Aligner la lutte pour climat et le commerce
Est-ce possible de réconcilier l’action internationale contre les changements climatiques avec le droit commercial international ?
Comme pour bien des choses en droit, la réponse est « cela dépend ».
Pour certains, l'Organisation mondiale du commerce et l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) de 1947 font obstacle à la promotion de productions locales et nationales à faible émission de carbone. En effet, l'accord a pour but de réduire ou éliminer les barrières commerciales. Ses dispositions relatives au « traitement national » et au « traitement de la nation la plus favorisée » sont là pour garantir l’égalité de traitement entre les partenaires commerciaux.
Dans un article récent, Todd Tucker, directeur des études sur la gouvernance à l'Institut Roosevelt, a proposé de suspendre les traités commerciaux internationaux pendant une décennie. Il prône plutôt qu’on réorganise la circulation des marchandises en fonction d'un New Deal écologique mondial. Les pays qui atteindraient des objectifs de décarbonisation verraient l’imposition de droits de douane passer jusqu’à zéro. Ceux qui refusent verraient leurs droits de douane augmenter de manière considérable.
Pour d'autres, faire sauter tout le système est une mesure excessive et il est possible de lutter contre la crise climatique dans le schéma actuel.
« Concrètement, je ne pense pas qu'à ce stade la plupart des pays accepteraient une telle mesure », déclare John Boscariol, associé chez McCarthy Tétrault LLP. « Mais ces grandes idées sont importantes, car elles peuvent faire avancer les choses en générant des propositions plus modestes qui pourraient être mises en œuvre ».
Parmi elles ? Les ajustements fiscaux à la frontière visant le carbone.
L'Union européenne a récemment présenté un tel mécanisme d'ajustement dans le cadre du pacte vert pour l’Europe, qui imposerait des droits de douane sur les productions à forte intensité de carbone.
« C'est le genre de chose que nous pouvons mettre en œuvre assez rapidement », affirme Me Boscariol. Ainsi, on pourrait réorienter nos efforts vers une meilleure gestion des préoccupations environnementales sans nécessairement bouleverser pas le rôle joué par l'Organisation mondiale du commerce, dit-il.
Toujours est-il que la mesure pourrait être contestée devant l'OMC.
« L'UE devra la concevoir avec beaucoup de soin si elle veut la justifier d'abord au motif qu'il n'y a pas de discrimination; ou sinon qu'elle est justifiée en vertu de l'exception contenue dans le GATT de 1994 ».
La politique commerciale devra être « nécessaire pour protéger la vie ou la santé des personnes, des animaux ou des plantes », et ne pas être « appliquée d'une manière qui constituerait un moyen de discrimination arbitraire ou injustifiable ». Et elle devra éviter d’être considérée « une restriction déguisée au commerce international ».
Pour les juridictions retardataires en matière d'action climatique, cela pourrait les obliger à agir. Ou cela pourrait être carrément leur être préjudiciable. Mais ce n'est pas une raison pour ne pas aller de l'avant, déclare Laura Zizzo, cofondatrice et PDG de Mantle314, une société de conseil en matière de climat.
« La sauvegarde de notre espèce est plus importante que le respect du droit international traditionnel, dit-elle. Dans ce contexte-là, je trouve cela difficile que nous ne puissions pas avancer de bons arguments pour de nouvelles politiques qui seront nécessaires ».
« Nous sommes confrontés à une véritable crise et nous devons rapidement réduire les émissions. C'est ça, la crise. Au cours des dix prochaines années, il faudra décarboniser l’économie en profondeur pour avoir une chance d'atteindre les objectifs de l'accord de Paris. Nous devons simplement marteler cela ».
Selon Me Zizzo, il est vrai que ces politiques finissent par échouer devant l'OMC. Mais il faut les mettre à l’épreuve pour en retirer quelque chose de positif ».
« Nous avons des choix à faire sur le plan politique, même si nous ne sommes pas sûrs à 100 %. Nous ne pouvons pas attendre, affirme-t-elle. Il nous manque le temps qu’il faut pour formuler des politiques parfaites ».
Comme pour la plupart des choses, le problème se trouve dans les détails.
Mais pour inviter une contestation, cela prend un comportement protectionniste assez flagrant, déclare Lisa DeMarco, associée principale chez DeMarco Allan LLP, un cabinet d'avocats spécialisé dans le changement climatique et les énergies propres. « Il est certainement possible d’adopter une réglementation environnementale très progressiste, soutient-elle. Vous n'auriez pas vu cela inclus dans le pacte vert européen si c’était explicitement interdit ».
Bien qu'elle ne soit pas opposée à un ajustement fiscal aux frontières, Me DeMarco affirme que ce n’est pas une mince affaire. Elle favorise plutôt l'idée de responsabiliser le consommateur. On pourrait imposer une étiquette sur les produits importés et nationaux contenant des renseignements sur la teneur en carbone et si le produit a été produit dans une juridiction réglementée, et de manière socialement responsable et conforme manière conforme aux les droits de la personne.
« Cela va vraiment au cœur de ce que nous essayons de faire, dit-elle. Et lorsque c'est le consommateur qui fait cette distinction, il est plus difficile pour une partie de soutenir qu'il s'agit d'une barrière commerciale déguisée ».
On l’a déjà vu pour les produits forestiers avec la certification du Forest Stewardship Council (FSC), qui les identifie comme ayant été récoltés de façon responsable
« Le client a un grand pouvoir d'achat, surtout dans le cadre des marchés publics d’approvisionnement », dit Me DeMarco. « Il s'agit de leur propre politique. Il n'y a aucune raison pour que les gouvernements ne soient pas obligés de joindre le geste à la parole ».
De plus en plus, les gouvernements savent qu’ils doivent agir pour sauver le climat. Cette convergence d’idéaux communs peut être intégrée dans de grands accords commerciaux comme l’Accord commercial Canada-Europe et le partenariat transpacifique, affirme Me Boscariol.
« Cela pourrait desserrer les menottes. Et de tels accords peuvent servir de précédent pour les autres qui suivront. C'est souvent ainsi que les choses avancent ».
Mais selon Me Zizzo, le besoin est plus urgent que cela. « La crise de la COVID représente une occasion unique de prendre un nouveau départ, compte tenu surtout des dépenses consacrées à la relance de l’économie et nos besoins en infrastructures afin de renforcer notre résistance aux chocs climatiques ».
« Le Canada a une réelle opportunité de prendre la tête de ce mouvement, ajoute-t-elle. Nous sommes très respectés en ce qui concerne le droit international. Nous avons une certaine crédibilité dans ce domaine parce que nous avons du pétrole et du gaz. Donc, si nous faisons les choses d'une manière qui semble raisonnable, cela a beaucoup de poids sur le plan international ».
« Ce qu’il fut prévenir, c’est que le droit international serve de béquille pour mettre un frein à l'action ».