Criminaliser le contrôle coercitif
Le ministre fédéral de la Justice, Arif Virani, envisage la création d’une nouvelle infraction comme moyen de lutter contre le féminicide
Le Canada est sur le point de devenir le dernier pays (après l’Angleterre-pays de Galles, l’Écosse, l’Irlande et l’Australie) à ériger en infraction criminelle le contrôle coercitif exercé par une ou un partenaire intime.
La mesure législative à l’étude au Parlement définit le contrôle coercitif comme le fait de se livrer à une conduite contrôlante ou coercitive impliquant l’exploitation, l’humiliation, la manipulation ou l’isolement d’une autre personne, qui a un effet important sur celle-ci, comme la crainte de la violence, le déclin de sa santé physique ou mentale ou un effet préjudiciable important sur ses activités quotidiennes.
Le ministre de la Justice, Arif Virani, considère la criminalisation de cette conduite comme un moyen de lutter contre le féminicide (le meurtre d’une femme par une ou un partenaire intime ou une ancienne ou un ancien partenaire intime). Il a qualifié la violence fondée sur le genre d’« épidémie nécessitant une action immédiate ».
Selon Statistique Canada, 1 125 homicides liés au genre ont eu lieu au pays de 2011 à 2021. En 2020, les taux ont grimpé en flèche, avec 160 féminicides cette année-là, soit un tous les 2,5 jours. De ces meurtres, 66 % ont été commis par des partenaires intimes, et 28 % par des membres de la famille.
Les femmes autochtones, qui représentent seulement 5 % de la population, représentaient 21 % des victimes de meurtres commis aux mains d’un partenaire intime.
Jusqu’ici, l’Observatoire canadien du féminicide pour la justice et la responsabilisation indique qu’il y a eu 168 féminicides jusqu’à présent en 2024.
Actuellement, au Canada, des accusations de violence familiale peuvent être portées à la suite d’un seul incident d’agression.
Le projet de loi C-332, un projet de loi d’initiative parlementaire présenté par la députée du NPD, Laurel Collins, érigerait le contrôle coercitif en infraction passible d’une peine pouvant aller jusqu’à 10 ans d’emprisonnement.
Cependant, ce projet n’est pas sans ses critiques.
Une critique récurrente, notamment lors des audiences de comités de la Chambre des communes, est que la criminalisation du contrôle coercitif ne fait que donner un nouvel outil aux agresseurs pour manipuler la loi.
Selon les critiques, un agresseur habile pourrait renverser la situation et désigner son partenaire qui est une personne marginalisée, racialisée ou immigrante comme étant l’agresseuse ou agresseur.
M. Virani a proposé des modifications du projet de loi en réponse aux préoccupations exprimées, en s’inspirant des lois criminalisant le contrôle coercitif dans d’autres administrations.
Le projet de loi dresse maintenant une liste non exhaustive des actes répétés, comme les menaces, le contrôle et le harcèlement, qui sont considérés comme du contrôle coercitif. De plus, il stipule désormais qu’un juge peut empêcher une personne accusée de contre-interroger une victime présumée au cours du procès. Alors que le projet de loi initial fixait une limite de deux ans après la fin d’une relation pour les accusations, il n’y a désormais plus de limite pour les accusations découlant de relations antérieures.
Le projet de loi modifié a été adopté à l’unanimité par la Chambre des communes et est à l’étude au Sénat.
Un porte-parole de M. Virani a déclaré dans un courriel que le gouvernement examine la manière dont le système de justice pénale traite les féminicides et les façons dont cette réaction peut être renforcée.
La Section du droit pénal de l’ABC estime qu’il n’est pas nécessaire de créer une nouvelle infraction, étant donné que les dispositions existantes du Code criminel traitent des comportements associés à une conduite contrôlante ou coercitive.
Ces comportements comprennent les menaces de voies de fait, les voies de fait, les voies de fait causant des lésions corporelles, les agressions sexuelles, les séquestrations, et les tentatives de commettre ces infractions.
Me Melanie Webb, vice-présidente de la section et criminaliste au cabinet Webb Barristers de Toronto, dit qu’il est préoccupant que la mesure législative envisagée autorise deux normes d’intention coupable : l’intention particulière ou l’insouciance.
« Il est préférable qu’une intention particulière de commettre l’infraction soit requise », dit-elle.
Dans la liste des actes pouvant constituer des actes visés, le projet de loi inclut « menacer de se donner la mort ou d’avoir un comportement autodestructeur ». Me Webb est de l’avis qu’il faut user de prudence lorsqu’il s’agit de criminaliser quelque chose pouvant être un trouble de santé mentale.
« Il est également difficile de voir comment cela pourrait constituer une menace à la sécurité d’un partenaire intime. »
Ce même article inclut « toute autre personne que le partenaire intime connaît » parmi les parties contre lesquelles des actes visés peuvent être commis, ce que la section considère comme inutile et trop général.
S’il est probable que ce projet devienne loi, Me Webb dit, « Je pense qu’il reste à voir où cela nous mènera »
La Section du droit de la famille de l’ABC a un point de vue différent sur le projet de loi proposé, car ses membres sont d’avis que la réponse actuelle en matière de droit pénal compartimente la violence en incidents distincts et mesure la gravité en fonction de la menace de préjudice ou de l’expérience de la victime.
Dans le cadre d’un mémoire présenté au Parlement, des juristes en droit de la famille ont dit que cette approche n’était pas pertinente, car, dans la plupart des cas, « les tactiques autres que la violence qui sont les plus saillantes et lourdes de conséquences », et qu’elles sont utilisées pour porter atteinte à l’autonomie de la victime.
Me Shelley Hounsell, ancienne présidente de la section du droit de la famille, qui exerce en Nouvelle-Écosse, estime que l’étiquette du « contrôle coercitif » est importante parce que « les gens le vivaient, mais cela n’avait pas de nom, et il est difficile de faire avancer quelque chose qu’on ne peut pas nommer. »
L’attribution de cette étiquette au Canada a commencé avec les modifications apportées en 2021 à la Loi sur le divorce. Les juristes en droit de la famille ont applaudi ces changements, qui identifient cet ensemble de comportements comme constituant de la violence coercitive et contrôlante.
« Nous n’avions pas d’os cassés, dit Me Hounsell. Cela n’a jamais vraiment été le cas en droit de la famille, mais nous avons subi de nombreux préjudices. »
Elle ajoute que les condamnations pour contrôle coercitif en vertu du Code criminel donneront aux tribunaux de la famille une plus grande crédibilité en matière de gestion des comportements de maltraitance.
« La violence contrôlante sera non seulement une infraction criminelle, mais aussi une infraction criminelle grave. »
Mme Carmen Gill, sociologue à l’Université du Nouveau-Brunswick, dont les recherches portent sur l’intervention de la police dans les cas de violence entre partenaires intimes et d’homicide au sein de la famille, partage cet avis.
« Actuellement, sans violence physique ou dommages matériels, il n’y a pas de crime, affirme-t-elle. Il y a seulement de la violence physique lorsque la personne est tuée. »
Professeure Gill se réjouit également des modifications apportées au projet de loi, qui reconnaissent le lien entre la violence humaine et la violence animale. Selon elle, les agresseurs peuvent exercer un contrôle sur leur partenaire en menaçant de faire du mal à un animal de compagnie. Les gens resteront dans une relation néfaste par crainte pour leurs animaux s’ils partent et ne peuvent pas les emmener.
« J’ai vu des femmes rester parce qu’elles s’inquiétaient pour les vaches de la ferme, » explique Mme Gill.
Si elle est adoptée, cette loi criminalisera les tentatives et les menaces de violence à l’encontre de l’animal d’un partenaire intime, ainsi que le fait de contrôler ou de tenter de contrôler la manière dont un partenaire intime s’occupe de son animal de compagnie.
Les partisans de la criminalisation du contrôle coercitif dans le Code criminel soulignent également la forte corrélation entre un schéma d’agression et l’augmentation des cas de féminicide d’une partenaire intime.
Me Karine Barrette, juriste du Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale de Montréal, a rencontré des juristes britanniques qui estiment que 92 % des victimes de féminicide ont d’abord subi du contrôle coercitif.
Des juristes d’Australie lui ont dit que cette corrélation représentait un taux plus proche de 100 % en Nouvelle-Galles du Sud.
À Luke’s Place, un organisme basé à Oshawa qui aide les femmes et les enfants à naviguer dans le processus en matière de droit de la famille lorsque ceux-ci fuient des relations de maltraitance, Me Emily Murray, directrice des services juridiques, souligne que, même si son organisation reste opposée à la criminalisation, les modifications apportées au projet de loi ont été un élément positif.
Ils préparent un mémoire pour les audiences du comité sénatorial afin de demander un délai avant l’entrée en vigueur de la loi pour permettre à la police, aux procureurs et aux juges de recevoir de l’éducation et de la formation sur le contrôle coercitif.
« Les gens ne le comprennent pas, » affirme Me Murray, qui appuie l’appel du Fonds d’action et d’éducation juridiques pour les femmes en faveur de la création d’un poste de commissaire à la violence fondée sur le genre au Canada (en anglais seulement).
En Nouvelle-Galles du Sud, la loi sur le contrôle coercitif a été adoptée en novembre 2022, mais elle n’est entrée en vigueur que le 1er juillet 2024. Pendant ce délai de 18 mois, le corps policier et les procureurs ont reçu une formation pour les aider à comprendre comment encadrer les cas de contrôle coercitif et traduire en justice avec succès les personnes accusées dans ceux-ci.
De même, dans le Queensland, en Australie, où une loi sur le contrôle coercitif entrera en vigueur en mai prochain.
Le groupe de Me Barrette a commencé à former la police québécoise à la détection du contrôle coercitif et à la collecte de preuves de ce contrôle avant même que le projet de loi C-332 soit présenté. Selon elle, les signaux d’alarme et autres indicateurs dans ces situations sont des signes avant-coureurs d’une possibilité d’agression plus grave.
« Lorsque nous sommes au courant de la présence de contrôle coercitif, nous pouvons changer le cours des choses, dit-elle. Il est extrêmement important que les policiers et enquêteurs soient en mesure de le comprendre. »