Passer au contenu

Le Canada ne doit pas échapper à ses responsabilités

Le traitement inéquitable du gouvernement canadien envers les enfants de Premières Nations constitue de la discrimination fondée sur la race et l’origine éthnique.

Going home after school

Alors que les communautés autochtones de tout le pays sont en deuil suite au recouvrement des corps d'enfants ayant fréquenté les pensionnats indiens, il faut se rappeler que bon nombre de ces décès ont été causés par la discrimination systémique du Canada. Il est bien établi que les services offerts aux enfants autochtones qui sont allés aux pensionnats étaient inadéquats et inéquitables. Des milliers d’enfants sont tombés malades à cause de ces services discriminatoires. Plusieurs autres en sont morts. Encore aujourd’hui, le Canada continue consciemment de financer de façon inéquitable les services offerts aux enfants des Premières Nations.

Dans une plainte déposée par l’Assemblée des Premières Nations (APN) et la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada, on allègue que le traitement inéquitable du gouvernement canadien envers les enfants de Premières Nations constitue de la discrimination fondée sur la race et l’origine éthnique ou nationale. Dans une décision rendue en 2019, le Tribunal canadien des droits de la personne (TDCP) conclut que le Canada se livre à une discrimination « délibérée ou inconsidérée » et qu’il s’agit du « pire scénario envisagé ». Le Tribunal affirme que les actions du gouvernement causent du tort, de la victimisation et des traumatismes aux victimes. En effet, les services d’aide à l’enfance contrôlés par le Canada imposent le retrait inutile des enfants des Premières Nations de leurs familles et de leurs communautés, ainsi que d’innombrables préjudices irréparables à ceux-ci.  Le TCDP accorde alors une somme de 40 000$ en compensation à certains des enfants victimes et à leurs parents ou à leurs personnes à charge. Ce montant constitue le maximum que le TCDP peut verser selon la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP). 

Le gouvernement canadien a déposé une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale et a demandé une suspension d’ordonnance en attendant les résultats de ces procédures. Les arguments du gouvernement sont les suivants : le TCDP n’a pas compétence pour accorder cette compensation et le gouvernement subira un préjudice irréparable s’il doit payer ces sommes. Le Canada ne conteste pas sa discrimination envers les enfants des Premières Nations ou le préjudice que cela a créé. Or, il met de l’avant une série d’arguments techniques pour échapper à sa responsabilité financière. La demande a été rejetée.

Confusion autour de la responsabilité délictuelle

Le Canada invoquait des principes de délit civil pour tenter de limiter la portée de sa responsabilité pour ses violations de la LCDP. Par exemple, le gouvernement utilise de façon erronée le terme « damages » (ou « dommages-intérêts » en français) pour décrire l’indemnisation accordée par le TCDP. Le vocabulaire utilisé par le gouvernement fait référence au droit de la responsabilité délictuelle, alors qu’il s’agit d’un litige en droit de la personne. En effet, l’APN et la Société de soutien ont fait une plainte en vertu de la LCDP. Le problème au cœur du litige en est un de discrimination, ce qui n’est pas un délit reconnu en common law. Les principes relatifs à l'indemnisation pour les violations des droits de la personne sont différents de ceux en responsabilité délictuelle. Les compensations sous les sections 53(2)(e) et 53(3) de la LCDP ne sont pas une science exacte ni un calcul mathématique précis comme le sont les dommages-intérêts en droit des délits. C’est plutôt une décision laissée à la discrétion du tribunal constitué d’experts en droit de la personne. Dans ce litige, la décision du TCDP de 2019 de décerner à un groupe de victimes un même montant est cohérente avec la jurisprudence pertinente. 

De plus, le montant accordé par le TCDP sert non seulement à compenser pour la discrimination causée aux enfants des Premières Nations, mais aussi à reconnaître l’atteinte à leur dignité. Ceci est d’une importance primordiale pour les victimes. Néanmoins, la compensation pour une telle atteinte n’existe pas en droit des délits.  

Soit les juristes au Canada mécomprennent les droits de la personne, soit le gouvernement déforme les principes juridiques de ce domaine de droit afin d’évader à sa responsabilité financière.

L’absence de preuve directe?

En 2016, le Canada a accepté la conclusion de faits du TCDP. Alors qu’il accepte le fond de la décision, il conteste la conclusion sur la compensation en invoquant des arguments factices comme celui du manque de témoignage, pour contourner son obligation d’indemniser les victimes. 

En effet, le Canada aurait voulu que des victimes de sa discrimination, soit des enfants, témoignent de leurs préjudices afin de recevoir une indemnisation. Toutefois, le témoignage des victimes n’est pas nécessaire selon le Tribunal pour les deux raisons suivantes : (1) le gouvernement n’a pas contesté le préjudice ; (2) ces mêmes faits sont démontrés par d’autres éléments de preuve qui ont été présentés lors de l’audience. À maintes reprises, de nombreux représentant.e.s du gouvernement du Canada ont déjà avoué avoir fait preuve de cette discrimination et ont reconnu ses effets néfastes. De plus, la LCDP affirme que le Tribunal peut accepter différents types de preuves. En ce sens, le témoignage n’est pas la seule preuve suffisante pour démontrer que les victimes souffrent des préjudices moraux en raison de la discrimination. Par ailleurs, le Tribunal s’est appuyé sur plus d’une vingtaine de témoignages, en plus de documents internes gouvernementaux et des études approfondies sur la question, qui offraient amplement de preuves des préjudices subis par les victimes. Tous ces éléments démontrent que la discrimination du Canada a des effets néfastes sur les enfants des Premières Nations et leurs familles. 

Maîtres de leur propre procédure, les tribunaux administratifs devraient éviter des processus qui pourraient traumatiser les justiciables, et ce, surtout lorsqu’il s’agit d’enfants et de membres des Peuples Autochtones. Selon le TCDP, les enfants auraient été revictimisés s’il leur avait été imposé inutilement de témoigner. Cela démontre encore une fois que le gouvernement priorise ses finances plutôt que le bien-être des enfants des Premières Nations. 

Le recours collectif : une voie plus appropriée?

Le Canada affirme que la Société de soutien, l’APN et les victimes auraient dû opter pour un recours collectif plutôt qu’un recours en droit de la personne. Encore une fois, c’est un argument purement procédural qui tente de distraire la cour du problème qui est au cœur de ce litige. D’une part, le Canada n’a pas fourni une base juridique à l’appui de cet argument. D’autre part, l’auteur d’un tort ne peut pas décider de l’avenue juridique que doit choisir les victimes.

Il est vrai que les actions du Canada auraient très bien pu mener à des poursuites civiles en droit de la responsabilité délictuelle. Par contre, cela n’empêche pas qu’il s’agisse aussi d’une violation claire de la LCDP. En droit des délits, les victimes de discrimination n’ont pas droit à une indemnisation pour le préjudice moral qu’elles ont souffert en raison de ce tort. L’issue d’un recours éventuel n’a aucune incidence sur l’appréciation du caractère raisonnable de la décision du TCDP. 

Le Canada prétend que seuls les recours systémiques peuvent être accordés

Le Canada tentait de convaincre la cour de l’argument suivant : puisqu’il s’agit d’une cause de discrimination systémique, le Tribunal peut uniquement opter pour des réparations de nature systémique. Le Canada concède qu’il est possible qu’un tribunal puisse accorder une compensation individuelle dans des cas de discrimination systémique, mais soutient que cela est uniquement possible si les deux types de discrimination ont été prouvés. Or, selon le gouvernement, comme il n’y avait pas de victimes individuelles impliquées dans ce litige, les deux formes de discrimination n'ont pas été démontrées. 

 L’argument du Canada repose sur une fausse dichotomie entre la discrimination systémique et la discrimination individuelle. En effet, la Cour suprême a reconnu que ces deux types de discrimination ne sont pas mutuellement exclusifs. De plus, l’acceptation de l’argument du Canada entraînerait des résultats absurdes. Le fait qu’il y ait un plus grand nombre de victimes d’une discrimination ne peut pas permettre à l’auteur du tort d’échapper à sa responsabilité. En effet, cela mènerait à une responsabilité plus grande imposée aux particuliers qui auraient, en conséquence, un seuil de responsabilité plus élevé que celui du gouvernement.

Par ailleurs, des expertes en droit de la personne telles que Gwen Brodsky, Shelagh Day et Frances Kelly ont fait valoir qu’une compensation individuelle pour la souffrance causée par la discrimination systémique est nécessaire pour reconnaître le préjudice subi par les victimes. De plus, Melissa Hart (maintenant juge) est d’avis que d’accorder une somme forfaitaire à toutes les victimes est une façon efficace et juste d’indemniser tous ceux et celles qui ont subi une discrimination. Curieusement, les autrices ont été citées à tort dans l’argumentation du gouvernement pour tenter de justifier sa supposée absence de responsabilité alors que leurs propos n’appuient aucunement ses arguments.

Quels seront les impacts? 

Le Canada concède sa discrimination systémique envers les enfants des Premières Nations. Il reconnait aussi que cette discrimination a des effets nocifs sur les victimes. Malgré cela, il met de l’avant une série d'arguments de nature procédurale et technique pour éviter sa responsabilité. Le gouvernement persiste avec sa bataille juridique en l’espèce et continue de dépenser l’argent des contribuables, à raison de plus de 9.5 millions de dollars, pour celle-ci tout en refusant d’indemniser les victimes.

En raison de l’élection de 2021, il est encore plus facile pour le public général de s’informer sur ces enjeux qui ont été sous les feux de la rampe, particulièrement depuis le mois de juin. En fait, les peuples autochtones et la réconciliation ont été choisis comme thèmes aux débats des chefs. Lors du débat en anglais, un des chefs de l’opposition a souligné l’hypocrisie du gouvernement actuel en dénonçant les propos du premier ministre qui dit appuyer les peuples autochtones tout en poursuivant sa bataille juridique contre les enfants des Premières Nations. En niant cette affirmation, le premier ministre propage une image trompeuse des actions réelles du gouvernement. Lors de la campagne électorale, chaque parti s’est engagé à faire avancer la réconciliation. Il reste donc à voir si le gouvernement élu honorera ses promesses électorales ou s’il s’agissait de promesses vides qui resteront sans action concrète. Avant de commencer le processus de rétablissement de la confiance chez les peuples autochtones envers le gouvernement, il faut cesser la bataille juridique.

Si vous n’appuyez pas les actions du gouvernement, il est possible de faire votre part. Premièrement, écrivez à ou appelez votre député fédéral et exprimez votre mécontentement face à la situation. Deuxièmement, faites-vous entendre sur les médias sociaux. Dites au Canada pourquoi vous pensez qu’il est inacceptable de poursuivre cette bataille juridique contre les enfants des Premières Nations en utilisant le mot-clic #FNWitness et demandez à votre entourage de faire de même. Finalement, informez-vous sur la situation en consultant des sources fiables, par exemple en suivant des plateformes autochtones sur les divers réseaux sociaux. Vous pouvez aussi consulter l’ensemble des documents juridiques rédigés d’une part par la Société de soutien et l’APN et d’autre part par le Canada dans le cadre de ce litige.  Pour plus d’idées concrètes, visitez le site de la Société de soutien et sa page intitulée « 7 façons gratuites de faire la différence ».