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Q&R : La lutte contre les pratiques abusives des vendeurs à découvert

Les vendeurs à découvert ne doivent pas pouvoir s’enrichir grâce à de l’information trompeuse et mensongère qu’ils font circuler, affirme Robert Staley de Bennett Jones.

Robert Staley, un associé chez Bennett Jones à Toronto

La pression monte pour les organismes de réglementation des valeurs mobilières au Canada : on les pousse de plus en plus à agir contre les vendeurs à découvert, qui font des déclarations fausses ou trompeuses pour manipuler les cours, nuisant ainsi aux marchés. Pour l’heure, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières, qui représentent les treize organismes de réglementation provinciaux et territoriaux, sont toutefois restées laconiques : elles commenceraient tout juste à se pencher sur ces pratiques. Alors, comment s’attaquer à ce problème? ABC National a posé la question à Robert Staley, associé et avocat plaidant en valeurs mobilières chez Bennett Jones, à Toronto.

ABC National : En quoi la vente à découvert est-elle nuisible?

Robert Staley : Du point de vue de la réglementation, elle pose deux problèmes, qui viennent tous deux de la facilité avec laquelle on peut diffuser de l’information sur Internet et sur les sites de clavardage populaires auprès des investisseurs. Pour commencer, il y a les articles de recherche anonymes, conçus pour plomber des titres, qui sont habituellement publiés après qu’une ou plusieurs personnes aient pris des positions à découvert en prévision de leur effet. Souvent, l’étude en tant que telle est légitime, mais elle peut contenir beaucoup de déformations, de demi-vérités et d’exagérations. Bref, ces articles sont écrits dans un but précis : faire baisser le cours d’une action. Mais ce n’est pas le genre d’étude équilibrée et réfléchie que vous auriez si, par exemple, vous faisiez affaire avec un courtier de banque. Le deuxième problème, c’est que certaines entreprises vont publier elles-mêmes ce genre d’études, parce que c’est en fait leur travail de faire des ventes à découvert ou de produire des rapports biaisés qu’elles enverront à leurs clients à l’avance. Et encore une fois, on a généralement affaire à un mélange de demi-vérités, d’exagérations et de déformations combiné à quelques déclarations factuelles.

N. : Pourtant, c’est interdit de présenter de l’information trompeuse, non?

R.S. : C’est vrai, mais il y a des seuils légaux qui rendent difficile de prouver qu’il y a eu déclaration inexacte. Très souvent, l’information est présentée comme étant de simples commentaires ou opinions, plutôt que des questions ou déclarations de fait. Elle est écrite de manière à remplir son objectif, alors qu’il s’agit d’affirmations quant à un fait inexact. Quand on choisit bien ses mots, on peut poser une foule de questions pernicieuses pour faire chuter le prix d’une action sans que ce soit techniquement de l’information trompeuse. Mais la personne sait ce qu’elle fait, et tout le monde le sait.

N. : Qu’est-ce que les sociétés visées peuvent faire sur le plan juridique?

R.S. : À part les lois sur les valeurs mobilières, elles pourraient recourir au droit de la responsabilité délictuelle, par exemple en portant une plainte pour diffamation ou dénigrement. Actuellement, on voit des allégations de complot à l’encontre d’auteurs d’études et de vendeurs à découvert, qui auraient collaboré pour tirer les cours vers le bas et couvrir leurs positions. Mais c’est difficile d’agir, parce que dans une société démocratique libre, les gens devraient pouvoir s’exprimer librement, tant qu’ils ne mentent pas délibérément quand ils commentent une action cotée en bourse. On ne voudrait pas non plus que les investisseurs cessent de donner leur opinion par crainte de représailles si l’entreprise n’aime pas ce qu’elle entend. Malgré tout, pour les organismes de réglementation, c’est préoccupant.

N. : Il reste quand même des avenues juridiques.

R.S. : Eh bien, le problème, c’est que beaucoup d’entreprises ne veulent pas mettre le temps ni l’effort pour gérer tous les cas notables de déclarations mensongères. Et puis, n’oubliez pas que ce sont souvent des publications anonymes, alors ces entreprises ne sauraient même pas qui poursuivre. Sans oublier que si le cours de l’action est touché, ce sont les actionnaires qui en souffrent, pas l’entreprise elle-même. Il faudrait donc déterminer si elle peut intenter une poursuite parce que ses actionnaires essuient des pertes.

N. : Est-ce que les actionnaires pourraient se prévaloir d’un droit privé d’action en justice?

R.S. : Oui, mais ils devraient d’abord convaincre les autres de faire cause commune, et il resterait encore le problème de la personne à poursuivre. C’est que ces pratiques sont tellement répandues, et que si peu de cas sont mis en lumière.

N. : Alors, qu’est-ce qu’on devrait faire pour régler le problème?

R.S. : L’avantage, avec les organismes de réglementation, c’est qu’ils ont habituellement des pouvoirs de citation à comparaître assez importants, alors ils peuvent aller chercher de l’information là où ce serait normalement impossible avec un droit privé d’action. Et c’est une des raisons pour lesquelles il pourrait être bon d’élargir leur champ d’action et de leur donner plus d’outils. En ce qui concerne les lois sur les valeurs mobilières, s’il y avait un changement à faire, ce serait de les modifier pour tenir compte de la confiance supposée quand des déclarations trompeuses sont faites par des gens qui s’adonnent à la vente à découvert ou qui la facilitent. Comme ça, si quelqu’un ne fait que publier des études indépendantes ou passer des commentaires, cette personne n’aura pas le même traitement qu’une autre qui présente ses recherches pour en profiter personnellement, en plombant le cours d’une action, ou qui les vend à quelqu’un d’autre à l’avance dans ce même but. C’est un aspect qu’on pourrait encadrer en appliquant des seuils plus bas pour établir la responsabilité. Au fond, le problème, ce ne sont pas les vendeurs à découvert eux-mêmes, car ils jouent un rôle utile sur le marché : le problème, c’est quand de l’information trompeuse et mensongère circule pour leur permettre de s’enrichir au détriment des autres. Il faut alors découvrir qui en est à l’origine, et qui en a profité.