Un peu de clarté, s’il vous plaît
Pitié pour les pauvres autorités de réglementation chargées d’encadrer une industrie d’actifs numériques de 900 milliards de dollars.
En raison du « crypto drame » qui perdure en 2022, plus récemment l’effondrement spectaculaire de la plateforme boursière de cryptomonnaies FTX basée aux Bahamas, le monde financier implore les organismes de réglementation d’« agir ». Les experts affirment que des règles plus strictes sont inévitables, non seulement pour les bourses, mais également pour d’autres aspects du monde des actifs numériques. Ces règles incluent la finance décentralisée (FiDé), les services financiers pair à pair effectuant des transactions sur des chaînes de blocs publiques.
« Beaucoup d’investisseurs vont probablement décider maintenant de rester à l’écart de cet espace jusqu’à ce qu’une réglementation très claire soit mise en place », déclare Rick Moscone, associé chez Fogler Rubinoff à Toronto.
Le problème tient au fait que personne ne sait exactement en quoi consisteront les réglementations en matière de FiDé et si de nouvelles lois sont nécessaires. Alors que certaines bourses de cryptomonnaies en Ontario sont désormais enregistrées, les projets de FiDé sont beaucoup plus difficiles à surveiller. En effet, ils ont moins d’acteurs centraux identifiables à superviser et ils s’intègrent moins facilement dans les systèmes juridiques actuels.
Dans l’ensemble, « il est parfois difficile de comprendre ce qui relève du périmètre juridictionnel de l’organisme de réglementation des valeurs mobilières et ce qui est en dehors de ce mandat », explique Ryan Clements, professeur de droit à l’Université de Calgary, qui écrit beaucoup sur la réglementation en matière de cryptographie. « Dans de nombreuses situations, la FiDé et la cryptographie peuvent nécessiter de nouvelles solutions législatives, car le produit, le service ou la fonction ne s’inscrivent pas dans un cadre réglementaire existant. »
Jusqu’à présent, les organismes de réglementation canadiens affirment que le cadre est adéquat. En utilisant la législation existante sur les valeurs mobilières pour les guider, ils maintiennent la position « même risque, même réglementation », bien que cela ne suffise pas selon certains. « Le problème réside dans le fait que dans de nombreuses applications de FiDé, nous avons une situation où il y a plus de risques et pas de réglementation », explique le professeur Clements.
La FiDé est un système bancaire parallèle qui utilise des registres distribués, des jetons et des contrats intelligents pour reproduire le système centralisé existant de prêt, d’emprunt et de négociation. En théorie, la FiDé permet aux particuliers de participer directement au marché, supprimant ainsi les infrastructures tierces coûteuses. Contrairement aux éléments centralisés de l’univers crypto comme FTX, qui fournissait des solutions de garde, les « clients » de la FiDé se connectent avec des protocoles automatisés utilisant l’autogarde.
Les partisans de cette technologie espèrent que la FiDé puisse transformer le système financier et déclencher une vague d’augmentation de la productivité.
À l’heure actuelle, les projets de FiDé, qui englobent les prêteurs, les cryptobourses décentralisées et les plateformes génératrices d’intérêts, résistent presque entièrement à la réglementation, de sorte qu’ils sont risqués à la fois pour les individus et l’économie au sens large. Les investisseurs et les organismes de réglementation ont peu de visibilité en matière de santé des bilans et de vulnérabilité des codes sous-jacents. Cependant, il existe des remèdes que les décideurs politiques peuvent explorer. Ceux-ci pourraient inclure l’inspection des codes de FiDé avant leur publication et une plus grande supervision par l’entremise de chaînes de blocs lorsque les projets sont en cours. Cibler les points d’entrée dans les écosystèmes de FiDé (c’est-à-dire les bourses plus réglementées) est également une option.
Comme le montre la récente implosion cryptographique, l’autorégulation de cet espace ne fonctionne pas. La suppression de tiers a exposé les investisseurs à une multitude de piratages, d’escroqueries et de faillites au cours des dernières années. Les pertes se comptent en milliards.
« Pourquoi avons-nous des réglementations depuis des centaines d’années? Parce qu’elles fonctionnent », souligne Rick Moscone associé chez Fogler Rubinoff. « Au fil du temps, les gens ont compris que [les risques] devaient être contenus. »
Il existe également de nombreuses preuves que les actifs numériques ont été utilisés pour faciliter la criminalité. Dès le début, il y a eu des problèmes de connaissance de la clientèle et de lutte contre le blanchiment d’argent (LBC). « La crypto est née dans un environnement libertaire où l’objectif était justement d’échapper à tout examen », explique Annie Lecompte, professeure à l’Université du Québec à Montréal. « C’est en partie la raison pour laquelle il est si difficile de la réglementer. »
Il sera difficile de créer un cadre fonctionnel pour la FiDé. Plus tôt cette année, l’Union européenne a délibérément exclu la FiDé dans son accord global pour réglementer l’industrie de la cryptomonnaie et les marchés des actifs cryptographiques (Markets in Crypto Assets ou MiCA). Cependant, elle a commandé une étude pour élaborer une « supervision intégrée » de la FiDé sur le réseau Ethereum. En théorie, cela pourrait permettre aux organismes de réglementation de surveiller automatiquement la conformité en lisant les données de la chaîne de blocs publique.
Malgré les récents revers, il est peu probable que ce secteur disparaisse. La valeur des projets de FiDé qui est passée de 18 milliards de dollars en janvier 2021 à environ 250 milliards à la fin décembre 2021, était encore estimée à environ 60 milliards avant les derniers dégâts.
Certains doutent que les programmeurs de cryptographie acceptent la supervision compte tenu de leur mission principale : se débarrasser des tiers. « J’ai observé une bonne résistance à cet encadrement dans certaines parties de l’écosystème de finance décentralisée », a ajouté le professeur Clements.
Il pourrait également y avoir un recul d’autres milieux : les décideurs politiques qui envisagent la cryptographie pour la croissance. En effet, les organismes de réglementation du monde entier se sont vu confier une tâche apparemment impossible : protéger le public et les marchés de capitaux des effondrements des chaînes de blocs, mais éviter d’étouffer l’environnement pour les innovateurs.
Au Canada, les organismes de réglementation subissent la pression de certains politiciens qui espèrent que le pays deviendra un chef de file dans la technologie des chaînes de blocs. Ils ont réclamé une réglementation légère, bien que le fait qu’ils maintiennent cette position compte tenu de la récente déroute ne soit pas clairement établi. La crypto s’est souvent réinventée – à la manière de Lazare – à la suite de crises.
Ce mois-ci, la cryptomonnaie a plongé d’environ 20 % à la suite de l’implosion de FTX – une plateforme boursière de cryptoactifs centralisée (et extraterritoriale) de premier plan, qui offrait une fonction de garde aux clients. Mais ce n’est que la toute dernière entreprise de cryptographie à s’effondrer. Cet été, Celsius, un prêteur de cryptomonnaies de plusieurs milliards de dollars, s’est effondré, laissant des milliers d’investisseurs à éponger les coûts. Cela s’est produit après l’implosion de la cryptomonnaie Terra Luna, faisant perdre 40 milliards de dollars aux investisseurs.
En raison de vents contraires économiques et de divers scandales cryptographiques, la cryptomonnaie et l’ether ont perdu environ les deux tiers de leur valeur en un an. Ethereum est la principale chaîne de blocs pour les protocoles de FiDé. Les principaux organismes de surveillance du monde, dont le Conseil de stabilité financière et le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire, nous ont mis en garde contre les risques systémiques des actifs numériques pour le monde réel.
Bien que la récente déroute puisse freiner l’enthousiasme pour tout ce qui concerne la cryptographie, il est impératif de se faire une idée précise au sujet de la réglementation, compte tenu de l’enthousiasme du public, en particulier des jeunes. Avant le récent plongeon, la CVMO estimait que 30 % des Canadiens prévoyaient d’acheter des actifs cryptographiques au cours de la prochaine année.
Bien qu’il y ait des sceptiques, beaucoup pensent que la technologie de chaîne de blocs finira par rendre les arrangements financiers plus efficaces et plus inclusifs, même s’il faudra du temps et de l’expérimentation pour trouver des solutions aux problèmes épineux d’aujourd’hui. Les problèmes concernent principalement la mise en œuvre de la technologie plutôt que les idées fondamentales, disent-ils.
« La chaîne de blocs est encore à un stade primaire », déclare Jeremy Clark, professeur à l’Institut d’ingénierie des systèmes d’information de l’université Concordia. « Pour prospérer, une chaîne de blocs doit inventer de nouvelles catégories de technologies plutôt que de s’appuyer sur la technologie existante. »
Dans tous les cas, une interdiction totale des applications de chaîne de blocs est probablement futile.
« Il faudrait effectivement interdire Internet », déclare le professeur Clements. « Cela créerait également un énorme défi en matière d’application de la loi et une réaction publique majeure étant donné le grand nombre de personnes intéressées par le secteur. »