Plus d’entrée libre?
Une contestation judiciaire par deux Premières nations menace le système de claims miniers de la Colombie-Britannique.
Autrefois, tout était si simple. À l’époque du Far West de l’exploration minière au Canada, les prospecteurs qui cherchaient des traces d’or, d’argent ou de cuivre à la surface coupaient des arbres aux quatre coins d’un petit terrain pour « jalonner » un claim. Il ne restait plus à un voleur de claim qu’à abattre les souches.
C’est plus difficile aujourd’hui, puisque dans de nombreuses régions l’enregistrement des leurs claims se fait désormais en ligne, ce qui rend leurs vols beaucoup moins probables. Mais le modèle de base d’« entrée libre » qui sous-tend les droits d’exploration demeure le modèle dominant de la réglementation minière au Canada; c’est un modèle qui permet à pratiquement n’importe qui de jalonner un claim minier simplement en cliquant sur une carte et en payant un droit. Ce modèle fait toutefois l’objet d’attaques en Colombie-Britannique.
En avril, la Cour suprême de la Colombie-Britannique entendra une affaire contestant le régime de titres miniers à accès libre de la province qui pourrait faire trembler le secteur minier du Canada. Les Premières Nations Gitxaała et Ehattesaht, ont lancé la contestation contre le gouvernement de la Colombie-Britannique; elles soutiennent que le régime de libre accès est inconstitutionnel puisqu’il s’oppose à l’« obligation de consulter » que le gouvernement devrait satisfaire envers les Premières Nations, et cela en permettant l’exploration sans consultation préalable.
« Le système de claims permet à n’importe qui de pointer vers un endroit sur une carte et de faire un claim minier sans aucune interaction avec la Couronne ou les Premières Nations », a fait valoir Merle Alexander, avocat principal chez Miller Titerle à Victoria et membre de la Première Nation Kitasoo Xai'xais.
« C’est une approche extrêmement offensive de l’exploration minière, même si le claim ne se développe jamais. »
La plupart des claims ne voient pas le jour, pour ainsi dire; l’Association for Mineral Exploration en Colombie-Britannique a appris l’an dernier au média The Narwhal que seulement un projet d’exploration sur 10 000 devient une véritable mine.
« Le permis d’exploration n’est que la toute première étape de l’ouverture d’une mine, mais il peut compliquer les choses pour les Premières Nations qui négocient des revendications territoriales », a indiqué Chris Roine, avocat en droit autochtone chez BLG à Vancouver. « Lors de la conclusion d’un traité moderne ou d’une revendication territoriale, par exemple, on s’attend à ce que la Couronne règle tout enchevêtrement avec des tiers, ce qui nécessite souvent d’indemniser les détenteurs des revendications territoriales ».
« Cela s’est produit à quelques reprises lors du règlement de traités modernes en Colombie-Britannique, ce qui a massivement exaspéré les Premières Nations qui ne comprenaient pas pourquoi la compensation provinciale allait à ces détenteurs de titres ».
L’intérêt pour cette affaire est élevé. La Cour suprême de la Colombie-Britannique a autorisé la participation de huit intervenants (représentant des communautés autochtones, des organisations de défense des droits de la personne et de l’environnement, et l’industrie minière elle-même) parce que le régime d’accès libre est le fondement de l’exploration minière au Canada, et parce que l’affaire porte sur l’une des questions les plus épineuses du droit des ressources autochtones.
« À quel moment l’obligation de consultation de la Couronne est-elle déclenchée? Nous avons vu des cas dans tout le pays qui tournent autour de la même question », a demandé Sander Duncanson, associé en droit de l’environnement, droit réglementaire et droit autochtone chez Osler à Calgary.
Dans l’affaire devant la Cour de la Colombie-Britannique, l’obligation de consulter donne lieu à deux questions clés. La première, selon Me Duncanson, est de savoir s’il y a un « lien » entre une mesure prise par la Couronne et un droit autochtone.
« On peut soutenir qu’en l’espèce, aucun comportement de la Couronne n’entre dans cette catégorie », a-t-il expliqué. « On pourrait soutenir que la Couronne a manqué à son obligation de consulter lors de la rédaction de la loi, mais je pense que ce serait exagéré compte tenu du droit actuel. »
La deuxième question, a-t-il dit, est de savoir si le fait d’accorder des titres d’exploration « en l’absence d’un impact physique sur le terrain » affecte les droits des autochtones « en affectant la façon dont le paysage pourrait être utilisé par la suite ».
« Là encore, la loi actuelle suggère que ce serait un peu exagéré », a ajouté Me Duncanson.
Il y a une troisième question, bien sûr; si la Cour décide que le régime d’accès libre est inconstitutionnel, que pourrait-elle faire?
La décision de la Cour suprême de la Colombie-Britannique dans l’affaire Yahey v British Columbia a été la première en droit canadien à reconnaître une atteinte aux droits issus de traités résultant des effets cumulatifs de multiples projets de ressources naturelles approuvés sur plusieurs années, plutôt que d’un projet spécifique. Dans cette décision, la Cour a ordonné à la Colombie-Britannique de cesser de délivrer des permis pour des activités pétrolières, gazières et forestières sur le territoire de la Première Nation de la rivière Blueberry, pendant que la province négociait une entente finale avec Blueberry.
« [Le juge] a suspendu la décision déclaratoire pendant six mois pour permettre à la province de prendre d’autres dispositions, a souligné Me Duncanson. Je dirais que quelque chose de similaire dans ce cas est raisonnablement probable ».
Allan Ingelson, directeur exécutif de l’Institut canadien du droit des ressources et professeur à la faculté de droit de l’Université de Calgary, a convenu qu’il y a un « bon argument » pour que la Cour ordonne à la province de retirer « les territoires concernés du processus de délivrance de permis jusqu’à ce que les questions en suspens soient résolues ».
« Mais la Colombie-Britannique fera valoir, bien sûr, que l’exploration et l’exploitation minières sont essentielles à l’économie de la province », a-t-il dit. Et toute tentative de la Cour d’annuler ou de suspendre les permis d’exploration existants, a-t-il signalé, déclencherait une avalanche de poursuites judiciaires.
« Si la Colombie-Britannique prend une décision qui dépouille les titres d’exploration de leur valeur, elle peut s’attendre à être poursuivie. C’est déjà arrivé », a déclaré Allan Ingelson.
Et toute tentative de la Cour de limiter l’autorité d’une province sur les ressources naturelles se heurterait à la résistance des autres provinces, a-t-il ajouté.
« Si les juges rendaient un jugement qui retirait cette compétence aux provinces, il y aurait un tollé », a-t-il averti. « Je ne vois donc pas les tribunaux dire “Nous allons vous donner le temps de proposer quelque chose de différent” ».
Mais la Colombie-Britannique a toujours l’obligation de réformer son système d’attribution des titres d’exploration, a insisté Me Alexander, parce qu’en 2019, elle est devenue la première province à adopter une loi pour mettre en œuvre par voie législative la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA).
« La Colombie-Britannique a déjà accepté, par le biais de la législation, de réconcilier toutes ses lois avec la DNUDPA, a-t-il rappelé. Il semble donc tout indiquer de commencer avec ce système e permis. »