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Aborder de front les pertes et les dommages climatiques

Lors de la COP27, la communauté internationale a accepté de mettre en place un fonds international pour les pertes et les dommages. Le Canada doit toutefois développer son propre programme national d’assurance climatique.

debris after wildfires in BC

Lors de la COP27, les participants sont parvenus à un accord historique portant sur la création d’un fonds pour dédommager les nations vulnérables, victimes des catastrophes naturelles. Le Canada a joué un rôle important dans la réalisation de cet exploit longuement attendu.

Cet accord permettra aux pays développés, comme le Canada, qui font partie des plus importants émetteurs de gaz à effet de serre du monde, d’aider les pays en voie de développement qui ont peu contribué à la crise climatique à assumer les coûts des désastres liés aux changements climatiques, comme les tempêtes et les inondations. 

Bien que les discussions sur les dommages et les pertes aient occupé une place centrale lors de la COP27, les experts du droit constatent que cela ne fait pas encore partie du programme national. 

« Nous n’y prêtons aucune attention à quelque niveau que ce soit », soutient Temitope Onifade, chercheur pour l’Initiative canadienne de droit climatique et chargé de cours en droit climatique, en politique et en justice à la faculté de droit Peter A. Allard de l’Université de la Colombie-Britannique.

 

« Cela a toujours été perçu comme un problème réservé aux petites îles et aux pays en développement qui ont perdu des terres et des propriétés en raison de désastres naturels. Nous pensions que cela ne nous concernait pas. Nous commençons toutefois à assister à ce type de phénomènes au Canada. »

Bien que l’adaptation climatique soit principalement axée sur des répercussions probables, les pertes et les dommages concernent des événements qui ont déjà eu lieu et la manière de les traiter ou, plus précisément, d’en assumer les coûts engendrés. 

Rien que cette année, le Canada a connu l’ouragan et la tempête de vent les plus coûteux et, au cours des dernières années, les inondations et les feux de forêt les plus coûteux. Selon Me Onifade, plus ces événements météorologiques deviendront fréquents et intenses, plus les coûts associés représenteront un problème important. 

À l’heure actuelle, le principal mécanisme utilisé pour les pertes et les dommages est l’assurance, qu’il s’agisse de propriétés privées ou d’infrastructures publiques. Les compagnies d’assurance adaptent toutefois leurs modèles en prévision des pertes et des dommages anticipés afin de protéger leurs entreprises. 

« Les compagnies d’assurances souhaitent réaliser des profits, indique Me Onifade. Au fur et à mesure que les risques augmentent, elles vont exclure des types d’incidents de leurs polices d’assurance. En fait, cela se produit déjà. »

Il suffit de demander aux habitantes et habitants du Canada atlantique dont les maisons et les propriétés ont été détruites par l’ouragan Fiona qui a entraîné une onde record de tempête, un phénomène non couvert par les assurances. En effet, aux alentours de 2005, les inondations ont détrôné les incendies en tant que cause principale des versements de prestations parce que les municipalités permettaient toujours aux gens d’habiter des plaines inondables et d’y construire des propriétés. C’est à ce moment-là que les compagnies d’assurance ont commencé à exclure tous les types d’inondations terrestres de leurs couvertures.

Paul Kovacs, fondateur et directeur général de l’Institut de prévention des sinistres catastrophiques de l’Université Western, ne pense pas que la disponibilité de l’assurance sera réellement menacée au cours des 5, 10 ou 25 prochaines années. Le statu quo n’est toutefois pas nécessairement durable non plus étant donné que les paiements versés par les compagnies d’assurance en raison d’extrêmes climatiques ont doublé tous les cinq ou dix ans au cours des quarante dernières années. À l’heure actuelle, le secteur de l’assurance verse deux milliards de dollars par année en réclamations pour pertes catastrophiques au Canada. La recherche effectuée par l’Institut a découvert que ces paiements étaient versés pour des situations qui auraient généralement pu être évitées. 

« L’assurance est essentielle et un mécanisme particulièrement important qui assume les coûts associés à l’échec de s’adapter, affirme M. Kovacs. Si vous vous êtes adaptés, vous ne subirez pas ces pertes et ces dommages. » 

Par exemple, dans le Canada atlantique, cela signifie qu’il faut modifier les maisons existantes et s’assurer que les nouvelles constructions peuvent résister aux vents d’un ouragan de catégorie trois ou quatre. M. Kovacs fait remarquer qu’il y a 25 ans, la Floride a changé son code du bâtiment afin que les nouvelles constructions soient résistantes aux types d’ouragans qui surviennent dans cette région. Les maisons construites avant ce changement de réglementation sont celles qui ont été les plus touchées par les dommages sans précédent de l’ouragan Ian cet automne. 

M. Kovacs dit que le secteur de l’assurance doit jouer un rôle vital dans l’adaptation par l’entremise de ses mesures incitatives ou dissuasives et les signes qu’ils donnent pour encourager les gens à apporter les changements nécessaires à leurs maisons et à leurs propriétés pour les protéger des menaces climatiques.

Les particuliers ne devraient toutefois pas avoir à demander à des personnes comme lui comment devenir plus résilients. En effet, selon lui, les gouvernements doivent adopter des rôles préventifs et indiquer à la population les mesures qu’elle doit prendre pour éviter de futurs dommages. Il devrait également y avoir des incitatifs financiers pour le faire, ainsi que des mesures de soutien pour les personnes qui ne disposent pas des ressources nécessaires. 

Au bout du compte, il sera moins dispendieux pour les gouvernements d’aider la population à se préparer aux désastres naturels que de payer l’ensemble de la facture après qu’ils se sont produits. Si les maisons dans le Canada atlantique avaient été construites pour résister aux conséquences de Fiona cet automne, les coûts actuels de réparation et de recouvrement auraient été beaucoup moins élevés pour le gouvernement.

« Ce n’est pas comme si nous ne savions pas quoi faire, ajoute M. Kovacs. La science sait comment éviter les pertes et les dommages. Nous devons simplement nous engager à appliquer ces connaissances aux maisons existantes et aux nouvelles constructions. Nous pouvons faire mieux. »

Craig Stewart, vice-président, Changements climatiques et Enjeux fédéraux, du Bureau d’assurance du Canada, est également d’avis qu’une meilleure préparation est primordiale. En tant que coordonnateur d’Un Canada résistant au climat, une coalition de représentants du secteur de l’assurance, d’administrations municipales, d’organisations autochtones, d’ONG environnementales et d’organismes de recherche, il a fait partie des personnes qui ont insisté pour que le gouvernement fédéral construise un pays plus résilient face aux désastres en indiquant clairement le nombre de maisons qui seront protégées des inondations d’ici 2028, le nombre de communautés qui élaboreront des plans de lutte contre les feux de forêt ou la manière dont nous allons réduire le nombre d’hospitalisations causées par la chaleur extrême.

« Nous ne pouvons pas nous contenter de nous concentrer sur le recouvrement et le redressement financier. Investir dans la réduction des risques est critique. C’est pourquoi nous avons autant insisté sur l’inclusion d’objectifs liés à la réduction des risques dans la stratégie d’adaptation nationale. »

La stratégie et le plan d’action ont été publiés le 24 novembre. Ils définissent des objectifs transformationnels à long terme ainsi que des objectifs à moyen terme dans cinq systèmes clés qui affectent le quotidien de la population canadienne : la résilience aux catastrophes; la santé et le bien-être; la nature et la biodiversité; les infrastructures et l’économie et les travailleurs.

M. Stewart qualifie « de tout premier ordre sur le plan mondial » les objectifs clairs de réduction des risques et de cibles axées sur des résultats. En se concentrant sur la protection du climat à court terme, il est d’avis que les investissements proposés constituent « un préambule bienvenu sur les actions nécessaires à la réalisation de ces objectifs ».

Tout comme M. Kovacs, il pense que les compagnies d’assurance devraient intervenir et jouer un rôle plus important. À l’heure actuelle, l’assurance du secteur privé et les programmes gouvernementaux d’aide financière en cas de catastrophe (qui devraient être mieux coordonnés, selon lui) s’occupent des pertes et des dommages. Nous avons besoin d’un nouveau partenariat public-privé sous forme de programme national d’assurance climatique conçu pour réduire l’exposition des contribuables tout en protégeant ceux et celles qui sont sujets à des situations à risque élevé dans l’ensemble du pays.

« C’est la discussion qui a lieu entre les compagnies d’assurance et les gouvernements à l’heure actuelle », explique M. Stewart en faisant remarquer que cela commencera par un programme national d’assurance contre les inondations qui se développera ensuite pour inclure d’autres désastres naturels. Il s’attend à ce qu’un programme soit annoncé par le gouvernement fédéral au cours du printemps prochain.

Cependant, en plus des événements météorologiques extrêmes, nous devons tenir compte des pertes et des dommages à évolution lente, comme la fonte des glaces dans le Nord. Cela peut non seulement entraîner des pertes économiques en raison de la perte de moyens de subsistance, mais aussi engendrer des répercussions non économiques, comme la perte de cultures autochtones et de modes de vie traditionnels. 

« On ne peut pas vraiment compter sur une compagnie d’assurance pour ce genre de situation », ajoute Sara Seck, professeure agrégée et doyenne associée à la faculté de droit Schulich de l’Université Dalhousie et membre de l’Initiative canadienne de droit climatique. 

C’est pourquoi les gens se tournent vers les tribunaux. Il y a eu une flambée du nombre de procès liés au climat à l’échelle internationale au cours des dernières années, principalement axés sur les mesures d’atténuation, mais qui adoptent de plus en plus le prisme des droits de la personne. En septembre, le Comité des droits de l’homme des Nations unies a conclu que l’Australie avait violé les droits des Aborigènes du détroit de Torrès en ne les protégeant pas adéquatement des conséquences des changements climatiques. Plus précisément, les pertes de territoires, de cocotiers et de populations de poissons et d’oiseaux causées par des désastres climatiques ont porté atteinte à leurs droits de pratiquer leur culture et d’être exempts d’ingérence arbitraire dans leur vie privée, leur famille et leur foyer.

Le comité a déclaré que l’inaction du gouvernement dans la lutte contre les changements climatiques avait enfreint les droits de la personne énoncés dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (1966), un traité également ratifié par le Canada.

Entretemps, l’État en basse terre insulaire de Vanuatu fait appel à la Cour internationale de Justice afin de clarifier les obligations des gouvernements de protéger sa population et les autres populations. Cette campagne dispose désormais du soutien d’au moins 86 pays.

Bien que ce type de litige n’ait pas encore eu lieu au Canada, ce n’est qu’une question de temps. Quant à savoir qui paiera pour les dommages, Me Seck estime qu’il faudra établir un lien entre le principe du pollueur-payeur et la réparation des torts. Toutefois, au Canada, nous avons tendance à ne pas établir le lien de cause à effet entre les émissions élevées et les dommages. 

« Nous devons réduire les émissions, car celles-ci sont nocives, dit-elle. Or, si nous tarifions les émissions et le carbone, nous devrions également envisager d’indemniser les personnes affectées par les répercussions à évolution lente ou par les températures extrêmes. » 

Même s’il est important de dissuader les gens de construire dans des régions vulnérables, les communautés de pêche des basses terres (comme la communauté de Port aux Basques qui a été ravagée par l’onde de tempête Fiona) résident sur ces terres depuis des générations.

« Nous ne pouvons pas blâmer la population d’habiter dans ces lieux, soutient Me Seck. Ce n’est pas de leur faute si ces lieux sont inassurables. Ils sont inassurables parce que les changements climatiques, et donc, les émissions, ont changé la nature du terrain. Pourrions-nous plutôt discuter des indemnisations qui devraient leur être versées par les émetteurs? »