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À la tête de la nouvelle Commission du droit du Canada

Shauna Van Praagh entend assurer la pérennité de son retour.

Shauna Van Praagh

Professeure de droit à l’Université McGill depuis longtemps, Shauna Van Praagh était prête pour un nouveau défi. Après presque 30 années passées à enseigner à des générations de juristes et à alimenter la réflexion sur l’éducation juridique, elle assume la présidence de la Commission du droit du Canada, nouvellement reformée.

Shauna Van Praagh a été nommée à ce poste en février, au même moment que deux des commissaires, Sarah Elgazzar et Aidan Edward Johnson. C’est le ministre de la Sécurité publique Marco Mendicino qui a dirigé le processus, après que se fut récusé le ministre de la Justice David Lametti, un ancien collègue de Me Van Praagh.

« Je m’intéresse à la Commission du droit depuis 1997, moment où l’un de mes collègues est devenu président de l’organisation nouvellement reconstituée, indique Shauna Van Praagh. Je parle d’ailleurs de son rapport La dignité retrouvée dans mes cours depuis sa publication. »

L’ABC a joué un rôle déterminant à la création de la Commission de réforme du droit du Canada en 1971 afin de fournir des conseils au gouvernement sur des questions de modernisation du droit. Depuis lors, elle s’est engagée à assurer sa pérennité.

Lorsque le gouvernement fédéral a annoncé qu’il allait reconstituer une commission indépendante, Shauna Van Praagh était ravie. Puis, lorsque l’appel de candidatures a été lancé, elle était terrifiée à l’idée de remettre sur pied la Commission du droit, mais s’est dit qu’elle était bien placée pour s’attaquer à cette entreprise, avec ses 30 années d’expérience d’enseignement en droit, se souvient-elle

À ce moment, elle venait tout juste de publier un livre sur lequel elle avait travaillé pendant 17 ans et estimait pouvoir apporter sa contribution.

Durant son mandat à la Commission, Me Van Praagh sera en congé de McGill, où elle prévoit retourner après ses cinq ans de mandat. En tant que professeure, elle s’identifie comme généraliste; elle a donné des cours sur la responsabilité civile à des étudiants de première année pendant la majeure partie de sa carrière, et a aussi enseigné à des étudiants au doctorat et donné plusieurs séminaires spécialisés.

« C’est un moment important pour le Canada, affirme-t-elle, ajoutant qu’elle espère que les juristes de partout au pays s’intéresseront aux travaux de la Commission. Ça fera partie de notre mandat – voir à ce que les travaux de la Commission soient d’actualité, marquants, utiles et novateurs dans les prochaines années. »

Selon le gouvernement, le mandat de la Commission est notamment « de lutter contre le racisme systémique dans le système législatif et juridique et de soutenir les efforts de réconciliation avec les peuples autochtones ». Elle concentrera également son action sur l’accès à la justice, les enjeux juridiques entourant les changements climatiques et l’évolution rapide des technologies.

« Je ne suis pas surprise que le ministre de la Justice ait fait de ces enjeux des priorités, et potentiellement, des projets pour la Commission du droit. Mais à l’heure actuelle, aucune discussion n’a encore eu lieu. »

La loi permet au ministre de présenter des requêtes spécifiques à la Commission. « J’espère fortement que cette relation sera fondée sur le respect et la collaboration, et sur le dialogue quant aux priorités et dossiers », précise Shauna Van Praagh.

Mme Van Praag mentionne qu’elle n’a pas encore discuté avec le ministre de la Justice, chose qui se fera lorsqu’elle entrera officiellement en fonction, à la fin de l’année scolaire en juin.

Elle accorde une grande importance à l’indépendance de la Commission, et estime qu’il est crucial que son mandat ne chevauche pas celui d’autres organisations, y compris le ministère de la Justice.

Elle veut aussi consolider le Conseil consultatif de la Commission. « Nous avons besoin de 12 à 14 membres, et deux commissaires sur quatre ont été choisis. »

Il se pourrait que la Commission ait besoin d’un peu de temps pour être bien rodée, mais Shauna Van Praagh souhaite définir son programme et son cadre d’ici l’automne.

Elle est également impatiente de consulter les commissions de droit et les barreaux provinciaux. Elle prévoit aussi communiquer avec des centres communautaires et des écoles secondaires, car selon elle « on demande souvent à différentes communautés de donner leur avis sur les conséquences des structures, règles et règlements sur leur quotidien ».

Me Van Praagh est d’avis que la Commission du droit a un rôle de soutien unique à jouer dans l’harmonisation là où c’est nécessaire, et la poursuite du dialogue avec les territoires et provinces et entre les différentes traditions juridiques.

Elle se soucie également de l’état dans lequel elle laissera la Commission dans cinq ans. Sa reprise doit « être solide, et il ne faut pas que son financement soit de nouveau menacé, soutient-elle. On ne veut pas revivre cette situation tous les 20 ans. »

Les projets de réforme du droit se heurtent inévitablement au contexte politique. « Les projets qui fonctionnent sont souvent trop intimement liés au gouvernement au pouvoir, ce qui est risqué parce qu’on passe notre temps à avancer, puis à reculer, explique-t-elle. Et ça devient difficile de susciter l’adhésion de la population. »

Si les 30 années d’enseignement du droit ont appris quelque chose à Shauna Van Praagh, c’est l’importance de poser continuellement des questions et d’écouter. Elle évoque également une rencontre avec une étudiante arrivée de Syrie, qui rêvait d’étudier en droit, ce qui aurait été vain dans son pays d’origine, alors qu’ici, elle pouvait s’imaginer comme juriste et apporter sa contribution

« Souvent, on ne se rend pas compte à quel point il est difficile et précieux de s’accrocher à  des choses qu’on tient souvent pour acquises, rappelle Me Van Praagh. On ne s’attarde pas à comprendre à quel point la primauté du droit, l’indépendance des tribunaux et cette quête de justice commune sont cruciales, tout comme la possibilité de s’imaginer un avenir plus juste. »

D’après elle, les salles de classe et l’enseignement lui manqueront. « Mais j’ai bien hâte d’apprendre auprès de tous ces gens à qui je n’ai pas enseigné, et je juge que le moment pour le faire est particulièrement propice. »