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Le progrès social ne passe pas que par les litiges

Que ce soit ici ou ailleurs, une action en justice dans l’intérêt public n’est réellement efficace que lorsqu’elle est combinée à d’autres stratégies de progrès social.

Students at July High School, in Peddie, Eastern Cape, South Africa
Legal Resources Centre

Les litiges stratégiques sont l’une des voies par lesquelles on peut revendiquer des progrès sociaux au nom de groupes marginalisés. Mais dans les affaires de développement international, ils ne suffisent pas à garantir les droits fondamentaux. Non; pour triompher, il faut allier l’action en justice à d’autres formes d’activisme.

Le problème est parfaitement illustré par le dossier litigieux du transport scolaire dans les régions rurales de la province du Cap-Oriental, en Afrique du Sud, une situation qui s’envenime d’année en année. En effet, le gouvernement provincial manque systématiquement à son obligation constitutionnelle de scolarisation envers les enfants en ne leur assurant pas un transport vers l’école, et ce, malgré de multiples promesses à l’effet contraire, surtout depuis que le Legal Resources Centre (LRC) a eu gain de cause dans l’affaire.

Plus de 20 000 élèves pâtissent de l’absence de transport scolaire au Cap-Oriental. La plupart vivent à plus de 5 km de leur école et n’ont d’autre choix que de marcher pour s’y rendre, ou de se payer un transport privé à prix exorbitant. Certains de ces enfants ont seulement six ans. Et le trajet vers l’école est souvent périlleux, les élèves devant emprunter des routes et traverser des cours d’eau dangereux. Bon nombre d'entre eux abandonnent l’école, ou s’y présentent rarement. Dans un cas de triste mémoire, six écoliers se sont noyés en tentant de traverser une rivière.

En réponse à une ordonnance passée rendue par un tribunal à l’issue d’un litige impliquant le LRC, la province a instauré un processus d’inscription au service de transport. Mais le système, aussi confus que dysfonctionnel, a déraillé sous l’énormité de ses délais de traitement. Il est souvent impossible de déterminer si une décision a été prise, et encore moins si elle a été communiquée.

Le dossier du transport scolaire est loin d’être unique en Afrique du Sud. Le LRC a tout un historique de victoires dans des dossiers mis en litige qui, une fois le temps des réparations venu, ont abouti à des réformes paresseuses ou paralysées. Le gouvernement tire au flanc dans sa réponse aux ordonnances judiciaires tandis que les populations touchées continuent de souffrir. Dans l’affaire de l’école Amasango à Grahamstown, le gouvernement esquive depuis maintenant près de dix ans l’ordonnance qu’il a reçue de fournir un terrain pour l’édification d’une école destinée aux enfants ayant des besoins particuliers.

Les problèmes ne disparaissent pas magiquement parce qu’une loi dit noir sur blanc qu’ils doivent cesser. La Constitution sud-africaine est possiblement l’une des plus élaborées et progressives au monde. Le droit des enfants à la sécurité, à l’éducation et à un environnement sûr est directement enchâssé dans la Déclaration des droits, et les tribunaux n’ont cessé de le réaffirmer. Personne ne conteste que les élèves ont le droit moral et constitutionnel de jouir d’un transport scolaire. Le problème, c’est que les ressources – et surtout la volonté politique – manquent à l’appel.

Le phénomène s’observe aussi ici, au Canada, même s’il peut être tentant de penser que ce genre de problème n’existe que dans les pays en voie de développement, où l’État a tout le mal du monde à trouver les fonds pour s’acquitter de ses obligations légales envers le peuple. Car s’il est assez facile pour notre nation d’accéder au financement nécessaire pour résoudre les problèmes chroniques de ses populations mal desservies, l’absence de volonté politique fait encore et toujours obstacle au changement. Pensons simplement au traitement aberrant des groupes autochtones par le gouvernement fédéral. Ottawa en appelle encore du jugement du Tribunal canadien des droits de la personne, qui reconnaît le sous-financement chronique des services aux familles et à la jeunesse autochtones par le gouvernement. En parallèle, pas moins de 56 avis concernant la qualité de l’eau potable demeurent en vigueur dans les réserves des Premières Nations.

De plus, il y a bien des leçons à tirer des autres dossiers du LRC sur ce qui fait le succès d’une campagne d’action en justice. Par exemple, en 2011, le ministère de l’Éducation estimait que sur le million d’élèves du Cap-Oriental, la moitié n’avait pas de pupitre ou de chaise. Plusieurs années et quatre actions en justice plus tard, la situation s’est grandement améliorée. Le LRC s’est battu pour obtenir des milliers de pupitres pour les élèves, et afin de garantir que le gouvernement se plierait aux ordonnances, il a également engagé de longs pourparlers (sous la menace d’autres litiges) visant à concrétiser les changements systémiques et à améliorer la gestion de l’ameublement des écoles.

Il faut de la patience, de la persévérance, et la mise en œuvre de changements systémiques pour garantir l’avenir des politiques progressistes. Dans leur étude de 2014, Steven Budlender, Gilbert Marcus et Nick Ferreira – trois membres du Barreau de Johannesburg – ont relevé quatre tactiques à employer de concert dans la revendication de droits afin d’obtenir un progrès social. La première est la tenue d’une campagne de conscientisation pour informer le public de ses droits. La deuxième est l’intervention d’organismes intermédiaires pour offrir aide et conseils à la population. La troisième est la mobilisation sociale et le travail auprès du public pour défendre ses droits et faire pression sur l’appareil politique. Et la dernière – mais non la moindre – est l’action en justice. Il faut toutefois noter qu’une seule entité peut difficilement prendre part à chacun des quatre axes tactiques. Sans compter la difficulté de voir à ce que ce soit la communauté elle-même qui dirige les efforts.

Tout ceci souligne et réitère que les litiges dans l’intérêt public sont essentiels au travail de développement international et à la revendication des droits de la personne, nouveaux ou existants. En effet, l’action acharnée en justice dans le but ultime d’apporter un changement systémique demeure une nécessité. Mais il faut aussi des stratégies complémentaires pour veiller à ce que cette action porte ses fruits, et pour trouver les ressources et la volonté politique nécessaires à la réussite des démarches en justice futures.