Un grand pas en arrière pour les droits des trans
La réforme du droit de la famille proposée par Québec ne servira qu'à annuler d'importants gains pour les personnes trans dans la province.
La réforme du droit de la famille récemment proposée par le Québec, connue sous le nom de projet de loi 2, est en partie la réponse législative à la victoire des droits des transgenres remportée en janvier 2021 dans l'affaire Centre de lutte contre l'oppression des genres c. Procureur général du Québec. Selon le ministre de la Justice de la province, Simon Jolin-Barrette, l'objectif est d'adopter une approche plus inclusive en ce qui concerne les documents officiels. Cependant, le projet de loi fait exactement le contraire et porte atteinte à la Charte canadienne des droits et libertés et de la Charte des droits et libertés du Québec. Nous appuyons les propos du professeur Sam Singer, professeur de droit et avocat trans, qui demande au gouvernement du Québec de « modifier le projet de loi 2 et rendre la victoire aux personnes transgenres du Québec ».
Dans la décision Centre de lutte contre l'oppression des genres, la Cour supérieure du Québec a conclu que les jeunes ont le droit de changer la mention de leur sexe sans qu’il leur soit nécessaire de fournir une attestation auprès d'un professionnel de la santé ; que les personnes non canadiennes vivant au Québec ont le droit de changer leur nom et la mention de leur sexe ; que les personnes non binaires ont le droit de changer la mention qui les désigne autrement que par « homme » ou « femme » ; et que les parents trans ont le droit de changer la mention qui les désigne sur l’acte de naissance de leurs enfants et d'être reconnus comme « parent », et non pas comme « mère » ou « père » .
La décision souligne également les dangers de dénoncer les personnes trans et non binaires en raison des mentions de l’identité de genre dans leurs documents officiels. Malheureusement, le projet de loi 2 crée un cadre juridique qui obligerait les personnes trans et non binaires à s'identifier dans des situations tout à fait ordinaires. Deux amendements nous préoccupent particulièrement.
Premièrement, le projet de loi 2 prévoit que seules les personnes qui ont subi des interventions chirurgicales pour modifier leurs organes sexuels peuvent changer la mention de leur sexe sur leur acte de naissance.
Deuxièmement, il permet seulement aux parents trans de se désigner uniquement comme « parent » sur l’acte de naissance de leur enfant. Cette règle a pour effet de les singulariser.
Nous sommes d'accord avec Céleste Trianon, défenseur des droits des trans au Centre de lutte contre l'oppression des genres, qui décrit le projet de loi comme « le projet de loi le plus directement transphobe jamais proposé au Québec, ainsi qu'au Canada ».
La chirurgie forcée est discriminatoire
Depuis 2012, les lois sur les droits de la personne au Canada ont facilité l'accès aux documents officiels pour les personnes trans, et plus récemment pour les personnes non binaires. Dans l'affaire X.Y. c. Ontario (2012) et dans la décision de 2014 dans l'affaire C.F. c. Alberta, le Tribunal des droits de la personne de l'Ontario et la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta ont conclu que les dispositions législatives rendant conditionnel le changement de la mention du sexe sur les actes de naissance à une intervention chirurgicale étaient discriminatoires. Ces décisions ont entraîné une vague de changements législatifs dans tout le Canada. Par exemple, l'obligation de subir une intervention chirurgicale pour changer la mention sur les certificats de citoyenneté, les cartes de résidence permanente, les passeports et les documents de voyage a été supprimée. Ces changements juridiques reflètent une évolution dans d'autres juridictions vers la facilitation de l'accès aux documents officiels.
Le « outing » forcé viole la vie privée
Un acte de naissance est un document juridique essentiel. Lorsqu'il contient des informations inexactes ou privées sur les antécédents sexuels des personnes trans, il oblige une personne trans à faire son « coming out ». Les personnes trans peuvent être amenées à utiliser un acte de naissance dans de nombreux contextes, notamment pour s'inscrire à l'école ou obtenir un permis de conduire. Lorsque l'expression de leur genre ne correspond pas au sexe légal indiqué sur leurs documents d'identité, elles sont contraintes de révéler leur histoire de genre à des étrangers et à des personnes en position d'autorité. Cela viole les droits des personnes trans à la vie privée et les expose à la discrimination ou à la violence. En 2016, le Commissaire à la protection de la vie privée de l'Alberta a statué que l'« outing » forcé des personnes trans constitue une violation de leur droit à la vie privée. La peur de la discrimination et de la violence peut les amener à renoncer à des services publics importants qui exigent de produire un acte de naissance.
Le projet de loi 2 impose également un « coming out » forcé aux parents transgenres lorsqu'ils déclarent la naissance de leurs enfants. Bien que certaines provinces offrent les options « mère », « père » ou « parent » pour toutes les déclarations de naissance, le projet de loi québécois isole les parents trans en leur offrant uniquement l'option « parent ». La séparation des parents trans et non binaires des autres parents oblige les parents trans et non binaires à révéler leur identité de genre chaque fois qu'ils utilisent le acte de naissance de leur enfant. Les conséquences discriminatoires et l'atteinte à la vie privée de cette divulgation forcée de l'identité des personnes trans seront ressenties par tous les membres de la famille, y compris les enfants des parents trans.
Vers une voie plus inclusive
Si le projet de loi 2 est adopté, il annulera les gains importants en matière de droits de la personne pour les personnes trans au Québec obtenus dans la décision du Centre de lutte contre l'oppression des genres et introduira le cadre juridique le plus régressif pour le changement des documents d'identité au Canada. Les déclarations faites par le ministre Jolin-Barrette au Devoir le 8 novembre sont encourageantes. Cependant, si le gouvernement s'engage réellement à respecter la décision de la cour et à défendre les droits des personnes trans, il doit immédiatement consulter les communautés de manière significative sur la façon de corriger le projet de loi 2 dans le but d’éviter de répéter les erreurs du passé.