Passer au contenu

La compétence culturelle est aussi une question de valeurs

Que ferez-vous pour améliorer votre compétence culturelle en vue de mieux servir vos clients autochtones?

Dreamcatcher image on faded background
iStock

C’est si triste de voir que les choses ne semblent pas vraiment bouger.

Le rapport de l’Enquête sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées a été publié le 3 juin, près de 4 ans après les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation et 23 ans après la Commission royale sur les peuples autochtones. Chacun de ces rapports a souligné la gravité, voire l’urgence, du problème des inégalités dont souffrent les peuples autochtones; chacun a aussi prouvé l’existence de systèmes et de structures qui servent mal ces peuples, et a fait état de taux de maladie, d’incarcération et de mortalité beaucoup plus élevés que chez les autres Canadiens et Canadiennes.

Pourquoi est-ce si difficile pour notre pays de s’attaquer aux inégalités qui persistent à l’intérieur de ses frontières? Je vois trois raisons.

Tout d’abord, il n’existe pas d’histoire commune du Canada. Barack Obama a récemment parlé du fossé grandissant aux États-Unis entre les partis et les idéologies politiques, faisant remarquer que l’histoire commune du pays était en péril – elle est en train de se fragmenter. Or, la capacité d’une démocratie à bien se gouverner est tributaire de son histoire commune. Et le Canada, lui, n’a même jamais eu d’histoire commune. Celle des colonisateurs et celle des Autochtones divergent radicalement, chacune contenant sa part de vérité; dans le cas des colonisateurs, elle recèle aussi certains mensonges. Ce qui est difficile, c’est d’instaurer la confiance mutuelle nécessaire à un dialogue.

Bon nombre de Canadiens et de Canadiennes ne sont peut-être pas vraiment conscients qu’il existe depuis longtemps un racisme inscrit dans la loi à l’endroit des peuples autochtones. Il devient ainsi trop facile de se demander « C’est quoi, votre problème? » plutôt que « Qu’est-ce qui vous est arrivé? ». Par exemple, la Loi sur les Indiens est en soi fondée sur l’idée raciste que les « Indiens » n’atteindront jamais le niveau d’intelligence d’un adulte et que quelqu’un doit s’occuper d’eux à titre fiduciaire.

Sans aller jusqu’à décrocher un diplôme, il faut au moins apprendre une version objective de l’histoire qui tient compte de l’expérience et du point de vue des Autochtones. Il est grand temps pour les Canadiens et les Canadiennes de ne plus laisser leurs dirigeants nier ce qu’ont vécu les peuples autochtones et tenter de passer les faits sous silence en invoquant de « bonnes intentions ».

Entendons-nous : il n’y avait aucune bonne intention derrière les dispositions législatives sur les pensionnats indiens, le système de laissez-passer qui obligeait les Premières Nations à rester dans les réserves sous peine d’emprisonnement, ou les mesures législatives qui privaient les Autochtones du droit de recourir à un avocat ou de recueillir des fonds pour en engager un.

De part et d’autre, il faut tisser des relations et apprendre les uns des autres. Il s’agit de s’éduquer, même si ce n’est pas sans réveiller certains sentiments de peur ou de malaise. C’est difficile, mais nécessaire. Mieux on connaît l’histoire du Canada, plus on développe sa curiosité et son empathie, et moins on fait preuve de racisme et d’indifférence.

Autre facteur qui complexifie le changement : la valeur qu’on accorde à la culture. La culture d’origine d’une personne est l’angle sous lequel elle voit le monde. Ce qu’on juge être une bonne communication, une bonne résolution de conflits, un bon leadership… tout part de la culture. Ces points de vue varient ainsi d’une personne à l’autre selon son bagage culturel. Aussi arrive-t-il que les cultures autochtones, qui ont leur propre conception d’une bonne communication, soient dénigrées parce que jugées « inférieures ».

Prenons par exemple le concept de pause oratoire, soit le temps écoulé après qu’une personne finit de parler et que l’autre commence. La culture est ici un facteur déterminant. Dans celles d’origine européenne, la pause dure d’une à trois secondes, après quoi les interlocuteurs ressentent un certain malaise puisque l’usage veut qu’on meuble le temps, qu’on s’exprime avec assurance. Si une personne adhère à l’idée d’une pause plus longue, son interlocuteur va-t-il projeter sur elle sa propre réalité culturelle? Conclure qu’elle n’a pas entendu, et donc hausser la voix? Répéter? Ralentir? Supposer qu’elle ne comprendra tout simplement pas? En fait, il est possible qu’un membre des Premières Nations préfère réfléchir avant de parler afin de bien dire les choses, comme le veut sa culture.

Enfin, la compétence culturelle est aussi une question de valeurs. C’est choisir de valoriser la possibilité d’apprendre de gens d’autres cultures. C’est être réellement prêt à s’éduquer sur leurs valeurs et points de vue, et décider de tenir les autres en estime même s’ils pensent différemment.

Chaque personne vient avec un bagage culturel; il est impossible de s’en défaire. Mais on peut choisir de prendre davantage conscience de sa culture et de ses valeurs fondamentales. Plus on est conscient de sa culture, moins on risque de projeter involontairement ses propres valeurs sur les autres.

Apprendre une version objective de l’histoire du Canada et développer ses valeurs et capacités en matière de compétence culturelle, ce n’est pas chose facile. C’est un cheminement personnel.

Il faut se demander : que ferai-je pour m’éduquer sur l’histoire du pays comme toile de fond de l’inquiétante surreprésentation des Autochtones dans les établissements carcéraux? Vais-je choisir d’apprendre pour me rapprocher de mes pairs autochtones et me mettre en phase avec eux?

Et que ferai-je pour me conscientiser davantage à ma propre culture, et améliorer ma compétence culturelle en vue de mieux servir mes clients autochtones?

Chacun se doit d’entreprendre cette réflexion parce que la compétence culturelle découle des connaissances, de la conscience de soi et des habitudes quotidiennes qui sont nécessaires à un changement de cap vers la réconciliation.