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Entrevue avec le président de l’ABC, Brad Regehr

Le nouveau président de l’ABC parle de ses priorités pour l’année à venir, des effets de la pandémie sur la profession juridique et du rôle de l’ABC dans le processus de réconciliation.

Brad Regehr, Président de l'ABC, Maurice Law, Barristers & Solicitors
Brad Regehr, Président de l'ABC, Maurice Law, Barristers & Solicitors Daniel Crump

ABC National : Vous commencez votre présidence dans un contexte particulier, alors que les déplacements sont limités et que les réunions se tiennent virtuellement. Malgré ce défi, comment comptez-vous communiquer avec les membres au long de votre mandat?

Brad Regehr : Je me suis résigné à ne pas pouvoir me déplacer d’ici la fin de l’année; j’aviserai pour l’hiver et le printemps. Mais pour l’instant, je pourrai tout de même rejoindre les membres de plusieurs façons. Je prendrai notamment la parole, à l’écran, lors de l’assemblée générale annuelle des divisions de la Nouvelle-Écosse et du Yukon. J’espère que les choses se replaceront d’ici la fin de mon mandat et que je pourrai me déplacer et rencontrer les membres en personne. Je vais aussi produire une série de balados sur le rapport de la Commission de vérité et réconciliation et sur les initiatives de l’ABC découlant des appels à l’action. C’est un sujet qui m’interpelle vivement, puisque mon grand-père a lui-même fréquenté les pensionnats.

: Les manifestations antiracisme qui se multiplient dans le monde ont rallié les peuples autochtones du Canada. Y voyez-vous une occasion de renouveler le rôle de la profession juridique dans la réconciliation?

BR : C’est une porte toute grande ouverte. La Fédération [des ordres professionnels de juristes du Canada] a fait beaucoup de ce côté au fil des ans et a récemment adopté des recommandations pour favoriser la réconciliation. À l'ABC, nous avons nous aussi participé aux travaux visant à mettre en œuvre les recommandations contenues dans le rapport du juge Sinclair et nous avons mis sur pied un programme éducatif, Le parcours, en collaboration avec un partenaire autochtone, NVision Insight. La réponse a été extraordinaire : des cabinets partenaires nous demandent de les aider à personnaliser le programme, et des barreaux souhaitent l’utiliser. Mais le défi demeure, et il suffit de lire le rapport de la CVR et les nombreuses études qui l’ont précédé pour comprendre pourquoi. Les personnes autochtones sont surreprésentés dans les systèmes de justice pénale et de protection de l’enfance. Il est évident que nous faisons face à un problème majeur, qu’il faut absolument régler. Mais le système juridique ne pourra y arriver seul.

N : Que pouvons-nous donc faire pour améliorer le système juridique canadien pour les personnes autochtones?

BR : C’est une question extrêmement complexe. Et nous devons éviter d’adopter une mentalité selon laquelle que le système juridique, seul, va arranger les choses pour les autochtones. Pour que les choses changent, il faudra impliquer les personnes autochtones. Évidemment, il faut mobiliser le barreau, et l’Association du Barreau canadien a un immense rôle à jouer dans tout cela. Mais il est crucial de travailler avec les populations autochtones pour comprendre les problèmes auxquels elles sont confrontées, la discrimination dont elles sont victimes et les injustices qu’elles subissent. Les populations autochtones doivent être impliquées dans la résolution de ces problèmes

N : Sous quel angle les avocats et les juristes non autochtones devraient-ils aborder le problème?

BR : Ils doivent d’abord s’informer, au moyen de programmes comme Le parcours ou d’autres ressources qui leur permettront de comprendre quels sont les enjeux. Ils devraient aussi rencontrer, apprendre à connaître et échanger avec des personnes autochtones : c’est facile de suivre un cours en ligne, mais rien ne remplace le dialogue avec les personnes directement touchées. Et il faut l’avouer, les gens sont trop nombreux à penser que ces problèmes n’existent pas, simplement parce qu’ils ne les voient pas, ou même à les nier.

N : Quels autres grands défis voyez-vous aujourd’hui pour la profession juridique au Canada?

BR : Le principal défi, c’est toujours l’accès à la justice. On voit de plus en plus de parties se représenter elles-mêmes, et ça pèse sur les tribunaux. Dans certaines juridictions, on rapporte que jusqu'à 70 % des justiciables comparaissent sans conseiller juridique. Il en résulte des retards importants. Dans les cas de droit familial, l’aide juridique est sous-financée; c’est un gros problème. La pandémie a forcé une prise de conscience pour toute la profession – les juristes, le système juridique, les juges, les greffiers et aussi pour et les registres fonciers et des sociétés. L’efficacité du système est devenue le centre de l’attention. Cela dit, j’ai été impressionné, parce que les tribunaux et les registres se sont adaptés assez rapidement sur presque tous les plans. J’espère que certains des changements qui ont été mis en œuvre resteront. D’ailleurs, il sera intéressant de voir les conclusions du Groupe de travail de l’ABC sur les enjeux juridiques liés à la COVID-19, avec la contribution des cours fédérales et des autres parties intéressées. Son rapport est attendu au tout début de l’année prochaine.

N : D’autres priorités à signaler?

BR : Je souhaite assurément faire honneur à l’excellent travail de Vivene Salmon, qui a su guider l’ABC dans la bonne direction et montrer tout ce que l’Association peut apporter aux membres. Dans le contexte de la pandémie, le volet du bien-être demeurera également une des priorités, tout comme les jeunes juristes, qui occupent une place prépondérante dans notre orientation stratégique. Ils seront une priorité pour moi, tout comme ils l’étaient pour Vivene. Nous pouvons profiter de ce virage virtuel pour les rejoindre; nous savons qu’ils sont à l’aise avec la technologie et qu’ils cherchent des occasions de mentorat et de réseautage. Comme tous les juristes, ils sont avides de connaissances sur tout ce qui peut les aider dans leur pratique. Heureusement, l’ABC offre d’excellents programmes de formation professionnelle continue en ligne.

N : À quoi ressemblera le travail de représentation de l’ABC?

BR : Nos prises de position représentent un atout indéniable que l’ABC offre à ses membres depuis des décennies, et cela continuera. Sans pour autant délaisser les questions juridiques de fond, nous nous concentrons un peu plus sur la question de l'accès à la justice en ce moment. En effet, nous ne pouvons pas tout faire et nous devons être plus sélectifs dans le choix de nos cibles.

Cette entrevue a été révisée et abrégée pour fins de publication.