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Une occasion manquée pour la réconciliation

Une occasion manquée pour la réconciliation

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La Commission de vérité et réconciliation du Canada a fait les manchettes en juin lorsqu’elle a qualifié le système de pensionnats indiens de « génocide culturel ». Son rapport Honouring the Truth, Reconciling for the Future oblige les Canadiens à reconnaître que les politiques visant à détruire la riche culture des autochtones leur ont infligé d’immenses souffrances et ont perpétué la marginalisation et la discrimination qu’ils subissent actuellement. Encore aujourd’hui, elles altèrent toujours leurs relations avec l’État et les autres citoyens.

Les autochtones nous ont montré que leurs problèmes n’étaient pas insurmontables. Nombre de communautés et d’individus ont lutté pour faire valoir leurs droits, et s’en sortent très bien aujourd’hui. Certains investissent les fonds reçus dans le cadre du règlement relatif aux pensionnats dans leur communauté, stimulant sa croissance à partir de la base. Toutefois, la Couronne se doit de saisir toutes les occasions de réparer ses torts et d’?uvrer à la réconciliation.

C’est raté dans le cas de Clifford Kokopenace. En 2008, ce résident autochtone d’une réserve du district de Kenora, en Ontario, a été reconnu coupable d’homicide involontaire coupable. La Cour d’appel de l’Ontario a ordonné un nouveau procès après avoir découvert une atteinte au droit à une liste des jurés représentative, droit garanti par la Charte. En 2003, un tiers de la population adulte de Kenora vivait dans une réserve; or, ce segment ne formait que 4 % de la liste des jurés. En mai 2015, la Cour suprême a accueilli un pourvoi de la Couronne provinciale et rétabli la déclaration de culpabilité antérieure.

La majorité des juges estiment que la Couronne s’est acquittée de son obligation constitutionnelle, qui se limite à déployer « des efforts raisonnables » pour dresser une liste des jurés représentative et envoyer des avis de sélection aux candidats. Leur décision impute la faute aux autochtones pour leur tendance à ne pas participer aux jurys plutôt que d’enjoindre au gouvernement ontarien de se pencher sur les raisons systémiques de cette faible participation. Dans leurs mots : « Lorsque l’État fait des efforts raisonnables, mais qu’une partie de la population est exclue parce qu’elle refuse de participer, l’État s’acquitte néanmoins de son obligation constitutionnelle. »

La minorité a soulevé qu’on ne pouvait ignorer les facteurs systémiques contribuant à l’aliénation des autochtones à l’égard du système de justice pénale et leur réticence à y participer. Bien que ce soit l’accusé qui doit démontrer un lien suffisant entre l’(in)action de l’État et la sousreprésentation aux jurys des résidents autochtones d’une réserve, il y a lieu de s’interroger sur les maigres résultats de ces efforts. Les juges dissidents ont en effet reconnu le manque criant d’efforts de réconciliation dans le système de justice pénale canadien, et d’ailleurs, dans une autre affaire, la Cour suprême qualifiait de « crise » la surreprésentation des autochtones dans le réseau carcéral.

En 2011, le juge Frank Iacobucci a été chargé de mener un examen indépendant sur la sousreprésentation des Premières Nations dans les jurys en Ontario. Son rapport associe le problème à leur aliénation dans le système de justice pénale, et fait 17 recommandations concrètes au gouvernement ontarien, dont : fournir des stages culturels aux agents gouvernementaux; mener des programmes d’éducation à la justice complets et accessibles pour les autochtones; modifier le questionnaire envoyé aux candidats jurés et le traduire dans les langues autochtones; et utiliser la base de données du Régime d’assurance-santé de l’Ontario pour compiler les listes des jurés. La province avait commencé à en appliquer certaines avant que la Cour suprême rende sa décision dans l’affaire Kokopenace – pourvu qu’elle continue!

La Cour suprême avait la chance de pousser le gouvernement ontarien sur la voie de la réconciliation, et elle l’a laissée filer. Régler la question de la représentation des autochtones aux jurys ne suffira pas à surmonter leur aliénation dans le système de justice pénal, mais ce serait déjà une preuve de bonne foi pour amorcer la réconciliation. Espérons que l’arrêt Kokopenace restera un incident isolé.