Un accès à tous en toute égalité
L'heure est à la mise en place d’une politique inclusive qui améliorera de façon significative l’accessibilité universelle au Québec.
Chaque printemps, plusieurs reportages font état des multiples obstacles auxquels les personnes handicapées font face pour profiter, comme tout le monde, des terrasses et autres lieux de rassemblement qui font le plaisir des citadins en période estivale. Il est de monnaie courante que tel ou tel commerce s’avère inaccessible à de nombreux citoyens en raison de marches, de passages trop étroits pour les fauteuils roulants ou de toilettes qui ne sont pas adaptées à leur situation. Selon l’Enquête canadienne sur l’incapacité (ECI), quelque 16% des Québécois de plus de 15 ans vivent avec une incapacité.
“Le Québec s’est construit sans nous, pis c’est de même,” lance Linda Gauthier, présidente du RAPLIQ, un organisme de défense des droits des personnes en situation de handicap. Elle porte au quotidien ce combat depuis près de 10 ans. En entrevue, elle pose d’ailleurs un défi aux personnes qui n’ont pas de problème de mobilité : "Ne serait-ce que pour un mois, tous les établissements qui ne sont pas accessibles, les restaurants, les bars et les magasins, tu n’y vas plus. Tu verras, tu ne seras pas capable.”
Idem dans les camps de jour
Le mois dernier, le président de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) était en entrevue à Radio-Canada pour discuter d’un avis rendu par la Commission sur l’obligation d’accommodement raisonnable des camps de jour envers les enfants handicapés.
« L’inclusion scolaire, c’est une réalité pendant l’année scolaire, mais les enfants en situation de handicap ne disparaissent pas au mois de juillet et au mois d’aout, » indique son président, Me Philippe-André Tessier, au micro d’Annie Desrochers.
Plus du deux tiers des gestionnaires de camps de jour interrogés indiquent avoir constaté une hausse substantielle des inscriptions des enfants handicapés dans les camps de jours, au nombre d’environ 1400 au Québec. Or, la Commission identifie plusieurs enjeux qui freinent l’accès plein et entier de ces enfants aux mêmes expériences estivales que les autres : financement, évaluation des besoins des enfants, formation du personnel des camps de jour, et accessibilité des installations physiques. Qui plus est, la Commission déplore le fait qu’il soit impossible d’évaluer le nombre d’enfants handicapés inscrits dans un camp de jour au Québec, puisque cette donnée statistique n’est pas récoltée.
La Charte québécoise comme outil d’inclusion?
Au Québec, la Charte québécoise des droits et libertés de la personne établit le cadre juridique général quant à l’interdiction de discrimination pour les personnes handicapées. Mais ce cadre normatif n’évolue pas dans l’absolu; il a grandement bénéficié de l’expertise du Tribunal des droits de la personne qui a façonné le développement du droit en lien avec la Charte depuis sa création en 1990. Selon Mélanie Samson, professeure titulaire à la Faculté de droit de l’Université Laval, la jurisprudence du Tribunal des droits de la personne a fait école depuis sa création et ses positions adoptées ont eu une influence significative sur les décisions ensuite rendues par les tribunaux judiciaires, notamment sur la notion même de handicap au sens de la loi.
Pour aboutir dans la ligne de mire du Tribunal des droits de la personne, une plainte doit acheminée à la Commission, qui analyse les plaintes contre un organisme, une compagnie ou un promoteur qui ne respecterait pas les normes d’accessibilité universelle ou qui n’assurerait pas son obligation d’accommodement raisonnable.
En 2019-2020, ce sont quelque 35% des plaintes reçues par la Commission qui concernent une discrimination basée sur le handicap. La Commission peut aussi exercer une certaine discrétion dans les plaintes qu’elle décide de prendre en charge en assurant une représentation du plaignant devant le tribunal, particulièrement en matière de discrimination systémique.
Cependant, selon une étude réalisée par Lucie Lamarche, professeure de droit à l’UQÀM, en collaboration avec le RAPLIQ, en 2015, le Québec n’a pas une approche dite “proactive” quant à la mise en œuvre de l’accessibilité. La chercheuse soulève les exemples ontarien et américain en comparaison de l’approche québécoise.
L’exemple ontarien
La Loi sur l’accessibilité des personnes handicapées de l’Ontario est un texte législatif adopté en 2005 qui prévoit “l’élaboration, la mise en oeuvre et l’application de normes d’accessibilité en vue de réaliser l’accessibilité pour les personnes handicapées de l’Ontario en ce qui concerne les biens, les services, les installations, le logement, l’emploi, les bâtiments, les constructions et les locaux au plus tard le 1er janvier 2025”.
Pour la professeure Lamarche, la loi mise “sur la réalisation progressive de l’accessibilité universelle à partir d’un consensus déterminé par tous les acteurs réunis en tables sectorielles.” En d’autres termes, il ne s’agirait pas de traiter au cas par cas les questions d’accommodement raisonnable des personnes handicapées, mais d’impliquer le plus grand nombre d’acteurs de la société civile dans l’accomplissement de l’objectif d’accessibilité universelle, selon un horizon déterminé: l’année 2025.
Ce modèle semble absent en contexte québécois. À titre d’exemple, la CDPDJ a réalisé en 2015 une étude sur l’accessibilité des grandes chaînes au Québec. D’entrée de jeu, on y rapporte que l’ensemble des commerces visités, sans exceptions, comportaient des obstacles à l’accessibilité.
Suite au rapport, la CDPDJ a entrepris des démarches de sensibilisation auprès des chaînes. Parmi les actions entreprises par certaines d'entre elles, on note la mise en place de formations du personnel des commerces à l’accessibilité conformément... aux exigences prévues à la loi ontarienne, des exigences qui ne figurent pas parmi les normes du Code de construction québécois.
En somme, “les normes traitant de l’accessibilité au Québec ne sont pas élaborées dans l’objectif de permettre un accès à tous en toute égalité. La conception universelle, qui permet d’assurer des accès inclusifs, ne se retrouve pas explicitement dans la législation québécoise”, conclut la CDPDJ. Les normes minimales prévues au Code du bâtiment “ne touchent qu’une infime partie des personnes pour qui l’accessibilité est un enjeu majeur.”
Travailler en amont
Pour Sophie Lanctôt, directrice générale de la Société Logique, un organisme ayant pour mission de promouvoir le design universel, ce n’est pas nécessairement plus de réglementation qui doit être mise en place, mais un travail pour favoriser la prise de conscience à la base, chez les professionnels de l’urbanisme et de l’architecture. L’organisme accompagne, par son expertise-conseil en architecture et en aménagement, environ trente projets de construction par année. Il mise sur le travail en amont, en collaboration avec les concepteurs de projets, afin que la norme d’accessibilité universelle soit appliquée dès le début des travaux., De cette manière, l’usager est au centre de la démarche et chacun a la chance de fréquenter les lieux de la même façon, au même moment, avec un effort qui est acceptable de leur part.
“Pour un nouveau bâtiment, ça ne coûte pas plus cher dans la majorité des cas. C’est une question d’organisation des espaces. On l’a testé dans la situation de logements. (…) En jouant avec les espaces, on réussit à aller chercher la performance dont on a besoin, sans pied-carré additionnel,” indique Mme Lanctôt.
Fatigue
Selon Linda Gauthier, ce sont quelque 50% des édifices accessibles au public, qui ne le sont pas aux personnes en situation de handicap. Parmi ceux-ci, on retrouve notamment des cliniques et des commerces.
Pour Mme Gauthier, l’heure est à la mise en place d’une politique inclusive tous azimuts pour améliorer l’accessibilité universelle au Québec, à l’image de ce qui se fait en Ontario.
“Plus on avance, des fois, moins j’y crois. C’est sûr qu’on a des petites victoires, mais on avance à pas de tortue dans tout ça. Toute l’énergie que ça monopolise, c’est incroyable,” conclut-elle.
En collaboration avec Hubert Nunes, Félix Salvas-Hebert, Abelle Desrosiers, étudiants en droit.