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Mémoires juridiques 2.0

L'entreprise en démarrage Alexsei se donne pour mission d’optimiser la recherche juridique.

Mark Doble, CEO of Alexsei

Mark Doble s’est fixé un but : faire en sorte que la recherche juridique soutienne le travail des avocats au lieu de l’alourdir. Il veut aussi qu'ils cessent de réinventer la roue

Me Doble est président et cofondateur d’Alexsei, une entreprise en démarrage dont la plateforme numérique fournit des réponses aux questions de recherche juridique. L’outil vise à mettre à jour la façon traditionnelle de confier les recherches et la préparation de mémoires juridiques à des stagiaires ou à des jeunes avocats. Ce n’est pas à eux qu’Alexsei fait appel pour éplucher documents et mémoires existants, mais bien à l’intelligence artificielle, qui compile les sources les plus pertinentes et produit, à partir de celles-ci, un mémoire juridique en bonne et due forme.

« Partout au pays, on répète le même travail de recherche juridique, ce qui fait augmenter considérablement son coût et multiplie le risque d’erreurs », explique Me Doble. « Nous nous efforçons de créer un produit exceptionnel de recherche qui répond à toutes les questions juridiques, peu importe leur degré de complexité. »

Ayant terminé son droit à l’Université Queen’s en 2016, Me Doble a fait un stage dans un petit cabinet de Thunder Bay, où réside la famille de son épouse. Durant son stage, il a effectué sa part de recherches. Il s’est rendu compte que d’autres étaient passés avant lui.

« Je suis également formé en développement de logiciel, alors j’ai commencé un projet parallèle. Pendant mon stage, j’ai analysé les méthodes de recherche juridique d’un point de vue logiciel », affirme-t-il. « Je rédigeais des notes juridiques en ayant la certitude qu’une autre personne avait fait le même travail avant moi. »

En fin de compte, Me Doble a décidé de ne pas pratiquer le droit. Il s’est plutôt associé à Samarth Bhasin et à Jean-Benoit Richard pour fonder Alexsei à l’été 2017. M. Bhasin, directeur de la technologie, est un ingénieur aérospatial qui avait déjà travaillé chez Bombardier. M. Richard, directeur de l’exploitation, prépare actuellement un doctorat en intelligence artificielle, et travaille dans le milieu des affaires depuis plusieurs dizaines d’années.

La procédure est assez simple : les utilisateurs n’ont qu’à soumettre leur question juridique à Alexsei. Il extrait des passages de billets de blogues, de documents gouvernementaux et de sources jurisprudentielles tirées de bases de données. L’équipe travaille également sur une technologie avancée de production de résumés permettant de rédiger des notes juridiques et de fournir une réponse précise aux questions.

Un avocat-conseil chez Alexsei révise toutes les notes pour s’assurer qu’elles répondent aux normes de qualité de l’entreprise et donne son approbation finale avant l’envoi au client. Ce que les avocats d’Alexsei rédigent est ensuite ajouté à la base de données du logiciel afin d’enrichir l’actif de l’entreprise. Habituellement, ce genre de mémo juridique interne représente une dépense ponctuelle dont la valeur est nulle une fois réalisé.

Alors qu’il faut compter jusqu’à une semaine pour la rédaction d’une note de recherche classique par un avocat, Alexsei vise la soumission d’une note de service de 3 à 10 pages dans les 20 heures en moyenne suivant la réception de la question.

La recherche juridique étant perçue comme une étape fondamentale dans la formation des juristes, Me Doble a dû réfléchir à ce qui pourrait advenir si les avocats débutants cessaient d’effectuer ce travail et, de ce fait, d’acquérir les connaissances qui découlent de recherches juridiques rigoureuses. Selon lui, les inquiétudes à cet égard sont infondées, car la recherche traditionnelle fait mauvais usage des compétences des avocats.

« Lorsque l’on fait une recherche juridique, il n’y a aucune valeur à lire du contenu qui ne concerne pas la question que l’on tente de comprendre, sauf peut-être apprendre à reconnaître sa non-pertinence. On croit qu’il s’agit de la meilleure façon de former les jeunes juristes, mais c’est faux. »

À titre de comparaison, Me Doble évoque la situation suivante : les élèves apprennent à faire des divisions non abrégées et des calculs à la main pour bien en comprendre le raisonnement, mais plus tard, ils se servent de calculatrices.

« C’est dommage qu’on perçoive [la recherche juridique] comme une composante essentielle de la formation des juristes, car elle les empêche de s’améliorer », affirme-t-il. « Si les avocats consultent seulement du contenu pertinent, ils peuvent se concentrer sur leurs arguments pour mieux défendre leurs clients. »

Selon Me Doble, l’initiative qui se rapproche le plus d’Alexsei a été mise en œuvre par Aide juridique Ontario dans les années 1980. Il s’agissait d’un répertoire centralisé de questions courantes à l’intention des avocats de l’aide juridique. « L’idée était bonne et innovatrice, mais les données agrégées n’étaient pas exploitées de façon aussi sophistiquée qu’elles peuvent l’être avec une technologie comme l’intelligence artificielle. »

De nombreux secteurs se sont vus transformés par l’intelligence artificielle, souligne-t-il, mais la profession juridique accuse un retard à ce chapitre. Les avocats ont tendance à être réfractaires à la technologie; par conséquent, les entreprises de technologie évitent en grande partie le secteur juridique et les sociétés de capital-risque ne voient pas d’avantage à y investir.

« Les avocats doivent se montrer davantage prêts à essayer de nouveaux produits, mais ils ne sont pas les seuls à blâmer, soutient Me Doble. Les entreprises de technologie ne s’intéressent pas aux problèmes que les avocats rencontrent dans leur travail et que la technologie peut régler. La seule façon de changer les choses, c’est par l’amélioration itérative des produits : les avocats doivent tester des technologies et donner leurs commentaires aux concepteurs. »

Jusqu’à présent, ajoute-t-il, la clientèle cible d’Alexsei s’est surtout limitée aux cabinets de petite et moyenne taille qui ne disposent pas d’une équipe d’étudiants et d’avocats en début de carrière pour mener leurs recherches juridiques. Le logiciel est actuellement offert en Ontario, en Alberta et en Colombie-Britannique; on en prévoit le déploiement à l’échelle nationale d’ici le début de 2020. Il souhaite s’assurer que l’entreprise est bien implantée dans quelques provinces ou territoires avant de poursuivre son expansion. À long terme, la compagnie prévoit aussi faire son entrée sur le marché américain.

Pour le moment, Me Doble explique pourquoi l’entreprise ne s’est pas tournée vers le marché du capital-risque comme source de financement : la réticence des avocats à adopter de nouvelles technologies est revenue à maintes reprises dans ses conversations avec les investisseurs. « Une partie de notre mission consiste à leur prouver qu’ils ont tort. »