Passer au contenu

L’art de la persuasion à l’ère de l’IA

L’IA générative pourrait bien devenir le nouveau meilleur ami des juristes, mais ne lui cédons pas pour autant la direction du cabinet

Closeup of a typewriter
iStock/4kodiak

La capacité de créativité de l’humanité est depuis longtemps considérée comme l’un des traits distinctifs qui la distingue du reste de la création. La créativité dans l’écriture a des racines profondes, remontant à l’époque où les humains gravaient des œuvres poétiques, comme l’Épopée de Gilgamesh sur des tablettes d’argile, aussi anciennes que la civilisation elle-même.

Dans la rédaction juridique, la créativité est souvent reléguée au second plan par rapport à la précision technique et à la rigueur logique. Pourtant, nous ne devons jamais sous-estimer le poids de l’esprit, la puissance de la muse ou le pouvoir de la concision.

Jusqu’à récemment, la rédaction juridique dépendait uniquement de la force brute de l’intellect créatif humain. Les juristes travaillaient au clavier jusque tard dans la nuit, alimentés par le café, les recueils de jurisprudence, CanLII et la confiance en soi. Mais ces jours-là pourraient bien être révolus avec l’essor de l’IA générative.

Alors que des outils comme Copilot de Microsoft s’immiscent dans la profession juridique comme un stagiaire trop enthousiaste, nous devons nous demander : l’IA générative est-elle là pour se joindre à l’équipe ou est-elle en train de prendre le contrôle du cabinet?

Si vous êtes juriste (comme moi) ou enseignant (comme moi aussi), l’essor de l’IA générative vous touche intimement. Bien qu’elle offre de précieuses occasions de gain de temps, il importe néanmoins de protéger une tradition ancienne, sans parler de notre sentiment d’identité professionnelle.

Alors, comment les juristes, les enseignants et les autres professionnels devraient-ils affronter cette nouvelle ère?

La promesse de l’IA générative

Les outils d’IA générative comme Copilot ou ChatGPT ne pensent pas de manière créative comme vous ou moi. Ils fonctionnent grâce à des algorithmes composés de vastes ensembles de données pour générer du contenu basé sur des modèles, prédisant des mots et des phrases probables sans vraiment comprendre, au sens humain, le contexte ou le sens.

En lançant Copilot à la fin de 2023, Microsoft promettait de faire pour la rédaction juridique ce que le micro-ondes a fait pour les restes de repas : simplifier la vie. Copilot promet d’aider les juristes dans la lourde tâche de rédaction en automatisant de nombreuses tâches de routine. Intégré à la suite Office de Microsoft, Copilot propose des suggestions en temps réel qui simplifient les tâches d’écriture répétitives, comme la rédaction de plaidoiries ou la mise en forme de documents.

Si vous avez déjà passé du temps à vous débattre avec la numérotation des paragraphes ou à ajuster la mise en forme pour respecter une limite de pages, vous avez peut-être rêvé de confier cette tâche à quelqu’un (ou quelque chose) d’autre. Copilot promet une rédaction juridique plus rapide et plus précise, permettant aux juristes de se concentrer sur des tâches de fond, comme l’élaboration d’arguments créatifs et convaincants, la mise au point de stratégies et, bien sûr, les heures facturables. Tout le monde semble gagnant, n’est-ce pas?

Le bourbier professionnel

Pas si vite.

Bien que Copilot et d’autres outils d’IA générative soient passionnants, ils soulèvent également d’importantes préoccupations éthiques.

Vous avez probablement entendu des histoires d’horreur sur l’utilisation abusive de l’IA. L’un des principaux problèmes est le risque d’atteinte à la vie privée des clients. L’IA générative traite de grandes quantités de données sans se soucier du titre de propriété. Chaque interaction implique le traitement, voire le stockage de données, ce qui soulève des questions sur la destination de ces informations.

Imaginez que vous utilisiez Copilot pour rédiger un contrat pour un client contenant des données d’entreprise sensibles. Ces données pourraient-elles être exposées ou stockées d’une manière qui viole la confidentialité? Les juristes ont le devoir de protéger les informations des clients, et les outils d’IA soulèvent des questions épineuses sur la manière dont ces informations sont traitées. Microsoft affirme que la confidentialité et la protection de la vie privée sont prioritaires dans Copilot, mais cet aspect demeure relativement inexploré. Il ne suffit pas de faire confiance aux promesses des entreprises : les juristes doivent rester vigilants, car ils sont responsables vis-à-vis leurs clients, tandis que l’IA ne l’est pas.

Et qu’en est-il du devoir d’un juriste d’agir avec compétence et intégrité? L’IA générative a actuellement tendance à halluciner et à inventer des choses. Des affaires aux États-Unis et au Canada montrent ce qui peut mal tourner lorsqu’un juriste s’appuie sans esprit critique sur des soumissions générées par l’IA, qui peuvent inclure de la jurisprudence fictive.

Ma principale préoccupation va toutefois au-delà des questions techniques, qui devraient s’améliorer avec les futurs modèles d’IA. La rédaction juridique est bien plus qu’un simple exercice technique : c’est un métier et, oserais-je dire, un art. Une rédaction juridique efficace nécessite l’engagement humain des deux côtés de l’équation : l’un pour persuader et l’autre pour se laisser persuader.

Alors que l’IA générative peut synthétiser des données et générer du contenu, une utilisation abusive ou excessive pourrait dégrader un côté de cette équation, avec des répercussions négatives pour la profession et l’administration de la justice.

Dans la rédaction juridique argumentative, les juristes doivent agir à la fois comme gardiens et créateurs.

Le dilemme de l’éducateur : enseigner ou ne pas enseigner l’IA?

L’essor de l’IA générative pose un autre dilemme complexe aux éducateurs de droit. Devons-nous enseigner aux étudiants et étudiantes en droit comment utiliser des outils comme Copilot, ou cela va-t-il nuire au développement des compétences essentielles en rédaction juridique?

D’un côté, donner aux étudiants les outils d’IA générative est une réponse pratique à l’évolution de la profession. Les étudiants et étudiantes en droit d’aujourd’hui devront probablement comprendre ces outils lorsqu’ils entreront sur le marché du travail. Savoir comment et quand exploiter l’IA générative pourrait bientôt être aussi important pour les futurs juristes que de savoir comment traiter un dossier.

D’un autre côté, de nombreux enseignants, dont moi-même, craignent qu’une dépendance excessive à l’IA générative ne produise une génération de juristes qui excellent dans la formulation de requêtes pour une production optimale de l’IA, mais qui n’ont pas la compréhension approfondie qui découle de la confrontation directe avec les principes juridiques. La rédaction juridique ne consiste pas seulement à générer du contenu; il s’agit de rigueur mentale créative; la capacité à construire des arguments convaincants, à synthétiser des précédents, à contrer des faiblesses, à encadrer des faits et à réfléchir de manière critique et créative au droit.

Il existe un risque bien réel qu’une dépendance excessive à l’égard de l’IA générative puisse atrophier les compétences rédactionnelles d’une profession qui dépend de sa capacité à convaincre par des arguments soigneusement élaborés. La rédaction juridique, comme toute compétence, s’améliore avec la pratique et le travail acharné. Si l’IA générative peut faire gagner du temps, elle peut également épargner aux juristes les efforts nécessaires à leur développement personnel et professionnel, un effort qu’ils ne devraient pas éviter.

Le verdict : une approche prudente vers le futur

Qu’en est-il alors? Les outils d’IA générative comme Copilot offrent un potentiel intéressant pour la profession juridique. Ils peuvent rationaliser les flux de travail, réduire la corvée de la rédaction juridique et permettre aux juristes de se concentrer sur des tâches plus substantielles et souvent plus gratifiantes. Pour les enseignants, ces outils représentent l’avenir et leur intégration dans les programmes scolaires est probablement inévitable, mais il faut faire preuve de prudence.

Les risques sont réels. Les juristes et les enseignants doivent veiller à ce que l’IA demeure un outil et non une béquille. La créativité, le jugement et le dévouement humains ne doivent jamais être sacrifiés au profit de l’automatisation.

En fin de compte, la rédaction juridique ne se résume pas à présenter les meilleurs arguments; il s’agit de préserver des traditions qui remontent à des siècles et de préserver des capacités humaines qui remontent à des millénaires, sans parler de la protection des droits et des intérêts de la personne. L’IA générative pourrait bien devenir le nouveau meilleur ami du juriste, mais je ne recommande pas de lui confier la direction d’un cabinet.