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Une montagne de promesses

Pour faire pression sur le gouvernement en matière d'action climatique, nous avons besoin de règlements avec force exécutoire.

Prime minister Justin Trudeau at COP 26 in Glasgow
Photo autorisée sous Creative Commons par UK COP26

À la suite d’une pluie de discours, de déclarations et d’annonces faites à la COP26 de Glasgow le mois dernier, le Canada est revenu du sommet mondial sur le climat avec une longue liste d’engagements, notamment l’adoption d’une taxe mondiale sur le carbone, l’imposition d’un plafond aux émissions du secteur pétrolier et gazier, la réduction des émissions de méthane, l’élimination du financement public de projets internationaux de combustibles fossiles et une déclaration visant à freiner et à renverser la déforestation.

Toutefois, puisqu’il n’y a rien dans le processus de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, ou dans le droit international, qui rend la prise de mesures obligatoire, jusqu’à quel point ces promesses sont-elles juridiquement exécutoires?

« La réponse courte est que ni la déclaration de Glasgow ni les accords secondaires ne sont juridiquement contraignants », déclare Dianne Saxe, avocate en environnement chez Saxe Facts et ancienne commissaire à l’environnement de l’Ontario. « Il n’y a aucune conséquence officielle si rien n’est fait. Il n’y a pas d’organisme d’exécution de la loi. Ce ne sont que des promesses que les nations se font mutuellement. »

Au fil des ans, selon Me Saxe, la plupart des promesses faites lors de négociations mondiales sur le climat ont été rompues. Les antécédents du Canada sont déplorables, ce que le chien de garde de l’environnement du pays a récemment reproché au gouvernement fédéral après la publication récente d’un rapport documentant trois décennies d’échec dans la transformation de discussions sur la réduction des émissions en mesures concrètes.

« Le Canada a déjà été un chef de file dans la lutte contre les changements climatiques. Toutefois, après une série d’occasions manquées, il est désormais le pays avec la pire performance de toutes les nations du G7 depuis l’adoption de l’historique Accord de Paris sur les changements climatiques en 2015, déclare Jerry DeMarco, commissaire à l’environnement et au développement durable, dans une déclaration aux médias. Nous ne pouvons pas continuer d’aller d’échec en échec. Nous devons prendre des mesures et obtenir des résultats. Il ne suffit pas d’établir d’autres cibles et d’autres plans. » Malgré tout, le commissaire DeMarco garde espoir que le Canada puisse briser sa série de « promesses non tenues ».

L’espoir est plus fragile chez Dianne Saxe. « Le [ministre de l’Environnement] Steven Guilbeault sait ce qui est en jeu et ce qui doit être fait, mais il est difficile d’être optimiste quant à la mise en œuvre de mesures par le gouvernement fédéral. »

Elle signale que le Canada a signé une déclaration à Glasgow pour freiner et renverser la perte forestière et la dégradation des terres d’ici 2030. Ce n’est pas la première promesse du genre que fait le Canada. Nous avons signé la déclaration de New York sur les forêts en 2014. Depuis, la déforestation a augmenté de 40 %.

Le Canada s’est également engagé à mettre fin aux subventions internationales pour les combustibles fossiles d’ici la fin de 2022 et à appuyer la transition vers les énergies propres.

« Je pense que nous avons signé au moins quatre engagements internationaux à cet égard – trois qui stipulaient une suppression progressive, et un récent qui promet une réduction progressive – sans les tenir, affirme Me Saxe, qui est également chef adjointe du Parti vert de l’Ontario. Nous avons beaucoup d’expérience lorsque vient le temps de prendre des promesses que nous ne tenons pas. »

Une analyse de l’Agence internationale de l’énergie a révélé que les engagements de la COP26 pourraient maintenir le réchauffement climatique en dessous de deux degrés Celsius, ce qui est un des principaux objectifs de l’Accord de Paris, mais tout dépend de la façon de les mettre en œuvre. Selon les mesures que les pays ont annoncées, une augmentation anticipée de 2,6 °C est plus probable.

Alan Andrews, directeur du programme climatique d’Ecojustice, le plus grand organisme de bienfaisance canadien en droit de l’environnement, estime qu’avec l’état actuel de la géopolitique, de solides progrès ont été réalisés dans certains domaines importants lors de la COP26. Cependant, il trouve difficile d’être optimiste compte tenu de la projection de 2,6 °C et du fait qu’à son retour en Colombie-Britannique, la province était l’épicentre de la crise climatique, de vastes portions de la province se trouvant sous l’eau.

Il croit que des organismes comme Ecojustice ont un rôle essentiel à jouer pour forcer le gouvernement à respecter ses engagements. Idéalement, c’est par le biais de lois et de la réglementation qu’il serait amené à tenir ses promesses.

« Cela garantit que ces règles ne sont pas seulement créées et appuyées par un processus solide et démocratique, mais qu’elles ont force exécutoire en cas de non-respect », déclare Me Andrews.

« Nous espérons que le plus grand nombre possible de ces engagements sera pris par voie législative, et que les tribunaux seront vraiment un dernier recours. Nous voudrions aussi qu’avec un gouvernement qui prétend au moins vouloir prendre un rôle de leader dans le domaine des changements climatiques, que davantage de progrès soient réalisés par le biais du processus législatif, et non en vertu de décisions de tribunaux. »

Il souligne le travail accompli, y compris par Ecojustice, pour faire adopter le projet de loi C-12 plus tôt cette année, qui a mené à la création d’un cadre de responsabilité en matière de climat. Bien qu’elle ne soit pas aussi robuste que des lois de même nature d’autres pays, la Loi canadienne sur la responsabilité en matière de carboneutralité améliore la transparence et l’uniformité des mesures climatiques afin d’évaluer les efforts visant à atteindre les objectifs de réduction des émissions.

« Au moins, nous disposons maintenant d’une loi qui fixe des objectifs et d’un processus solide qui nous permet de tenir les gouvernements responsables », dit Me Andrews.

« Il est trop tôt pour dire si cela fonctionnera, car cette loi vient tout juste d’être adoptée. Néanmoins, nous espérons qu’elle contraindra au moins le gouvernement à être un peu plus responsable et que des progrès seront accomplis pour atteindre les objectifs du Canada. »

Pour sa part, Me Saxe s’attend à ce que les efforts visant à mettre en œuvre plusieurs des engagements de la COP26 se règlent devant les tribunaux. 

« Le gouvernement fédéral a fait ces promesses au nom du Canada, mais son pouvoir est limité. De nombreuses mesures à prendre relèvent de la compétence des provinces. La plupart des émissions au Canada proviennent de l’Alberta et de l’Ontario. Ottawa sera vraiment gênée par les gouvernements de droite de ces provinces, qui semblent constamment vouloir accomplir précisément le contraire de ce qu’il faut faire. C’est d’ailleurs pourquoi nous nous retrouvons devant des litiges. »

Tout effort visant à réduire les émissions du secteur pétrolier et gazier se réglera sans aucun doute dans les cours, soutient-elle.

« Le premier ministre Kenney a lui-même pris position. Sa seule raison d’exister est d’attaquer le gouvernement fédéral et de défendre l’industrie pétrolière. Nous ne voyons aucun effort de sa part pour favoriser la transition dans sa province. »

Me Andrews affirme qu’il ne fait aucun doute que le gouvernement fédéral sera confronté à des difficultés considérables chaque fois qu’il tentera de limiter les émissions de ce secteur dans les provinces où les combustibles fossiles dominent.

« En fin de compte, cependant, il y a des limites à ce que ces provinces peuvent faire pour s’opposer aux mesures fédérales, croit-il. Le renvoi à la Cour suprême de l’affaire sur la tarification du carbone a au moins précisé que la fixation du prix du carbone relève du gouvernement fédéral. Le gouvernement fédéral peut utiliser d’autres recours juridiques qui relèvent de sa compétence. »

Dianne Saxe est d’avis que si le gouvernement Trudeau fait miroiter assez d’argent à Jason Kenney, celui-ci pourrait être ouvert aux négociations.

« Cependant, si le premier ministre ne le convainc pas avec nos deniers publics, sa seule autre option sera de tenter sa chance avec la réglementation. Il se retrouvera de nouveau devant les tribunaux parce que les arguments qui lui ont servi à justifier la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre ne sont pas les mêmes que ceux qu’il devra mettre de l’avant pour justifier la mise en œuvre d’un plafond sur les émissions des sables bitumineux s’il ne met pas de plafond sur autre chose. »

Alan Andrews affirme que c’est la raison pour laquelle la Loi sur la transition équitable, que le gouvernement a promise en 2019, mais qui n’a pas encore été déposée, est cruciale pour assurer une transition vers une économie à faible émission de carbone.

« Nous voulons que la transition, qui doit se faire rapidement, se produise sans entraîner des difficultés importantes pour les personnes des collectivités touchées, et que les avantages de la transition soient partagés partout au Canada. C’est d’une importance capitale. »

En fin de compte, cela pourrait servir à aplanir un peu ce qui sera une lutte ardue pour tenir au moins une des promesses qu’a prises le Canada lors de la COP26.