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Soutien à la primauté du droit en Tunisie

Les Initiatives internationales de l'ABC s'associent à l'OIDD pour soutenir les Tunisiens dans l'exercice de leurs droits constitutionnels.

Tunisia protests

L’Association du Barreau canadien est partenaire avec l’Organisation internationale de droit du développement (OIDD) dans un projet pour aider les Tunisiens à faire valoir les droits fondamentaux promis dans leur constitution signée en 2014. Le financement de cette initiative est assuré par le département d'État des États-Unis.

L’ABC apportera son expertise pour soutenir les juristes tunisiens dans le classement et la défense des causes devant les tribunaux. Elle soutiendra aussi le renforcement des capacités des organisations de société civile tunisiennes et des juristes dans les litiges stratégiques visant à faire abolir les lois contraires aux libertés et droits constitutionnels.

Dans la foulée de la révolution de Jasmine de 2011, qui a lancé le printemps arabe, la Tunisie a accompli d’importants progrès vers la gouvernance démocratique et la primauté du droit. Quand la constitution du pays est entrée en vigueur, elle établissait une série de droits progressistes et énonçait des dispositions claires pour l’indépendance judiciaire et la séparation des pouvoirs.

L’an dernier, toutefois, le président tunisien Kaïs Saïed a annoncé une suspension partielle de la constitution et un arrêt des fonctions parlementaires. Depuis, il gouverne par décret. En février, il a remplacé le Conseil judiciaire suprême, l’institution la plus élevée d’indépendance judiciaire, par des personnes nommées par lui, et s’est lui-même octroyé le pouvoir de limoger des juges. Il a en outre nommé un comité qui contribuerait à la rédaction d’amendements à la constitution de 2014. Il a lancé une consultation publique des Tunisiens en ligne, mais le taux de participation s’est avéré faible.

Pendant ce temps, les Tunisiens ont du mal à faire valoir leurs droits constitutionnels en l’absence de garde-fous institutionnels et d’institutions juridiques libres et indépendantes, commente Ayokunle Ogundipe, directeur, Initiatives internationales à l’ABC. « De nombreuses lois qui entravent les engagements constitutionnels sont restées en vigueur, poursuit-il. Les actions pour leur harmonisation ou leur abolition sont lentes, quand action il y a, parce que la cour constitutionnelle, censée être l’instance supervisant ce processus, n’existe pas encore, et ce, pour des raisons surtout politiques. » Me Ogundipe cite comme exemple le code du statut personnel, qui limite les droits des femmes dans le mariage, les successions et la garde des enfants et va donc dans le sens contraire des objectifs d’égalité de la constitution.

Les gouvernements démocratiques ont enjoint au président Saïed de former un nouveau gouvernement et de restaurer les principes démocratiques. À ce jour, il ne semble pas pressé de relâcher les rênes du pouvoir et a dernièrement prolongé l’état d’urgence jusqu’à la fin de 2022. Il tiendra un référendum sur la version révisée de la constitution en juillet. Me Ogundipe résume la situation : « Le président Saïed a le plein contrôle du processus référendaire et entend nommer l’ensemble des experts qui rédigeront la constitution. Nos partenaires du projet ont des raisons de douter de la légitimité et de l’objectif d’un tel référendum. Les intentions du président à l’égard de la cour constitutionnelle ne sont pas claires non plus. »

Le programme Initiatives internationales de l’ABC met sur pied des programmes de renforcement de la primauté du droit dans les démocraties émergentes depuis 30 ans. « À la base de cette primauté : indépendance de la profession juridique et de la magistrature, transparence et responsabilisation des institutions, égalité de tous devant la loi, et dignité de la personne », souligne Me Ogundipe.

Dans les années 1990, l’ABC a soutenu les litiges constitutionnels en Afrique du Sud – dans le cadre d’un projet qui a contribué à mieux définir les obligations du gouvernement inscrites dans sa constitution de 1997, de même que certains pouvoirs judiciaires. Ce programme a joué un rôle prépondérant dans le soutien aux avocats sud-africains qui ont défendu les dossiers devant la cour constitutionnelle du pays, notamment pour les décisions historiques ayant confirmé des droits élargis.

Pour Me Ogundipe, l’expérience sud-africaine prouve « qu’un État fondé sur la primauté du droit n’est vraiment fonctionnel que s’il est doté de systèmes et cadres juridiques permettant de définir et de garantir les droits et obligations de tous, indépendamment des positions de pouvoir. Cela engendre la sécurité et la stabilité nécessaires au développement. »

Dans le cas de l’Ordre National des Avocats de Tunisie, Me Ogundipe estime que le problème, c’est qu’il reste dépourvu d’une expérience qui lui serait précieuse dans la mise en œuvre de sa constitution. « Dans tout contexte de constitution embryonnaire, le mécanisme des litiges stratégiques est très important, poursuit-il. La Tunisie aura maille à partir avec différentes questions comme l’égalité des genres et les droits de la personne. Pour devenir acteurs de changement social et obtenir l’appui international, les juristes tunisiens devront étoffer leurs connaissances ayant trait aux notions comme la “vulnérabilité” ainsi qu’aux conventions du droit constitutionnel et des droits universels de la personne. »