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Entrevue avec le président de l’ABC, Stephen Rotstein

Le nouveau président de l’ABC nous parle de ses priorités pour 2021-2022, de son souci du bien-être et des défis qui attendent la profession juridique au sortir de la pandémie.

Le president de L’ABC Stephen Rotstein
Mark Blinch

ABC National : Les temps sont durs pour la profession. La pandémie a forcé les juristes à repenser leur environnement de travail, la prestation de leurs services. Les tribunaux ont aussi dû s’ajuster à de nouvelles réalités. Dans cette optique, quelles sont vos priorités pour l’année à venir?

Stephen Rotstein : Je veux donner la priorité aux problèmes que connaissent actuellement nos membres. Il y a tout d’abord la question de l’adaptation au monde d’après la pandémie : quel sera le nouveau quotidien des juristes en milieu de travail? Que leur faudra-t-il pour qu’ils se préparent aux futures réalités du droit? Comment peuvent-ils tirer parti des occasions qui naissent de ces changements? C’est dans cette optique que ma priorité pour notre association est d’outiller nos membres de la formation et des outils nécessaires pour réussir dans un monde qui se virtualise. Notre but est d’aider les juristes en pratique privée à adapter leurs cabinets et services aux demandes des clients, et les juristes internes à s’adapter aux demandes en constante évolution de leurs employeurs.

Cela rejoint ma priorité suivante : voir à leur bien-être. C’est peut-être anecdotique, mais j’ai vent d’énormément de juristes qui, professionnellement, sont l’image même de la réussite – les clients abondent, leur cabinet ne dérougit pas –, mais qui sont loin d’être satisfaits parce que leur équilibre carrière-vie personnelle s’est complètement effrité avec le télétravail et les réunions qui commencent tôt et s’étirent parfois jusqu’à tard dans la soirée. Le bien-être et la santé mentale sont des priorités absolues pour ma présidence. Nous devons veiller à ce que nos membres soient équipés pour s’épanouir sur le plan professionnel comme personnel.

Il ne faut pas non plus arrêter notre important travail de représentation sur les questions de la réforme du droit et de la réponse du système juridique tout entier aux réalités post-pandémiques. Les pouvoirs judiciaires planchent actuellement sur ces questions, en collaboration avec le gouvernement. En tant que plus grande association représentant la profession juridique au pays, l’ABC se doit d’être à la table des discussions, tout comme elle l’était l’an dernier avec le lancement de notre Groupe de travail de sur les enjeux juridiques liés à la COVID-19.

Enfin, nous devons nous questionner en profondeur sur la position de notre profession et ce qu’elle peut redonner à la collectivité. C’est là une priorité très personnelle pour moi. Nous, juristes, jouissons d’un statut enviable, et disposons de compétences que bon nombre d’organisations recherchent. Nous devons donc nous impliquer comme leaders bénévoles. Pour certains, cela prend la forme de travail juridique bénévole, pour d’autres, de la participation à des tables et conseils communautaires. Chacun peut faire du bénévolat à toutes sortes de titres. Ce qui compte, c’est que la profession juridique contribue à la collectivité. Vous allez m’entendre reparler souvent de l’importance du bénévolat et des manières dont l’ABC peut aider ses membres à passer à l’action.

N : Quels autres défis voyez-vous aujourd’hui pour la profession juridique au Canada?

SR : Nous vivons une période de changements sans précédent à laquelle la profession s’adapte encore. Et pas uniquement sur le plan de la prestation des services : nous sommes en train de comprendre que les clients sont susceptibles de nous solliciter autrement. Il faut aussi penser aux défis du quotidien en milieu de travail. Par exemple, comment faire pour mentorer les jeunes juristes qui ne veulent pas revenir en présentiel? Ils veulent travailler, mais ils préfèrent être au travail virtuellement, ou encore, ils ont d’autres priorités. Quoi qu’on en pense, reste qu’il faut de bonnes et solides relations entre les recrues et les associés plus expérimentés – ou entre les employés et les gestionnaires, dans le cas d’un service juridique interne. Il faut donc penser au développement professionnel des jeunes juristes pour que ceux-ci s’épanouissent et aient des possibilités d’avancement.

N : On peut difficilement parler de la pandémie au passé, mais si l’on se projette dans l’avenir, sur quoi devraient se concentrer les juristes pour reprendre pied dans un monde post-pandémique?

SR : En effet, ce monde post-pandémique n’est pas encore une réalité, mais le jour arrivé, les juristes devront se concentrer sur leur capacité d’adaptation. On parle souvent de « nouvelle normalité », et si je ne suis pas certain d’aimer cette expression, il faut bien avouer que lorsque nous reprendrons le chemin de nos bureaux – si l’on y retourne –, il faudra changer beaucoup de choses. La bonne nouvelle, c’est que la profession juridique s’est avérée exceptionnellement adaptable. L’ABC aussi. Par exemple, nos conférences et la plupart de nos formations continues se faisaient en personne. Certes, on souhaite ravoir de nouveau des événements en présentiel, car l’interaction humaine est importante. Mais notre offre en ligne a aussi été bien accueillie. Nous avons tenu des symposiums en ligne et créé d’autres produits virtuels, qui ont été fort bien reçus. Les gens peuvent y accéder de chez eux ou depuis leur bureau, sans avoir à investir temps et argent pour se rendre dans une autre ville.

N : Avec l’adaptation des tribunaux et juristes à la vie en temps de pandémie, l’accès à la justice s’est amélioré pour certains, mais pas pour tous. Sur quoi faut-il se concentrer afin d’améliorer le système juridique canadien pour tout le monde?

SR : Il faut se concentrer sur le public. L’appareil judiciaire est là pour servir le public, et dans la même optique, ses membres et tous les juristes sont des serviteurs publics. Il est vrai qu’à l’occasion de la pandémie, certains ont vu s’ouvrir des accès à la justice, comme c’est le cas dans les collectivités éloignées, mais dotées d’une bonne connexion Internet. Leur population peut obtenir des services judiciaires sans avoir à faire deux à trois heures de voiture, ce qui est super. L’envers de la médaille, c’est que la migration en ligne des services complique la vie des gens qui n’ont pas Internet haute vitesse ou qui se débrouillent mal avec la technologie. C’est pourquoi l’ABC milite pour un meilleur accès à la justice sur toutes sortes de fronts en parallèle. Oui, l’accès à la justice, c’est avoir la possibilité d’embaucher un juriste pour se faire conseiller et représenter. Mais c’est aussi avoir la capacité d’interagir avec le système judiciaire lui-même.

N : Parlez-nous davantage du travail de représentation de l’ABC.

SR : L’ABC est un grand chapiteau regroupant toutes sortes de causes et initiatives de représentation. Je veux d’ailleurs souligner l’une de ces causes, quelque chose qui tenait fortement à cœur de mon prédécesseur, Brad Regehr, et qui m’intéresse aussi : la vérité et la réconciliation avec les peuples autochtones. Brad a fait un gros travail pour attirer l’attention sur les questions entourant les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation, le besoin de mieux éduquer les juristes sur le sujet et les façons pour les cabinets et services juridiques d’être de meilleurs alliés pour leur clientèle autochtone. L’ABC continuera, par ses initiatives, de militer férocement pour ces mesures. Sans oublier tout le travail de promotion de la diversité et de l’inclusion dans la profession juridique, et particulièrement dans l’appareil judiciaire. La nomination du juge Mahmud Jamal, premier juge de couleur à être nommé à la Cour suprême du Canada, restera dans les annales, mais ce n’est qu’un point de départ. Notre système juridique et judiciaire doit refléter la population qu’il sert. Nous n’avons pas fini de rappeler l’importance d’avoir un barreau et un appareil judiciaire diversifiés et inclusifs.