L’approche "prêt-à-porter" n’est plus adaptée
Les exigences vestimentaires dans les prétoires canadiens doivent être assouplies et plus inclusives.
Les juristes portent la toge depuis le Moyen-Âge. Et c’est tout à fait raisonnable que la profession juridique considère le port de la toge comme étant une grande tradition. Cependant, nous devons l’adapter aux besoins contemporains.
C’est dans le cadre de ma participation au sous-comité du Forum des avocates axé sur la tenue vestimentaire que j’ai commencé à changer ma façon d’envisager les exigences vestimentaires. En 2016, le Forum des avocates a déposé une résolution intitulée Modifier les directives des tribunaux concernant la tenue vestimentaire pour accommoder la grossesse lors de l’Assemblée de la mi-hiver à Ottawa. Le Conseil l’a adoptée.
On pourrait s’interroger sur les raisons de la nécessité d’adopter une résolution pour qu’il soit tenu compte de la grossesse dans les exigences vestimentaires traditionnelles. Le sous-comité a été constitué à la suite du témoignage d’une des membres du Forum des avocates. Elle avait partagé sa malencontreuse expérience auprès des juges d’appel auxquels elle s’est vue obligée de demander l’autorisation de modifier sa tenue en raison de sa grossesse à chaque comparution. Elle comparaissait devant la Cour d’appel de l’Ontario qui, au moment, ne possédait aucune politique vestimentaire écrite.
Personnellement, je n’ai eu que de rares occasions de porter la toge pendant ma carrière. D’ailleurs, je n’en possède même pas. Au besoin, j’ai emprunté celle d’un collègue de mon cabinet. Mesurant 1,55 m (5’1’’), j’ai dû raccourcir les manches avec des épingles, la chemise rentrée dans mon pantalon me réchauffait presque les genoux. Et la veste ne militait pas pour mon élégance, loin de là. J’ai dû emprunter les boutons de manchette de mon père et je parie qu’à leur égard, je n’étais pas vraiment son héritier de premier choix (désolée, frérot!). Après une semaine à suer de stress dans la même chemise, c’est avec joie que j’ai vu arriver la conclusion du procès. Je suis sûre que les juges étaient de cet avis aussi...
Aujourd’hui, trois ans plus tard, alors que j’ai fait une recherche sur les politiques vestimentaires des tribunaux partout au Canada, je m’aperçois à quel point il est complexe de savoir comment et quand porter la toge. À ma grande surprise, certains tribunaux n’ont même pas de politiques écrites en la matière.
L’éventail de celles qui existent est étonnement vaste, allant de stricte et spécifique à large et vague.
Alors, comment un juriste qui exerce dans une autre région peut-il savoir comment se vêtir dans le prétoire? Qu’en est-il d’un jeune juriste ou d’un juriste exerçant seul? Et que se passe-t-il lorsqu’un juriste doit modifier sa tenue pour des raisons personnelles telle qu’une grossesse? Ne me parlez surtout pas de trouver les réponses sur les sites Web des tribunaux canadiens!
Pour la petite histoire, j’ai entendu parler d’avocates enceintes obligées d’annoncer devant tout le monde que leur tenue avait été modifiée, c’est-à-dire qu’elles ne portaient pas ou ne boutonnaient pas la veste car elles étaient enceintes. Il y a aussi ces avocates enceintes qui craignaient que leur pantalon ne leur tombe sur les chevilles lorsqu’elles devaient se mettre debout, car elles ne pouvaient pas le boutonner jusqu’en haut. Je trouverais que ces préoccupations accaparent inutilement mon attention qui devrait être centrée sur le dossier, sur les points juridiques que je dois plaider.
On pourrait s’attendre à ce que les tribunaux et les praticiens du droit aient réglé tout cela depuis le temps. Après tout, les avocates comparaissent régulièrement devant les tribunaux. Il n’est pas non plus rare qu’elles tombent enceintes à un moment ou l’autre de leur carrière. Comment se fait-il alors qu’ici, au Canada, nos tribunaux ne possèdent ni exemptions claires à leurs exigences vestimentaires traditionnelles ni procédures discrètes pour révéler la modification au tribunal?
Il est choquant de constater que parmi nos 31 cours canadiennes, qu’elles soient supérieures, fédérales ou d’appel, 29 % ne possèdent pas de politique vestimentaire écrite, et cela inclut la Cour suprême du Canada. Une majorité possède des politiques vestimentaires qui énoncent les situations dans lesquelles un juriste est tenu de porter la toge pour comparaître, mais n’ont ni exemptions ni procédure discrète pour révéler une modification apportée à la tenue. Un tribunal sur quatre possède une exemption explicite en cas de grossesse et les 23 % restants ont des exemptions en cas de situation personnelle.
Pour que la toge continue d’être un symbole d’égalité au sein de la profession juridique, les pratiques des tribunaux doivent refléter les réalités de la vie des juristes qui comparaissent. Adopter des règles vestimentaires inclusives ne profitera pas seulement aux avocates, mais aussi aux avocats qui, en raison d’une incapacité ou de leur taille, pourraient trouver que les règles vestimentaires sont restrictives et impossibles à respecter. De simples modifications autorisant une certaine souplesse quant à la tenue vestimentaire signaleront que les tribunaux canadiens sont largement ouverts et accueillent l’ensemble des juristes, quelle que soit leur situation.