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Interdire la publicité relative aux combustibles fossiles

Un projet de loi d’initiative parlementaire visant à limiter les publicités trompeuses relatives aux combustibles fossiles aura à livrer une bataille ardue avant d’être adopté. Pourtant, l’ancienne ministre de l’Environnement et du Changement climatique au Canada trouve que c’est une bataille qui vaut la peine.

A marble in the forest

« Il faut bien commencer quelque part », dit Catherine McKenna, ministre au cabinet de Justin Trudeau de 2015 à 2021

« Nous devons vraiment traiter la question des changements climatiques sérieusement et garantir que les personnes reçoivent des faits et qu’elles ne soient pas induites en erreur, y compris sur les questions relatives aux effets des combustibles fossiles et de la crise climatique sur la santé. »

Présenté à la Chambre des communes par le député néo-démocrate Charlie Angus, le projet de loi C-372 propose de restreindre la publicité trompeuse relative aux combustibles fossiles comme l’a été fait pour les publicités de l’industrie du tabac dans les années 1990.

Au moment de déposer le projet de loi, M. Agnus a déclaré aux journalistes que la stratégie de « propagande » utilisée par l’industrie du pétrole et du gaz consiste à faire la promotion de ses produits comme étant des produits propres et faisant partie de la solution climatique.

« C’est comme si Benson & Hedges vous disent qu’ils peuvent aider à mettre fin au cancer du poumon. Les pétrolières se sont effectivement toujours appuyées sur les méthodes de retardement et de désinformation utilisées par les cigarettiers », ajoute-t-il.

Selon la Canadian Association of Physicians for the Environment, qui appuie le projet de loi, la combustion de combustibles fossiles est liée à environ 34 000 décès prématurés au Canada chaque année.

D’après Me McKenna, il est singulier que des projets de loi d’initiative parlementaire soient adoptés. Si celui-ci se concrétise, il ne fait aucun doute qu’il sera contesté, à l’instar de la Loi réglementant les produits du tabac, qui limitait toute forme de publicité pour le tabac lors de son adoption en 1989.

Dans sa décision de 1995 dans l’affaire RJR-Macdonald Inc. c. Canada, la Cour suprême a jugé que la loi constituait une limite déraisonnable de la liberté d’expression.

En 1997, le gouvernement fédéral a promulgué la Loi sur le tabac, visant à restreindre la publicité pour les cigarettes et à imposer l’impression d’imposantes mises en garde sur les paquets, dans le but de réduire le tabagisme et de répondre à la crise de santé publique.

La Cour suprême a décidé cette fois que la Loi constituait une limite raisonnable à la liberté d’expression, justifiable en vertu de l’article 1 de la Charte des droits et libertés.La juge en chef Beverley McLachlin a écrit pour la majorité que les dispositions clés de la Loi en matière de promotion n’étaient « rien de moins qu’une question de vie ou de mort pour les millions de personnes susceptibles d’être touchées ».

Elle a également critiqué les compagnies de tabac pour leur longue tradition de tromperie à l’égard du public.

« La forme d’expression en jeu — le droit d’inviter les consommateurs à faire une inférence erronée sur la salubrité d’un produit qui, selon la preuve, leur causera presque assurément du tort — a peu de valeur. »

Me McKenna dit qu’il existe de fortes similitudes entre l’impact sur le public du tabac et celui des combustibles fossiles.

Ce parallèle s’étend à la longue histoire de l’industrie des combustibles fossiles de tromper le public sur les méfaits de ses produits, tout comme l’a fait l’industrie du tabac.

« Nous savons qu’au cours des 40 à 50 dernières années, l’industrie pétrolière et gazière a dépensé des ressources considérables pour semer le doute sur le consensus scientifique concernant les méfaits des combustibles fossiles et leur contribution aux changements climatiques », rappelle Me McKenna.

« L’industrie a aussi investi considérablement de temps à minimiser le rôle des émissions sur l’accélération des changements climatiques. Ces deux secteurs avaient pour objectif de retarder les mesures nécessaires afin de protéger leurs bénéfices financiers. »

Simon Potter, juriste chez Simon Potter Inc. à Montréal, y voit d’autres similitudes. Selon lui, si ce projet de loi était adopté, ce serait un autre exemple de gouvernement pensant pouvoir résoudre un problème en faisant en sorte que les gens n’en parlent pas.

Ancien président de l’Association du Barreau canadien, Me Potter a représenté Imperial Tobacco dans sa contestation, en 2007, des lois fédérales sur la promotion du tabac.

Les plus grands cigarettiers du pays ont alors soutenu que la loi était si vague qu’elle pouvait être interprétée comme une interdiction totale de la publicité, ce qui constituait une violation de leur liberté d’expression.

Me Potter estime qu’il en va de même pour le projet de loi C-372. « Ce projet de loi a été rédigé de façon tellement grossière qu’il est tout à fait envisageable de le renverser. Toute la jurisprudence en matière d’expression, y compris la jurisprudence portant sur le tabac, nous amène à croire que toute loi qui ressemblerait de près ou de loin à ce projet de loi serait jugée excessive et nulle pour cause d’imprécision. »

Il ne pense pas non plus qu’elle satisferait au fardeau de la preuve en fonction de l’analyse prescrite dans Oakes.

En outre, Me Potter souligne que des lois existantes criminalisent déjà le fait de tromper sciemment le public, en citant la Loi fédérale sur la concurrence ainsi que les lois provinciales relatives à la protection des consommateurs.

Les groupes environnementaux se sont tournés vers la Loi sur la concurrence pour lutter contre l’industrie des combustibles fossiles. Le Bureau de la concurrence enquête actuellement sur une plainte visant à déterminer si l’Alliance nouvelles voies, un groupe de pétroliers et gaziers, a induit le public en erreur dans sa campagne publicitaire intitulée « Let’s clear the air » (mettons les choses au clair), qui promouvait son plan visant à réduire les émissions d’ici 2050.

Toutefois, selon Me McKenna, juriste spécialisée en droit de la concurrence, les pratiques de l’industrie dépassent la capacité du Bureau à les traiter au coup par coup.

« Ce ne sont pas un ou deux cas de publicité trompeuse. Il s’agit d’une industrie qui ment depuis des décennies sur le fait que les combustibles fossiles sont à l’origine des changements climatiques. C’est une tendance de l’industrie qui veut continuer à brûler ses produits pendant que les gens en paient le prix », explique-t-elle.

« Et maintenant, ils passent à une nouvelle phase où ils tentent de se présenter comme un élément de la solution climatique, alors qu’ils représentent en réalité une grande part du problème. »

Selon Me McKenna, l’écoblanchiment donne l’impression que l’on en fait davantage pour résoudre la crise climatique collectivement que ce n’est le cas. Entretemps les émissions d’augmentent sans cesse alors qu’elles devraient être réduites de moitié d’ici 2030.

En réponse aux allégations d’écoblanchiment, Lisa Baiton, directrice générale de l’Association canadienne des producteurs pétroliers, a déclaré au Toronto Star que « cette étiquette décourage les véritables solutions à la crise énergétique mondiale ».

Alors que la marge de manœuvre pour poser des actions en faveur du climat rétrécit, les efforts de l’industrie exercent un impact sur l’opinion publique. Me McKenna souligne que le pourcentage de personnes attribuant la crise climatique à l’activité humaine et à l’utilisation de combustibles fossiles diminu.

« C’est un problème, car nous devons prendre des mesures sérieuses pour lutter contre les changements climatiques, mais ces mesures dépendent de l’adhésion du public aux politiques publiques. »

Alors que certaines critiques ont tenté de présenter le projet de loi C-372 comme radical, d’autres ressorts ont déjà pris des mesures contre la publicité trompeuse.

En 2021, Amsterdam est devenue la première ville à interdire les publicités des entreprises de combustibles fossiles, suivie par la France en 2022, devenant ainsi le premier pays européen à le faire. En janvier, le Parlement européen a adopté une nouvelle mesure législative interdisant l’écoblanchiment par les entreprises et les fausses déclarations environnementales.

Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat a reconnu le rôle des entreprises dans l’échec de l’action climatique. Dans le cadre de la COP27, le Groupe d’experts de haut niveau des Nations unies sur les engagements d’émissions nettes nulles des entités non étatiques, présidé par Me McKenna, a publié un rapport appelant à établir un seuil de tolérance zéro envers l’écoblanchiment.

« Je pense que tout le monde au Canada est conscient que les combustibles fossiles contribuent aux changements climatiques », dit Me Potter, ajoutant que rien dans le projet de loi n’atténuera l’impact des phénomènes météorologiques extrêmes et des incendies de forêt.

Au lieu de chercher à adopter une « loi rassurante » qui ne ferait que créer une contestation fondée sur la Charte, ces efforts pourraient être mieux utilisés pour répondre à la crise climatique.

« Si le gouvernement décide de ce que nous pouvons entendre et dire pour éviter de perdre le soutien de l’opinion publique envers ses mesures, nous sommes dans un bien mauvais état. »