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Femmes & leadership

Beverley Spencer est réactrice en chef du magazine National.

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Elles sont plus nombreuses que jamais à entrer dans la profession juridique depuis 20 ans, mais les femmes peinent encore à y progresser et à trouver des solutions satisfaisantes pour concilier travail et vie personnelle. Selon Deborah Epstein Henry, fondatrice de Flex-Time Lawyers LLC et consultante américaine sur la rétention et l’avancement professionnel des avocats, aussi bien les femmes que les cabinets juridiques doivent reconsidérer leurs façons de faire pour que les choses changent.

Beverley Spencer, rédactrice en chef du magazine National, l’a rencontrée à la conférence du Forum des avocates de l’ABC Leadership au féminin, à Montréal.

National : Pourquoi sommes nous encore en train de parler de femmes et de leadership?

Deborah Epstein Henry : Le problème, en partie, c’est que les femmes ne saisissent pas les occasions qui se présentent. Et il y a la difficulté de savoir quels gestes poser. Il s’agit de leader­ship, de former les bonnes alliances stratégiques, être efficace dans son réseau, faire de l’autopromotion et gérer les défis en matière de flexibilité et d’équilibre travail-vie personnelle.

Mais l’autre problème tout aussi grave est que les milieux de travail ne sont pas accueillants. Lorsque des femmes prennent les choses en main, en tant qu’entrepreneures ou dans des milieux moins traditionnels, elles réussissent mieux. Si la mesure de la valeur est le nombre d’heures travaillées, la concurrence est difficile pour les femmes. Mais si c’était la qualité du travail, les résultats et l’efficacité, elles seraient en bien meilleure posture. C’est une des raisons pour lesquelles je favorise des méthodes de facturation alternatives : on doit mesurer autre chose que les heures.

J’ajouterai que ce n’est pas seulement question de ce qui se passe au travail. Les femmes assument une trop grande part des responsabilités à la maison. Si vous devez soigner les enfants et gérer votre ménage, vous ne pouvez pas vous consacrer convenablement à votre travail. Donc, il faut aussi déléguer à la maison, pas seulement au travail.

National : Pourquoi les cabinets juridiques résistent-ils tant au changement dans leur struc­ture traditionnelle?

Henry : Quand je travaille avec des gestionnaires, j’entends différents arguments. Il y a le poids des frais généraux : il serait prohibitif pour des avocats travaillant un nombre d’heures réduit d’assumer la même part des frais généraux que leurs collègues à temps plein. Les cabinets cherchent à simplifier la comptabilité : ils divisent le total des frais géné­raux par le nombre d’avocats pour déterminer la part attri­buable à chacun d’eux. Pourtant, l’associé qui occupe un grand bureau consomme bien plus de frais généraux que l’avocat salarié qui partage une secrétaire et qui a un petit bureau et donc utilise moins de ressources du cabinet.

La première chose à faire serait de répartir plus équi­tablement les frais géné­raux de sorte que vous pourriez assurer la rentabilité en facturant, par exemple, selon un horaire de 60 %. Une fois que ce chiffre est établi, il y a bien moins de résistance.

Un autre argument que j’entends souvent est que les avocats à mi-temps ne sont tout simplement pas rentables. Je dis que c’est encore une fois mal compter. Il ne faut pas comparer la rentabi­lité d’un avocat à temps plein à celle d’un avocat travaillant à 80 %. Il faut comparer la rentabilité de l’avocat à 80 % à une rentabilité de 0 %. De nombreux avocats qui n’obtiennent pas la flexibilité dont ils ont besoin quittent.

Quand un avocat demande des heures flexibles ou réduites, la première question à poser est de savoir s’il s’agit d’un avocat que nous voulons retenir et promouvoir. Est-il bon? Si oui, il reste à voir comment des aménagements sont possibles pour assurer la flexibilité qu’il cherche sans que les collègues et les clients en souffrent. Telle est réellement l’équation. Il faut aussi prévoir que cette personne sera peut-être à 80 % pendant deux ou trois ans, puis à temps plein par la suite.

National : Comment les femmes peuvent-elles aider à démontrer la rentabilité d’une telle solution?

Henry : Elles doivent comprendre les paramètres écono­mi­ques, et elles doivent prouver que leurs propositions ne nui­sent pas aux collègues ou aux clients. Elles peuvent dire : « Je veux essayer ceci pendant six mois et démontrer que personne ne doit absorber mon travail. Donc aucun ressentiment du côté des collègues. Je fais encore ce qui est nécessaire. Je suis disponible et accessible. Je produis du travail de qualité. Simplement, je m’occupe proportionnellement de moins de dossiers. Ma rémunération est moindre. »

Elles doivent convaincre qu’elles peuvent encore gérer le travail et répondre aux besoins.

National : Les femmes devraient-elles envisager de renoncer complètement au modèle traditionnel en faveur de nouvelles solutions — cabinet virtuel ou quelque autre formule?

Henry : Je suis une grande partisane des nouveaux modèles juridiques. Les cabinets virtuels sont magnifiques; ceux qui fournissent des avocats sur une base contractuelle aussi. Cela dit, je ne dis pas que toutes les femmes doivent rejeter les grands cabinets et les formules traditionnelles. Ce serait abandonner. Le milieu de travail traditionnel doit évoluer en fonction de la réalité d’aujourd’hui. Voilà la réponse : non pas abandonner le milieu de travail traditionnel, mais le changer.

National : Que diriez-vous à une jeune femme pour l’aider à réussir et obte­nir une satisfaction professionnelle en droit?

Henry : La plus grande erreur que je constate chez les étu­diantes en droit ou autres avo­cates en devenir est qu’elles ont une vision très étroite de ce qu’elles doivent faire pour réussir. Elles croient qu’elles doivent simplement être de bonnes avocates.

Les avocates débutant dans la profession doivent penser aux multiples dimensions de leur apport potentiel : créer des alliances stratégiques; bâtir un bon réseau; développer leurs compétences et être prêtes à assumer des postes de direction; être capables de gérer la conciliation travail-vie personnelle; être efficace sur le plan de l’autopromotion. C’est l’ensemble de ces choses-là qui entrainera une satisfaction au travail. Ce qui est intéressant dans la recherche sur les raisons du départ des femmes de la profession est que ce n’est pas seulement lié à l’équilibre travail-vie personnelle; c’est aussi l’absence de satisfaction.

Si vous vous investissez davantage dans le travail en dé­ve­loppant toutes ces compétences, vous en tirerez bien plus de satisfaction. L’autre chose est de s’assurer de choisir un ca­binet et un domaine qui vous intéresse réellement. Si vous n’aimez pas la nature du travail ou votre milieu de travail, ce n’est pas viable. Vous devez donc bien y réfléchir.

Ceci est une version abrégée de l’interview mené en anglais.