Réparer les injustices historiques
Le premier traité moderne en son genre reconnaît la Manitoba Métis Federation comme le gouvernement des Métis de la rivière Rouge et il prépare la voie à d’autres ententes
Jason Madden utilise toujours la même analogie pour décrire la lutte épique des Métis pour être reconnus pleinement à titre de peuples autochtones titulaires de droits à l’autodétermination.
« Nous frappions à la porte du gouvernement fédéral. Les lumières s’éteignaient, mais nous pouvions entendre du bruit. Les gens se cachaient sous les bureaux. »
Il s’agissait selon lui d’un refus systématique de reconnaître l’existence des Métis et encore moins la longue suite de promesses brisées qui remonte à Louis Riel et à la Loi de 1870 sur le Manitoba.
Toutefois, Me Madden, associé chez Aird & Berlis LLP, est d’avis que la signature du Traité de reconnaissance et de mise en œuvre de l’autonomie gouvernementale des Métis de la rivière Rouge le 30 novembre a enfin brisé le « plafond de verre ».
« Les Métis prennent enfin la place qui leur est due comme l’un des peuples autochtones distincts reconnus par notre Constitution. »
Cette signature prépare également le terrain pour d’autres ententes en cours de négociation.
« Bientôt à l’affiche dans un cinéma près de chez vous : plus de traités métis », dit-il.
L’entente rédigée conjointement par la Manitoba Métis Federation et le Canada est le premier traité moderne en son genre au sud du 60e parallèle. Elle s’inspire d’une entente précédente de 2021 et confirme que la fédération est le gouvernement des Métis de la rivière Rouge et qu’elle détient des pouvoirs législatifs à l’égard d’environ 44 000 citoyens et citoyennes, y compris au sujet des élections.
Le traité ne donne pas de détails quant aux droits fonciers, de récolte ou à d’autres droits qui seront négociés plus tard. Il exige également une loi de mise en œuvre qui pourrait ne pas être adoptée avant la prochaine élection fédérale.
Le président de la Manitoba Métis Federation, David Chartrand, a tout de même déclaré qu’il s’agit d’une étape importante dans la réparation des injustices historiques.
« Ensemble, nous montrons que le Canada est un lieu où nous pouvons affronter des défis, composer avec les erreurs du passé et aller de l’avant de façon positive, modifiant ainsi l’histoire pour les générations à venir. »
Me Madden retrace ses origines métisses au Nord-Ouest de l’Ontario, où ses ancêtres ont accepté l’« adhésion des Sang-mêlé » au Traité no 3 en 1875.
« Ces promesses constituent l’essence de la moralité constitutionnelle du Canada en tant que pays; c’est notre fondement », affirme-t-il.
« La réconciliation est impossible sans la vérité. Elle est composée de notre histoire et de nos imperfections. »
La Loi sur le Manitoba a créé la cinquième province du Canada, le Manitoba. Elle a été négociée après le soulèvement des Métis de la rivière Rouge, alors que le premier gouvernement du pays a demandé à ouvrir les territoires de l’ouest aux vagues de colons pour les faire venir à l’intérieur de ses frontières.
« Aux prises avec une résistance armée, le Canada n’avait guère d’autre choix que d’adopter une approche diplomatique », a affirmé la Cour suprême du Canada en 2013 dans la décision Manitoba Métis Federation Inc. c. Canada.
« Les colons de la rivière Rouge ont accepté de faire partie du Canada, et celui‑ci a convenu de concéder aux enfants des Métis 1,4 million d’acres de terres […] et de reconnaître leur propriété foncière existante. »
Toutefois, l’attribution insuffisante de terres se faisait souvent loin des communautés métisses traditionnelles. Les nombreux délais et des problèmes d’admissibilité dus à l’établissement de spéculateurs et à l’arrivée de colons ont fait en sorte que les Métis ont eu moins de terres.
Le système de certificats donnait droit à des coupons échangeables contre une terre, mais les familles métisses appauvries sont devenues vulnérables face aux spéculateurs qui ont offert beaucoup moins que leur valeur.
Louis Riel a été pendu pour haute trahison en 1885 après avoir dirigé la Résistance du Nord-Ouest contre l’empiétement des colons. Au cours des décennies qui ont suivi, des générations de Métis sont devenues connues comme les familles des « réserves routières », vivant dans la misère à la périphérie des terres de la Couronne dans les Prairies. Elles n’avaient pas accès pour la plupart à des services de santé ou à l’éducation publique puisque les gouvernements blancs interdisaient la chasse.
Les dirigeants métis ont établi des systèmes d’autonomie gouvernementale, mais les efforts pour négocier de nation à nation avec les gouvernements fédéraux obtenaient une fin de non-recevoir pendant ce que Me Madden a appelé l’époque du « refus systématique ».
En 1982, l’article 35 de la Loi constitutionnelle a inclus les Métis parmi les peuples autochtones tout en confirmant les « droits existants – ancestraux ou issus de traités ». Cependant, même ce triomphe historique n’a pas ouvert la voie aux négociations puisque, selon Me Madden, les dirigeants provinciaux et fédéraux se sont dérobés à leurs responsabilités.
La signature du traité le 30 novembre était l’aboutissement de ce qu’il a appelé les trois principales victoires des Métis devant les tribunaux, auxquelles il a participé, à commencer par l’arrêt R. c. Powley en 2003.
L’arrêt Powley a été le « signal de départ » parce que le plus haut tribunal a indiqué que les communautés métisses avaient des cultures distinctes et, surtout, qu’en incluant les Métis à l’article 35, le Canada leur avait accordé des droits protégés.
La Cour dans l’arrêt Manitoba Métis Federation Inc. c. Canada de 2013 a conclu que la Couronne doit toujours 1,4 million d’acres des terres aux Métis, selon une promesse de 1870 qu’elle n’est pas pressée de respecter.
Dans l’arrêt Daniels c. Canada, la Cour suprême a conclu à l’unanimité en 2016 que les Métis sont des « Indiens » visés au paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle et qu’ils relèvent donc de la compétence du gouvernement fédéral.
« Nous avons réellement dû nous servir de la décision Powley puis contester, parfois pour des miettes, dans les Prairies », dit Me Madden.
Entre-temps, l’élection du premier ministre Justin Trudeau en 2015 a permis de remettre l’accent sur la réconciliation avec les Autochtones, ce qui a finalement lancé les négociations.
Des ententes sur la reconnaissance et l’autonomie gouvernementale des Métis signées en 2019 avec la Métis Nation-of Saskatchewan, la Métis Nation of Alberta et la Métis Nation of Ontario ont été mises à jour l’année dernière, jetant les bases des futurs traités.
Jean Teillet, avocate émérite chez Pape Salter Teillet LLP, était l’avocate principale dans l’affaire Powley. Depuis le début des années 1990, elle a travaillé comme conseillère en négociation notamment pour le processus visant le traité Sto:lo Xwexwilmexw en Colombie-Britannique et les pourparlers relatifs à l’accord sur les revendications territoriales et l’autonomie gouvernementale du peuple tlicho.
Elle est également l’arrière-petite-nièce de Louis Riel et l’auteure de The NorthWest is Our Mother: The Story of Louis Riel’s People, the Métis Nation.
« Elle revêt une importance particulière pour le Manitoba parce que Louis Riel a négocié en 1870 ce que les Métis ont toujours appelé notre traité », dit-elle de la récente signature du traité.
« Les Métis s’y consacrent depuis 154 ans, tentant d’obtenir des terres et de se préserver collectivement. Ce fut une très longue bataille et maintenant, je veux les terres. »
À la veille des élections fédérales, il est risqué de prédire à quel moment une loi de mise en œuvre pourra être adoptée, selon Me Teillet, qui fait remarquer que l’attribution des terres dépendra également de la collaboration de la province.
Le premier ministre du Manitoba Wab Kinew a assisté à la signature du traité le mois dernier et était à l’origine des pressions pour que Louis Riel soit officiellement reconnu comme le premier premier ministre de la province.
En juillet, il a également signé un protocole d’entente pour le transfert proposé d’environ 100 acres de terres à l’ancienne communauté de Sainte Madeleine aux Métis de la rivière Rouge. Il a noté que les maisons d’environ 250 Métis ont été « brûlées par le Canada afin de créer des pâturages communautaires » en 1939.
Bien que l’incertitude politique puisse ralentir l’élan fédéral, Me Madden est d’avis que « la fondation est là ».
« Ottawa devrait cesser d’empêcher les gouvernements autochtones à aider leurs propres citoyens et à participer à l’économie. Les traités sont la façon d’y parvenir. »