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Une nouvelle ère dans le droit canadien

Le critère de Van der Peet fait l’objet d’une réécriture à la suite de l’adoption de la DNUDPA.

Covenant chain

Quel changement est possible en quelques décennies! En 2001, le supérieur de l’avocate Elisabeth Patterson, Peter Hutchins, représentait le grand chef Michael Mitchell alors que le leader des Mohawks amenait jusqu’à la Cour suprême du Canada une contestation judiciaire relative à la législation douanière canadienne. Il a perdu.

En 1988, M. Mitchell a traversé la frontière avec de la marchandise achetée aux États-Unis. Il affirmait être exempté des droits de douane parce que ses droits ancestraux et issus de traités permettaient aux membres de sa nation le libre commerce sur les berges du Saint-Laurent. Les sections de première instance et d’appel de la Cour fédérale étaient d’accord avec lui. La Cour suprême ne l’était pas.

Il vaut la peine de jeter à nouveau un coup d’œil aux raisons évoquées par le tribunal supérieur pour rejeter la revendication du grand chef Mitchell, ne serait-ce que pour comprendre le tremblement de terre dans la jurisprudence du droit autochtone qu’a entraîné la Cour supérieure du Québec en annonçant au mois de novembre une suspension des accusations fédérales contre deux Mohawks, Derek White et Hunter Montour, pour n’avoir pas payé la taxe d’accise sur des produits du tabac.

« Les arguments dans les deux cas étaient fondamentalement les mêmes, à savoir que la frontière ne peut constituer un obstacle au commerce autochtone, déclare Me Patterson, associée chez Dionne Schulze, qui se spécialise en droit autochtone, environnemental et commercial. Toutefois, la société a beaucoup changé dans les 22 ans qui ont suivi l’arrêt Mitchell. La façon dont nos élus parlent du droit des autochtones et de leur droit à l’autonomie gouvernementale a changé. La situation diffère. »

Dans l’arrêt Mitchell c. M.R.N., la Cour suprême concluait que le droit ancestral que revendiquait le grand chef Mitchell n’existait pas et que, pour l’établir, il lui faudrait prouver que la pratique à l’égard de laquelle le droit avait été revendiqué faisait « partie intégrante de la culture distinctive de la société autochtone, au sens où elle doit avoir distingué ou caractérisé sa culture traditionnelle et avoir été au cœur de son identité ».

En bref, il s’agit du critère de Van der Peet, la liste de contrôle que la Cour suprême a établie en 1996 pour décider si un droit collectif ancestral revendiqué est protégé par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Dans l’affaire Montour et White, la juge Sophie Bourque de la Cour supérieure du Québec a rejeté le critère de Van der Peet et a opté pour un critère beaucoup plus simple, à savoir si le droit revendiqué fait partie du système juridique traditionnel d’une communauté autochtone.

L’avocate autochtone Joëlle Perron-Thibodeau croit que la réécriture par la cour du critère de Van der Peet – largement dénigré dans le milieu du droit autochtone, qui considère qu’il limitait dans un passé lointain les droits des Autochtones à leurs pratiques et coutumes, avant la prise de contact –harmonise la jurisprudence à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA) et à la réalité du XXIe siècle.

« Nos cérémonies et nos traditions, autrement dit notre culture, sont toujours vivantes, affirme Me Perron-Thibodeau, membre de la communauté de Kanehsatà:ke. Bien sûr, nous ne vivons pas comme nos ancêtres. Mais il est problématique pour les tribunaux de situer nos droits dans un passé lointain. »

Le Canada a approuvé la DNUDPA « sans réserve » en 2016, l’enchâssant dans une loi en 2021. Les tribunaux ont tendance à considérer la déclaration comme non contraignante ou comme ayant un effet minimal sur le droit canadien. Cependant, dans l’affaire Montour et White, le juge Bourque en venait à la conclusion que la DNUDPA a force exécutoire en droit canadien et que les « profonds changements » apportés au climat juridique, social et politique entourant les droits des Autochtones depuis l’adoption de la DNUDPA exigent un nouveau test.

La cour en arrive à la conclusion que l’approbation de la DNUDPA sans réserve et l’adoption de la Loi sur la DNUDPA sont plus que des instruments supplémentaires dans le paysage du droit autochtone.

La notion de réconciliation, en tant que référence à un travail en cours visant à établir une relation à long terme mutuellement respectueuse entre les peuples souverains, n’a pas la même importance aujourd’hui qu’au moment de la création du critère de Van der Peet.

« Ce qui importe le plus dans cette décision, c’est que les tribunaux commencent à explorer la manière dont l’adoption de la DNUDPA devrait être abordée en droit, affirme Risa Schwartz, spécialiste en droit commercial international et en droit des Autochtones. C’est le début d’une nouvelle ère dans le droit canadien. »

Peut-être est-il ironique qu’une « nouvelle ère » en droit canadien commence avec un très ancien ensemble de traités. Hunter Montour et Derek White fondent partiellement leur cas sur la chaîne d’alliance, une série d’accords datant des XVIIe et XVIIIe siècles entre la Confédération de Haudenosaunis (endonyme pour la Ligue des Cinq-Nations ou des Six-Nations) et les colonies britanniques.

Hunter Montour et Derek White soutiennent que la chaîne d’alliance contraint la Couronne à consulter et à négocier avec la confédération avant de mettre en œuvre la Loi sur l’accise, qu’ils sont accusés d’avoir enfreinte.

Les procureurs généraux du Canada et du Québec, quant à eux, ont fait valoir devant les tribunaux que la chaîne d’alliance n’était pas un traité. Comme l’a dit la juge Bourque, ils affirment qu’il s’agit plutôt d’un symbole ou d’une métaphore de l’alliance politique ou militaire entre les peuples autochtones et la Couronne britannique, et que, même si cette chaîne était un traité, il n’incluait pas le droit de négocier des règlements de différends en dehors des tribunaux.

La juge Bourque n’est pas d’accord.

« La chaîne d’alliance, a-t-elle écrit, est un traité toujours valide qui crée des obligations mutuellement contraignantes par le biais d’alliances militaires et d’amitié qui inclut une procédure de résolution des conflits. » Elle en vient également à la conclusion que la « logique » du colonialisme n’est pas contredite par l’existence d’un mécanisme de résolution des conflits dans la chaîne.

Jon Parmenter, historien de l’Université Cornell, étudie les sociétés autochtones avant et après la prise de contact dans le nord-est des États-Unis et dans l’est du Canada. Il a servi de témoin expert dans cette affaire, affirmant que la juge Bourque avait évité l’erreur commune de voir le résultat du processus colonial, soit l’assujettissement des peuples autochtones, comme quelque chose qui était manifestement prévisible pour les gens vivant au moment de l’adoption de ce processus.

« Il existe cette tendance à voir cela comme un fait inévitable depuis le début, croit M. Parmenter. Néanmoins, il n’y a aucune indication dans les dossiers de l’époque que les Britanniques croyaient avoir en quelque sorte résolu le problème des Haudenosaunis. Il s’agissait de nations sophistiquées avec des armées efficaces. Ils étaient très dangereux de les avoir comme ennemis. L’argument n’est pas du tout convaincant. »

Sapant encore plus l’approche du critère de Van der Peet, la juge Bourque, s’inspirant à nouveau de la DNUDPA, a conclu que « le droit de mettre librement en œuvre des mesures de développement économique est l’un des droits génériques que partagent tous les peuples autochtones ».

Le critère de Van der Peet affirme que l’article 35 ne protège que les pratiques et les coutumes propres à chaque groupe autochtone. Il ne traite pas des droits génériques communs à toutes les nations autochtones. L’affaire Montour et White est une décision de la Cour supérieure du Québec et ne lie pas les tribunaux des autres provinces et territoires. Toutefois, lorsqu’on la compare à la décision de la Cour d’appel du Québec de 2022 selon laquelle les peuples autochtones ont un droit inhérent à l’autonomie gouvernementale qui comprend la compétence en matière de services à l’enfance et à la famille, la décision de la juge Bourque commence à ressembler à une tendance qui pourrait se propager.

« Je pense qu’il serait très difficile de trouver une Première Nation au Canada qui n’a pas les droits de développement économique qu’elle veut mettre en œuvre et qui pourrait être protégée par une décision semblable à celle de Montour et White, laquelle reconnaît un droit au développement économique », souligne Me Schwartz.

Et maintenant, que se passe-t-il? « Les tribunaux de niveau inférieur ont de toute évidence besoin de conseils de la Cour suprême sur la façon d’appliquer la DNUDPA dans le droit canadien », croit Me Schwartz. « Parce qu’il y a maintenant plus d’une décision qui ne tient pas compte de la réalité de la frontière canado-américaine », ajoute-t-elle, citant la décision de la Cour suprême dans l’affaire R c. Desautel, qui affirme que le droit autochtone d’un Amérindien de chasser au Canada est protégé par l’article 35.

Il est moins facile de prévoir l’effet que l’affaire Montour et White pourrait éventuellement avoir sur le commerce transfrontalier. Me Schwartz, qui a précédemment représenté l’Assemblée des Premières Nations dans les pourparlers ayant mené au pacte commercial continental renégocié de l’ACEUM, soutient que le gouvernement fédéral devra entamer des négociations avec les États-Unis pour reformuler l’ACEUM afin d’y intégrer une exclusion pour le commerce autochtone.

« Le Canada va devoir convaincre les États-Unis de rouvrir l’ACEUM, parce que cela n’affecte pas les Américains, dit-elle. Le Canada collabore avec des Premières Nations sur des accords commerciaux depuis 2017, ce qui a déjà mené à des modifications de l’ACEUM et d’autres nouveaux accords commerciaux. »

« Les États-Unis pourraient toujours dire non, bien sûr, mais les Amérindiens s’intéressent aussi très fortement à l’application de leurs droits commerciaux. C’est donc quelque chose qu’ils souhaitent eux aussi. Je pense que les États-Unis devraient accepter d’entamer des discussions. »

Ces discussions seraient politiquement difficiles, bien sûr, surtout compte tenu du climat politique actuel entourant les questions frontalières aux États-Unis, et on pourrait s’attendre à ce que les États frontaliers repoussent de telles discussions s’ils craignent la concurrence autochtone dans le commerce local.

« En fait, l’expansion du commerce transfrontalier des Premières Nations ne ferait qu’apporter plus de prospérité aux collectivités dans lesquelles elles exercent leurs activités, exlique-t-t-elle. Les communautés amérindiennes de l’Oklahoma, par exemple, sont économiquement autonomes. »

« Bien sûr, des arguments pourraient être avancés au sujet de la concurrence déloyale, mais tout se résume à une vérité : le commerce est b