous y avons recours pour noyer nos peines », ajoute-t-il. Quand cette habitude s’enracine et devient un automatisme, les gens perdent la notion de leur niveau de consommation, le transformant en un mécanisme d’adaptation par défaut qui finit par amplifier les problèmes de santé mentale.

Me Trask, cependant, est plus optimiste quand il observe ses élèves. « Je suis encouragé de voir un changement générationnel avec les jeunes qui étudient le droit et les nouveaux diplômés. C’est essentiel à la survie de la profession, pas seulement celle des juristes individuels, mais celle de la profession elle-même. »