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La Cour suprême conclut que les cadres des casinos du Québec ne peuvent obtenir une accréditation de syndicat

L’affaire se heurte à une hypothèse fondamentale du droit du travail nord-américain, à savoir que les salariés et les cadres ont des intérêts différents, et des degrés d’autorité différents

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Malgré l’occasion qui se présentait de repenser la séparation entre les salariés et les cadres, qui est à la base du droit du travail nord-américain depuis l’adoption aux États-Unis de la Loi Wagner de 1935, la Cour suprême du Canada n’a pas laissé aux cadres de premier niveau des casinos la possibilité de se syndiquer en vertu du Code du travail du Québec, mais elle a précisé la méthode d’application de la norme de la décision correcte dans les décisions de droit administratif.

Dans une décision unanime rendue la semaine dernière, la Cour suprême a conclu que les cadres de premier niveau de quatre casinos du Québec, qui se sont organisés sous le nom d’Association des cadres de la Société des casinos du Québec, ne peuvent obtenir une accréditation de syndicat, mais que les droits d’association que garantit la Charte ne sont pas autrement touchés. L’aspect où la cour diverge d’opinion est dans la façon dont le critère à trois volets du test Dunmore s’applique. Les juges majoritaires estiment que le cadre établi dans la décision de 2001 relative à l’arrêt Dunmore s’applique dans tous les cas où des droits positifs et des droits négatifs sont en jeu, tandis que deux décisions concordantes distinctes statuent qu’il ne devrait s’appliquer qu’aux droits positifs.

L’affaire portait sur un conflit juridique entre l’Association des cadres de la Société des casinos du Québec et la Société des casinos du Québec. La question générale en litige consistait à savoir si les cadres de premier niveau des casinos pouvaient se syndiquer – plus précisément, si la disposition du Code du travail du Québec qui exclut tout le personnel de gestion de la définition juridique de « salarié » devait être considérée comme nulle et non avenue en ce qui concerne les cadres de premier niveau des casinos.

Le Tribunal administratif du travail du Québec avait initialement jugé que le Code du travail violait inconstitutionnellement la liberté syndicale de l’association. Cette décision a été infirmée par la Cour supérieure, qui affirmait que le tribunal n’avait pas établi l’existence d’une infraction. La Cour d’appel du Québec a rétabli la décision du tribunal, en désaccord avec le critère appliqué par la Cour supérieure. La Cour suprême a accueilli le pourvoi et infirmé la décision de la Cour d’appel, rétablissant ainsi la décision de la Cour supérieure.

« À mon avis, l’exclusion législative n’a pas pour objet d’entraver les droits associatifs des cadres », a écrit le juge Mahmud Jamal au nom des juges majoritaires. Il s’appuyait sur le libellé de la juge Suzanne Côté dans sa décision concordante sur le Code du travail du Québec, qui établissait une distinction entre les cadres et les salariés dans les organisations hiérarchiques afin « d’éviter de placer les cadres en situation de conflit d’intérêts entre leur rôle en tant que salariés dans les négociations collectives et leur rôle de représentants de l’employeur dans le cadre de leurs responsabilités professionnelles, et de faire en sorte que les employeurs aient confiance que les cadres représenteraient leurs intérêts, et ce, tout en protégeant les intérêts communs distincts des salariés ».

Le juge Jamal soulignait que l’absence d’accréditation n’empêchait pas l’association d’organiser ou de conclure un protocole d’entente sur la négociation avec l’employeur ni que l’impossibilité d’accéder au mécanisme spécialisé de résolution des différends ou de protection légale du droit de grève causait une entrave substantielle à la liberté d’association des membres.

« Le droit à une négociation collective véritable ne garantit pas l’accès à un modèle particulier de relations de travail », observe-t-il.

Christopher Deehy, associé chez Lapointe Rosenstein Marchand Melançon, S.E.N.C.R.L., à Montréal, affirme que la cour n’a pas examiné la façon dont les tribunaux inférieurs ont mal appliqué le critère dans cette décision.

« Ici, ils tentent de s’attaquer à l’exclusion des cadres, et le casino n’a pas vraiment tenu ses engagements, dit-il. C’est pourquoi ils ont cherché à obtenir une accréditation. Ils en sont venus à la conclusion qu’ils n’avaient pas d’autre choix, et ce que la Cour a dit, c’est que cela n’était pas le résultat de l’exclusion du Code du travail, mais du comportement du casino, de sorte que le critère n’est pas satisfait. »

Paul Daly, professeur de droit à l’Université d’Ottawa, soutient qu’il était aussi question de savoir la mesure dans laquelle un décideur expert doit faire montre de déférence lorsqu’il applique les dispositions contextuelles de la Charte à des situations factuelles particulières.

« La question, lorsqu’il y a une limitation de la liberté d’association, est de savoir s’il y a une ingérence importante dans les droits associatifs d’un groupe particulier d’individus, dit-il. On pourrait penser que le tribunal spécialisé est bien placé pour déterminer si l’ingérence est considérable au regard des faits d’un cas particulier. »

Il souligne que la Cour d’appel a accepté l’argument selon lequel, même si l’exclusion de ces cadres du processus de négociation collective était une question fondée sur la Charte concernant l’application de la liberté d’association, il y avait lieu d’appliquer une norme d’examen fondée sur la déférence.

Pour sa part, la Cour suprême n’a pas dit clairement s’il fallait faire montre de déférence lors de l’examen des conclusions de fait qui sont pertinentes pour répondre à une question de conformité à la Charte. Toutefois, en l’espèce, la Cour a posé la question et a conclu que toute application des principes constitutionnels aux faits constituait la norme de la décision correcte, souligne Me Daly.

« Le décideur doit faire les choses correctement. Ainsi, dans leur soi-disant pure détermination des faits, que je prends pour signifier les conclusions sur ce qui est arrivé à qui, quand, et comment, ils ont droit à la déférence, de sorte qu’un tribunal doit accepter ces faits tels qu’ils ont été exposés, à moins qu’il n’y ait une erreur flagrante de la part des décideurs », dit-il.

« Après cela, prendre ces faits comme acquis et déterminer s’il y a violation de la constitution est une question que doivent trancher correctement les tribunaux, qui donneront une réponse définitive. Cela a été implicite dans certaines affaires récentes de la Cour suprême. »

Me Daly souligne également que la décision dépend de la question de savoir si une personne qui demande la protection de la Charte le fait à titre de droit positif ou de droit négatif, ce qui a constitué un point de divergence entre les juges majoritaires et les décisions concordantes. Les juges majoritaires ont estimé que le critère s’appliquait, que l’on cherche à obtenir un droit positif ou un droit négatif, alors que les décisions concordantes donnent à penser que cela ne s’applique que dans un scénario de droit positif.

« Je ne sais pas à quel point la divergence était grande entre les juges majoritaires et les décisions concordantes, mais il appert qu’il y avait une différence », dit Me Daly.

« Les juges majoritaires n’étaient certainement pas favorables à une distinction générale entre les droits positifs et les droits négatifs, ont clairement laissé entendre qu’il y a des critères particuliers pour les affaires de liberté d’association et pour les tests de liberté d’expression, et qu’il n’y a pas de cadre général de droit positif contre droit négatif à appliquer. »

À cette fin, les juges majoritaires affirment que chaque droit inscrit dans la Charte est distinct et qu’il a ses propres critères et normes, et qu’il n’y a pas de cadre général qui devrait influencer la façon dont les tribunaux tranchent les affaires.

Me Deehy croit que les raisons pour lesquelles les cadres de premier niveau ne peuvent pas se syndiquer alors qu’ils ont un pouvoir très limité sont une question fascinante qui existe depuis des années, et fait remarquer qu’il y a eu quelques exceptions sous le régime du Code du travail du Québec en lien avec l’obtention d’une accréditation de syndicat.

« Je suis d’avis qu’il y a des éléments intéressants dans le jugement [de la Cour d’appel] qui remontent à la Loi Wagner et qui démontrent que l’exclusion des cadres n’est pas aussi hermétique que ce que tout le monde pense, mais cela n’a pas fait l’objet d’un examen », dit-il.

« La question est toujours ouverte. »