Plus que l'intention
Des lois pour assurer la mise en oeuvre de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones ne suffiront pas. Il faudra un plan d'action.
En 2019, la Colombie-Britannique a été la première province à affirmer la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA) par une loi, la Declaration on the Rights of Indigenous Peoples Act (DRIPA). Puis, en décembre 2020, le gouvernement fédéral a déposé le projet de loi C-15, dans lequel il s’engage à créer un cadre pour la mise en œuvre de la DNUDPA. Aucun de ces deux gouvernements n’a toutefois encore produit de plan d’action.
Aucun domaine, en contexte de pandémie, n’est plus important à l’égard de cette Déclaration que celui de la santé – surtout si l’on considère le fait que la confiance des Autochtones envers notre système est plus faible que jamais.
La mort de Joyce Echaquan dans un hôpital du Québec, après qu’elle ait filmé des membres du personnel qui l’insultaient et la dénigraient, a incité les administrations canadiennes à redoubler d’efforts pour mettre fin aux préjugés systémiques et au racisme anti-autochtone dans les soins de santé.
« Le racisme n’est pas un accident », déclarait en octobre la ministre fédérale de la Santé, Patty Hajdu. « Le système n’est pas déréglé : c’est ainsi qu’il a été créé. Et ceux qui font partie du système sont encouragés à ne pas le changer. »
Ses remarques, qui faisaient suite à la tragédie, ont été formulées en marge d’une conférence pancanadienne d’urgence réunissant 400 représentants des gouvernements et des systèmes de santé afin de trouver les moyens de mettre fin aux préjugés systémiques et au racisme et de les inviter à s’engager publiquement d’ici le début de 2021.
La mort de Mme Echaquan n’est pas un incident isolé, comme l’a souligné la ministre Hajdu. En Colombie-Britannique, Mary Ellen Turpel-Lafond, avocate autochtone, juge et professeure de droit, a été chargée de rendre compte d’incidents présumés de racisme anti-autochtone dans le système de santé de la province. Son rapport, intitulé In Plain Sight et déposé en novembre 2020, donne la parole à des milliers de personnes qui ont été victimes ou témoins de préjugés systémiques et de racisme envers les Autochtones.
Parmi elles, une femme qui avait des haut-le-cœur après une chirurgie s’est fait dire par une infirmière qu’elle souffrait du sevrage « de tout cet alcool que vous et les vôtres buvez ». Un autre incident implique une mère qui avait appelé les services d’urgence après que sa fille épileptique de 11 ans ait eu une crise. Un médecin et plusieurs infirmières lui ont demandé à maintes reprises si son enfant avait consommé de la drogue ou de l’alcool. Il y a aussi l’histoire d’un homme qui, présumé ivre, a reçu son congé de l’hôpital et est rentré seul chez lui sans qu’on ait examiné la blessure qu’il avait à la tête. Il dit aujourd’hui qu’il évite à tout prix les hôpitaux : « Je ne m’y sens pas en sécurité, et je sens qu’ils ne se donneront pas la peine de me soigner. »
La DNUDPA énumère les droits fondamentaux des Autochtones, comme le droit à l’autodétermination, le droit de maintenir leurs institutions et le droit de ne pas subir d’assimilation forcée. Elle cite également le droit à la santé : « Les autochtones ont le droit, en toute égalité, de jouir du meilleur état possible de santé physique et mentale », peut-on lire au paragraphe 24(2). Les Autochtones ont également le droit, selon la DNUDPA, de conserver leurs pratiques médicales traditionnelles et devraient pouvoir exercer leurs droits sans aucune discrimination.
Rien de tout cela ne devrait être matière à controverse. Pourtant, les projets de loi visant à mettre en œuvre la DNUDPA conduisent souvent à des débats animés sur la manière dont nos gouvernements devraient lutter contre le racisme anti-autochtone. Comment pouvons-nous garantir un processus de décision partagée équitable pour tous? Quel type de financement devrions-nous prévoir – et d’où devrait-il provenir, compte tenu du fait que la santé est principalement de compétence provinciale alors que les affaires autochtones sont principalement de compétence fédérale?
Une prise de conscience nationale
D’après les spécialistes, il faudra plus qu’une déclaration des Nations Unies pour combattre de manière significative le racisme envers les Autochtones. « La question que je me pose par rapport à la DNUDPA, au projet de loi C-15 et à la DRIPA, c’est : qu’est-ce que ces lois nous apportent que le gouvernement ne pouvait pas déjà faire? », explique Sharon Singh, du cabinet Bennett Jones LLP en Colombie-Britannique, qui a coécrit une analyse détaillée de la DRIPA. Keith Bergner, du cabinet Lawson Lundell LLP, abonde dans le même sens au sujet du projet de loi C-15 et de ce qu’il pourrait signifier pour le Canada. Le projet de loi exige l’adoption d’un plan d’action comprenant des mesures pour combattre les préjugés et éliminer toute forme de violence et de discrimination. « Le gouvernement fédéral peut tout à fait formuler des mesures dans un plan d’action pour lutter contre le racisme anti-autochtone en général, dit Me Bergner, mais il pourrait tout aussi bien agir dès maintenant, sans adopter de loi ni exposer ses mesures dans un plan d’action. »
Me Turpel-Lafond, dont l’enquête a commencé peu de temps après que des histoires troublantes de racisme anti-autochtone ont été rapportées dans les médias, ne partage pas ce point de vue. Nombreux sont ceux qui considèrent que les incidents ont entraîné l’enquête, dit-elle. Mais « le changement structurel et systémique qui a permis de réaliser cette enquête efficacement, c’est la DRIPA ». La DNUDPA, ajoute-t-elle, apporte « une nouvelle perspective, comme si on mettait de nouvelles lunettes : on voit soudainement les choses différemment ».
Il y a notamment eu une coopération sans précédent de chacun dans le système de santé. « D’autres provinces me diront : “Nous aimerions examiner le racisme dans notre système”, et je leur répondrai qu’il leur faudra des outils, illustre-t-elle. Si vous n’avez pas ces outils, vos efforts risquent de finir en batailles judiciaires. Les médecins ne partageront pas leurs dossiers, les hôpitaux ne partageront pas les leurs. Vous n’aurez pas réuni les conditions nécessaires pour faire le travail s’il n’y a pas d’abord un changement fondamental de perspective. »
Me Singh convient que la DRIPA pourrait avoir pour effet de changer profondément les perspectives et la manière dont le gouvernement tente d’accorder ses actions avec son engagement à mettre en œuvre la DNUDPA. Mais elle craint que « si on ne lui donne pas plus de pouvoir, elle sera insuffisante ».
Un processus lent et difficile
Dans un article publié en janvier 2021 dans le Globe and Mail, Mary Ellen Turpel-Lafond affirme que les conclusions de son enquête ont été acceptées par le gouvernement provincial, qui « a entrepris de sérieux efforts pour combattre le racisme, améliorer la qualité des soins et l’accès au système de santé, et assurer la sécurisation culturelle des Autochtones ».
Le large consensus sur les droits énoncés dans la DNUDPA ne met toutefois pas fin au débat sur la manière de mettre en œuvre la Déclaration. Comme l’ont noté en 2019 Kevin O’Callaghan et Madison Grist, du cabinet Fasken à Vancouver, des questions demeurent sur la façon dont fonctionnera la prise de décision partagée – un point qui suscite aussi l’inquiétude du député et ancien conseiller en chef de la Nation Haisla Ellis Ross.
« Ce sera un processus lent et difficile », prévient Me Singh. « Nous devons reconnaître que le gouvernement a essayé de corriger la situation. Ça n’ira pas facilement, parce que les processus ne sont pas encore ancrés. Mais l’intention est là. »