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Contester l’âge de vote devant les tribunaux… Pourquoi?

Faire appel aux tribunaux pour débattre de la question, c’est loin d’être la solution idéale, mais c’est ce qui se produit quand l’appareil politique fait fi des projets de loi d’initiative parlementaire à ce sujet.

Election sign at polling station

L’âge minimum du vote au Canada fait de nouveau les manchettes, en raison d’une bataille judiciaire lancée pour qu’on le revoie à la baisse, étant fixé à 18 ans depuis un demi-siècle. J’ai déjà écrit un article sur le fond de cette question (uniquement en anglais) il y a quelques années, dans le contexte d’un projet de loi d’initiative parlementaire qui aurait pu faire passer l’âge de vote à 16 ans.

Je défends toujours les points principaux que j’ai alors soutenus; je n’ai pas grand-chose à y ajouter. Néanmoins, la tentative de diminuer l’âge du vote en passant par les tribunaux plutôt que le Parlement soulève quelques questions particulières qui méritent d’être discutées.

Il est parfois mal vu de s’adresser aux tribunaux pour obtenir un changement quand celui-ci n’a pas pu s’accomplir par le processus politique. Cette voie ne me semble pas illégitime, du moins pas de façon générale. La protection juridique des droits du particulier se veut d’abord et avant tout un moyen de faire reconnaître ces droits quand les procédures démocratiques majoritaires échouent à la tâche. En principe, donc, il n’y a rien de mal à recourir à cet autre moyen – qu’on ait d’abord tenté de passer par l’appareil politique ou non. C’est d’autant plus vrai quand le processus politique connaît des ratés comme c’est le cas ici.

Toutefois, la question de l’âge minimum du vote est particulièrement complexe à cet égard. Comme je l’ai fait remarquer dans mon premier article (bien entendu, cette observation n’avait rien d’original), l’âge de vote est arbitraire par nature. Il est certain qu’il faut établir un seuil, mais quel que soit l’âge minimal choisi, il ne sera sans doute guère beaucoup plus justifié que le chiffre qui le précède – et qui dit qu’il faille un nombre entier? Il est techniquement possible d’y aller au mois près, et pourquoi pas au jour près?

Les jeunes qui ont été de l’avant avec cette contestation, ou leurs avocats, tentent de tourner cette difficulté à leur avantage en suivant un stratagème que je n’aime guère et qui peut facilement se retourner contre eux. D’après la source citée plus haut, ils ne proposent pas un nouvel âge minimum; ils avancent plutôt que c’est au gouvernement de justifier la restriction qu’il impose au droit de vote, lequel est garanti par la Charte. C’est techniquement juste : c’est effectivement au gouvernement que revient le fardeau de justifier selon l’article 1 de la Charte. Cependant, lorsqu’il s’agit d’un droit qui doit forcément être restreint de manière arbitraire, le fait de ne pas proposer de nouvelle règle ne fait que souligner cette difficulté, et cela pourrait fort bien inciter le tribunal à hausser les épaules pour s’en remettre à la solution actuelle du Parlement. Et quand bien même on reverrait à la baisse l’actuel seuil de 18 ans, le Parlement pourrait réagir en établissant le nouveau minimum à 17 ans, voire à 17 ans et 11 mois. On reviendrait alors tous à la case départ pour de nouvelles procédures en justice.

Cela étant, il y a lieu de donner raison à ceux qui proposent qu’on règle cette question une fois pour toutes en légiférant. On éviterait ainsi le problème qui survient quand des droits font l’objet d’une action en justice, le gouvernement devant alors justifier sa position en expliquant exactement de quelle manière il restreint le droit en question; les limites arbitraires deviennent suspectes en pareil contexte. Quand on légifère, il y a toujours une part – et bien une part seulement – d’arbitraire. Déjà, Platon et Aristote faisaient remarquer que le législatif avait quelque chose d’arbitraire et ne pouvait répondre aux doléances individuelles.

Toute bien fondée qu’elle soit en théorie, cette solution législative n’en demeure pas moins déconnectée des réalités de notre processus législatif. C’est le gouvernement qui régente la chose, et le Parlement, lui, n’est là que pour approuver ou rejeter les projets de loi proposés par le pouvoir exécutif. Il remplit cette fonction par des votes soumis à la discipline de parti, les partis agissant alors en bloc sans laisser de place aux opinions individuelles. Certes, il arrive que des projets de loi soient déposés par un député ou un sénateur, mais ces projets se rendent rarement au-delà de la première lecture, et donc très peu d’entre eux deviennent loi. Si le pouvoir exécutif ne manifeste pas d’intérêt pour une question donnée, il est à peu près certain que le Parlement n’en fera rien non plus.

C’est ce qui se passe depuis le début dans le cas de l’âge minimum du vote. Des députés d’arrière-ban ou des sénateurs proposent des projets de loi sur cette question presque chaque session parlementaire, mais de ces projets, seul le projet de loi S-209 soumis au Sénat durant la dernière session parlementaire s’est rendu jusqu’à la deuxième lecture. Soyons clairs : il ne faut pas penser que le Parlement, lorsqu’il étudie ces projets sur le fond, conclut qu’ils ne tiennent pas la route parce que 18 ans est l’âge approprié. Le problème réside plutôt dans le fait que cette réflexion n’a jamais lieu. La question de l’âge minimum du vote n’est pas la seule dans ce cas de figure. Nos procédures parlementaires sont tout simplement trop dominées par le pouvoir exécutif; elles laissent trop peu de place aux projets de loi mis de l’avant par un sénateur ou un simple député, alors qu’ils méritent pourtant tout le sérieux d’une vraie étude.

 

Tel est le contexte dans lequel nous devons évaluer le bien-fondé et les faiblesses de cette contestation de l’âge de voter devant les tribunaux. Bien que cette question ne se prête guère à un règlement par voie judiciaire, c’en est aussi une que notre appareil politique a systématiquement négligée. Idéalement, nous verrions le Parlement modifier son règlement pour donner des chances de succès plus réalistes aux projets de loi mis de l’avant par un député ou un sénateur agissant à titre indépendant. La Nouvelle-Zélande a suivi cette voie; entre autres questions (et certaines ne sont ni utiles ni louables, beaucoup s’en faut!), son gouvernement a adopté des lois sur l’égalité matrimoniale et l’aide médicale à mourir à partir de projets de loi d’initiative parlementaire (quoiqu’il y ait eu un référendum dans le dernier cas), au lieu de se voir forcé par les tribunaux de changer la loi en ce sens. Cela dit, tant que nous n’offrirons pas d’autres avenues aux particuliers soucieux de faire valoir leurs droits, il faudra s’attendre à les voir s’adresser aux tribunaux, là où ils auront à tout le moins une audience, même si le résultat risque d’être décevant pour tout le monde.