Favoriser l’équité dans la loi
Le fait de participer au concours de plaidoirie Julius Alexander Isaac aide les jeunes juristes à comprendre les questions raciales qu’il leur incombe de maîtriser.
Le concours, qui donne droit à des crédits et qui se tient à la Cour d’appel de l’Ontario au début du mois de février, est entièrement administré par la communauté étudiante et porte sur l’équité et la diversité. Il a été nommé en l’honneur de l’ancien juge en chef de la Cour fédérale, Julius Alexander Isaac, qui a été le premier juge noir à siéger à la Cour fédérale du Canada.
« Nous espérons que ce concours de plaidoirie aidera la future génération de juristes à reconnaître les enjeux de justice raciale auxquels elle devrait réfléchir », explique Mirabelle Harris-Eze, étudiante en droit à l’Université de Calgary et présidente nationale de l’Association des étudiants noirs en droit du Canada.
« Ce concours est aussi une façon de sensibiliser la communauté étudiante à la théorie critique de la race », affirme Chinonso Ekeanyanwu, directrice nationale du concours et étudiante en droit à l’Université Western.
La théorie critique de la race, ou « TCR », est un domaine de recherche universitaire qui se concentre sur l’intersection du droit et de l’inégalité raciale.
« La théorie critique de la race n’est pas un sujet qu’on évoque souvent dans les écoles », ajoute Mme Ekeanyanwu. Mais elle espère que la situation va changer.
Joshua Sealy-Harrington, professeur adjoint à la faculté de droit Lincoln-Alexander de l’Université métropolitaine de Toronto, convient que la TCR devrait être enseignée dans les facultés de droit.
« Il est important d’apprendre la TCR, car le droit a été utilisé comme un outil d’institutionnalisation de la suprématie blanche », déclare M. Sealy-Harrington, qui s’est porté volontaire pour rédiger le sujet de la plaidoirie au cours des quatre dernières années et qui a également occupé la fonction de juge lors du concours. « Les étudiants et étudiantes et les jeunes juristes doivent en avoir conscience pour éviter d’y contribuer. »
Selon M. Sealy-Harrington, l’apprentissage de la théorie critique de la race peut non seulement permettre à la communauté étudiante d’approfondir sa réflexion sur le droit, mais aussi de renforcer ses compétences juridiques. « Si, dans un cours de droit pénal, vous ne parlez jamais de la race, il y a tout un corpus de jurisprudence que vous n’apprenez pas, comme l’influence de la race sur la détermination de la peine et le profilage racial, ce qui représente un problème de compétence. »
Selon M. Sealy-Harrington, l’apprentissage de la théorie critique de la race peut également faire des personnes étudiant le droit des citoyens et des citoyennes qui ont conscience des inégalités sur le plan politique.
« Dans le contexte canadien, je ne pense pas que la race soit le seul facteur qui permette de comprendre les questions du pouvoir et de l’inégalité, mais elle fait partie de ceux qui comptent beaucoup, affirme-t-il. Le Canada est un État colonial. Il est issu du génocide et du déplacement forcé des Autochtones. Il a longtemps connu et connaît encore de la discrimination raciale. Par exemple, les prisons, les corps de police et les organismes de protection de l’enfance mettent en évidence l’existence de disparités raciales considérables. La combinaison de tous ces éléments prouve que l’attention portée à la race ne constitue pas une digression ou une distraction, mais qu’elle est nécessaire pour comprendre le fonctionnement des institutions juridiques. »
Patricia DeGuire, commissaire en chef de la Commission ontarienne des droits de la personne, qui a également été juge et mentore dans le cadre du concours de plaidoirie, affirme que la théorie critique de la race ne tient pas seulement compte de la discrimination raciale.
« Elle offre plus qu’un cadre d’accès unique dans lequel examiner la discrimination, qu’il s’agisse de race, de genre, de sexualité, de religion, etc., explique Mme DeGuire. Prenons l’exemple du dossier d’une femme qui est victime de discrimination sur son lieu de travail. Cette femme est noire, musulmane, handicapée et membre de la communauté LGBT. Comment peut-on décemment prétendre que la discrimination dont elle fait l’objet est uniquement due au fait qu’elle porte un hidjab? »
Selon elle, la théorie critique de la race oblige également les gens à remettre en question les biais inhérents et inconscients.
« Je ne vois pas d’outil plus efficace et efficient qu’une analyse TCR pour aborder les questions liées aux droits de la personne, et même celles qui touchent à la Charte », déclare-t-elle.
En prévision du concours, l’Association des étudiants noirs en droit du Canada a organisé une conférence virtuelle sur la théorie critique de la race dispensée par Michelle Williams, professeure à la faculté de droit Schulich de l’Université Dalhousie, à Halifax. La conférence, qui était ouverte aux personnes inscrites au concours ou qui souhaitaient y participer, ainsi qu’aux étudiants et étudiantes en droit et à l’ensemble de la communauté, a fourni un aperçu de la théorie critique de la race.
« Le concours de plaidoirie a encouragé les facultés à envisager d’inclure davantage de cours axés sur la diversité dans leurs programmes pour permettre à la communauté étudiante de se préparer, explique Mme Harris-Eze.
À la suite de la conférence et du concours, les étudiants et étudiantes ont demandé à leurs facultés d’offrir des cours sur la théorie critique de la race et ont pu avancer des arguments de justice raciale avec plus d’aisance après l’obtention de leur diplôme. Ce fut un exercice de plaidoyer très important pour la formation de la future génération de juristes ».
En plus de l’accent mis sur la théorie critique de la race, Mme Ekeanyanwu affirme que c’est l’importance accordée à la théorie qui rend ce concours unique.
« Dans notre mandat, nous exigeons qu’un argumentaire fondé dans la théorie soit inclus dans le mémoire et la plaidoirie, souligne-t-elle. Nous encourageons les personnes participantes à aborder non seulement la théorie critique de la race, mais aussi d’autres questions de justice sociale comme le droit des personnes handicapées, les questions féministes et d’autres éléments qui ne sont parfois pas évoqués au tribunal. »
Comme l’explique Mme DeGuire, le concours de plaidoirie donne également aux étudiants et aux étudiantes l’occasion de mettre en pratique les compétences qui leur seront nécessaires en tant que juristes. « Nous leur donnons l’occasion d’apprendre la théorie, d’effectuer des recherches, d’en vérifier l’applicabilité et d’en comprendre l’importance dans le discours du litige. Ces démarches leur donnent le réflexe d’affûter leurs capacités d’écoute et d’analyse à l’endroit des personnes aux identités intersectionnelles », ajoute-t-elle.
Depuis la création du concours de plaidoirie en 2008, Mme Ekeanyanwu indique que le nombre de personnes et de facultés de droit participantes n’a cessé de croître. Cette année, onze facultés y participent.
« Puisqu’il s’agit d’un concours de plaidoirie géré par la communauté étudiante, nous donnons véritablement la priorité à ses membres. Nous savons ce qu’elle souhaite voir et apprendre, et nous savons comment réaliser au mieux ce mandat, car le point de vue duquel on se place est très différent, explique Mme Ekeanyanwu. C’est un travail d’amour. »