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L’enjeu du Canada face à la responsabilité climatique

Pour que les effets du projet de loi C-12 soient bien réels, Ottawa devra recevoir l’appui des provinces.

Parliament packed with courts and provincial legislatures

Le projet de loi fédéral sur la responsabilité en matière de carboneutralité expose la façon dont le gouvernement entend s’y prendre pour atteindre cet objectif d’ici 2050. Il a été chaleureusement accueilli en tant que véritable premier pas dans la lutte contre les changements climatiques. Or, même si ce projet de loi obligerait Ottawa à atteindre des cibles tous les cinq ans et à rendre des comptes à cet égard, un rouage important manque à l’appel : l’action provinciale.

Les compétences en matière d’environnement sont partagées entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux. La ligne qui les sépare est toutefois difficile à distinguer et souvent chaudement disputée. Le pays attend d’ailleurs que la Cour Suprême du Canada se prononce sur trois renvois concernant la tarification du carbone qui ont été entendus cet automne.

« La relation entre les compétences en matière d’émission de gaz à effet de serre du gouvernement fédéral et des gouvernements provinciaux, lesquelles se chevauchent et se complètent, fait en sorte qu’un tel projet de loi à une portée limitée, affirme David Wright, professeur à la faculté de droit de l’Université de Calgary. Bien que le gouvernement fédéral soit habilité à légiférer directement en ce qui concerne les centrales au charbon, les émissions d’échappement et les émissions de méthane, il n’a pas le pouvoir d’imposer des cibles de gaz à effet de serre aux provinces et territoires. »

Le professeur Wright est d’avis que même si la Cour Suprême se prononce en faveur d’Ottawa, il y a peu de chance qu’elle reconnaisse des pouvoirs aussi étendus.

« Ce dont nous avons réellement besoin, c’est d’un accord officiel — et non d’une simple entente ou d’un simple protocole d’entente avec les provinces — dans lequel elles s’engagent à respecter les cibles de carboneutralité à long terme », explique M. Wright.

Alan Andrews, directeur du programme sur le climat chez Ecojustice, considère que l’engagement des provinces est primordial afin d’éviter que se reproduisent les échecs qu’a essuyés le Canada en tentant d’atteindre ses objectifs climatiques. Il ajoute que Ecojustice réfléchit à la façon dont les lois sur la carboneutralité du Royaume-Uni et de la Nouvelle-Zélande pourraient être adaptées aux défis constitutionnels du Canada.

Selon lui, l’idéal serait de modifier le projet de loi afin de contraindre nos gouvernements à prendre part à des « dialogues épineux qui doivent avoir lieu ». Cependant, cette modification devrait être élaborée de sorte à « distinguer clairement les politiques climatiques et les données scientifiques. C’est la raison pour laquelle nous avons insisté sur l’importance de mettre en place un organisme consultatif d’experts indépendants; cela a contribué à dépolitiser la politique climatique au Royaume-Uni ».

Monsieur Andrews reconnaît que la politique climatique canadienne est bien plus politisée en raison de l’importance de l’industrie du pétrole et du gaz pour notre économie. Malgré cela, un organisme consultatif serait d’une aide précieuse afin d’expliquer les fondements scientifiques derrière les réductions d’émissions nécessaires pour que le Canada respecte ses obligations au terme de l’Accord de Paris, en plus de suggérer l’adoption de politiques permettant d’atteindre les cibles.

Dianne Saxe, ancienne Commissaire à l’environnement de l’Ontario, suggère au Canada de suivre le principe de la Climate Change Act du Royaume-Uni — recommandation par ailleurs formulée à l’Ontario dans son rapport de 2018.

Selon elle, « il existe deux éléments essentiels du fonctionnement du comité des changements climatiques qui facilitent son application; le premier étant que les budgets liés au carbone sont fixés 12 ans d’avance, ce qui permet au gouvernement en place de ne pas trop se mettre de pression ». Au fil du temps, un prochain gouvernement pourra toujours blâmer ses prédécesseurs pour les obligations qu’ils lui auront léguées.

« Le deuxième élément pour faciliter la tâche est qu’ils se greffent  un comité indépendant composé de spécialistes réputés qui sont tenus par la loi d’étudier rigoureusement les mesures possibles, explique Mme Saxe. L’objectif du comité est d’examiner ce qui peut être fait sur la période de cinq ans qu’ils étudient et d’élaborer des plans [de réduction] grâce à leurs excellents modèles informatisés ».

Ensuite, Dianne Saxe explique que le comité transmet son rapport au Parlement avant de passer au vote les cibles de la période visée. Ainsi, les législateurs savent que ces objectifs sont réalisables et non de simples vœux pieux.

Elle ajoute que le projet de loi C-12 pourrait s’inspirer du modèle britannique qui semble avoir fonctionné pendant 12 ans, malgré un changement de gouvernement.

Quant à lui, M. Andrews reconnaît l’ampleur du défi posé par la constitution canadienne de s’attaquer aux changements climatiques au moyen d’une approche descendante, mais affirme que l’idée au cœur de la responsabilité climatique est qu’il y ait avant tout suffisamment de transparence pour pousser le système politique à agir.

« La clé du succès réside dans la transparence quant à savoir quel ordre de gouvernement prendra telle ou telle mesure et ce qu’elle permettra de réaliser, explique-t-il. En plus de l’organisme consultatif, les dispositions sur la planification et la reddition de compte doivent être renforcées de façon à ce que les plans de réduction des émissions comprennent la totalité des mesures à prendre pour atteindre les cibles tous les cinq ans et, éventuellement, atteindre la carboneutralité d’ici 2050 ».

M. Wright rappelle que le Cadre pancanadien sur les changements climatiques a été assez difficile à élaborer lorsque la majorité des premiers ministres des provinces canadiennes étaient libéraux ou du NPD. Le paysage politique de nos jours étant très différent, un futur accord est plus susceptible de ressembler à l’accord européen de répartition des charges.

« En gros, il s’agit de distribuer équitablement les objectifs entre les différentes administrations, explique M. Wright. En théorie, ce n’est pas difficile, mais c’est justement ce qui rend la politique si complexe ».

Il ajoute qu’il faudrait commencer par une méthode raisonnée et appliquer les principes s’y rapportant, les traduisant ainsi par des objectifs quantitatifs de réduction d’émissions, ce qui ressemblerait à des limites d’émission de carbone pour chacune des provinces. Toutefois, la méthode pourrait aussi s’appliquer à des secteurs particuliers.

Un des avantages du projet de loi C-12 est que tout serait régi par une seule loi. Cela permettrait aux gens d’en prendre connaissance et de la comprendre, ce qui serait bénéfique pour les Canadiens, rassurerait les investisseurs, favoriserait la coopération internationale et renforcerait la confiance.

M. Wright recommande de modifier le projet de loi afin d’y inclure une disposition visant à assurer officiellement l’engagement du gouvernement fédéral à négocier et à dialoguer avec les provinces pour mettre au point une approche favorisant l’atteinte des cibles, ce qui cadrerait parfaitement avec l’esprit de la loi.

Le bureau du ministre de l’Environnement Jonathan Wilkinson n’a pas répondu à notre invitation à présenter des observations.