La pandémie et les actions collectives
Les gouvernements provinciaux sont-ils protégés contre la responsabilité?
Les actions collectives fondées sur la façon dont les établissements de soins de longue durée et les maisons de soins infirmiers ont fait face à la COVID-19 pourraient ne pas suivre les mêmes règles dans les deux plus grandes provinces canadiennes qui ont été le plus touchées par la pandémie.
L’Ontario a déjà promulgué une loi pour se protéger contre les poursuites pour négligence suscitées par des mesures législatives ou de politique prises de bonne foi.
Il est également à la veille d’adopter un projet de loi qui modifierait la nature des actions collectives dans cette province.
Margaret Waddell, associée dans le cabinet Waddell Philips PC à Toronto, dit que la Loi de 2019 sur la responsabilité de la Couronne et les instances l'intéressant de l’Ontario va ériger un obstacle important au dépôt de poursuites contre le gouvernement pour le rôle qu’il assume dans la supervision des établissements de soins de longue durée. « Qui plus est, le gouvernement envisage aussi de mettre en place une loi particulière pour exempter les établissements de soins de longue durée, et lui-même, dois-je assumer, des poursuites fondées sur la manière dont ils ont traité les questions liées à la COVID », dit-elle.
Pendant ce temps, les modifications fondamentales de la Loi de 1992 sur les recours collectifs proposées dans le projet de loi 161, qui devrait passer le cap de la troisième lecture et obtenir la sanction royale incessamment, resserreraient les critères pour la certification des recours collectifs.
« Ils vont modifier le test pour la certification en ajoutant deux concepts tirés du droit américain appelés "supériorité et prédominance" », dit Me Waddell. « Vous devez prouver que le recours collectif est supérieur à tout autre mode de règlement du différend et aussi que les enjeux communs à tous l’emportent sur les enjeux particuliers à chacun; un test beaucoup plus difficile à satisfaire que le test actuel. »
Maints groupes veillant aux intérêts des demandeurs se sont opposés aux changements, indiquant même que ces modifications nuisent au domaine des soins de longue durée, dit Me Waddell. Le fait qu’un tribunal pourrait affirmer que les questions individuelles prédominent par rapport à la conclusion selon laquelle il existait un problème systémique dans un établissement donné, particulièrement dans le contexte de la co-morbidité et de problèmes liés au personnel manquant à l’appel entrent en jeu, est préoccupant.
« Un enjeu individuel dans le contexte d’un établissement de soins de longue durée est quelque chose comme la question de savoir quels ont été les effets de la négligence systémique sur la santé d’une personne », dit Alex Dimson, associé dans le cabinet Siskinds, cabinet qui ne participe actuellement à aucun des recours collectifs intentés contre ces établissements. « De façon générale, un tribunal devrait statuer sur la question de savoir s’il s’agit d’un enjeu individuel après avoir examiné les enjeux communs. Cela n’a jamais été un obstacle, mais pourrait bien en devenir un si le projet de loi 161 est promulgué. »
Maître Dimson cite la décision rendue par la Cour supérieure de l’Ontario en 2009 dans l’affaire Glover v. Toronto (City) (disponible uniquement en anglais) comme exemple d’un recours collectif comportant un foyer d’éclosion dans un établissement de soins de longue durée. Dans cette affaire, la Cour a reconnu l’existence d’enjeux individuels importants, mais eu égard à la vulnérabilité de la population des résidents, il était censé d’accorder la certification.
« Ce recours ayant été certifié avant le projet de loi 161, il me semble que le traitement de ce genre d’affaire pourrait se poursuivre », dit Me Dimson. « Dans certains cas, leur déroulement ne serait pas très différent de la manière dont progressent les affaires de responsabilité civile concernant un produit dans Iesquelles le tribunal examine les questions systémiques. »
Il est aussi possible, dit Me Waddell, que certains cabinets devront traiter des poursuites à l’encontre d’établissements de soins de longue durée comme des actions de masse, soit des demandes individuelles présentées au nom de divers résidents et de leurs familles. Cependant, elles n’engloberont pas tout le monde comme le ferait un recours collectif.
Selon Arthur Wechsler, qui en est associé directeur, le cabinet Kugler Kandestin LLP à Montréal représente des demandeurs dans une action collective contre la société qui gère un établissement de soins privés au Québec frappé de plein fouet par le virus en raison de la défection du personnel.
« Selon notre argument, vous avez un contrat de service, à savoir une entente écrite entre le résident et la résidence, qui dit qu’elle va prendre soin de vous, et qu’elle va avoir une obligation », dit Me Wechsler. « Nous avons intenté les poursuites au nom de l’ensemble des résidents et de leurs familles. »
L’action collective ne vise pas encore le gouvernement du Québec et son réseau d’hôpitaux, dit-il, même s’ils ont fait l’objet d’autres poursuites. Les demandeurs attendent de recevoir les preuves qui illustreraient la participation du gouvernement dans la gestion de ces établissements avant qu’ils ne soient placés sous tutelle.
« Nous essayons de ne pas nous éparpiller dans toutes les directions avec ce dossier », dit Me Wechsler. « Nous avons essayé de nous démarquer en plaidant l’abandon; en disant que le personnel a abandonné son poste et laissé les personnes les plus vulnérables dans une situation horrible jusqu’à ce que le gouvernement prenne les rênes à un moment où les dommages avaient déjà été causés. Si le gouvernement est ultérieurement déclaré responsable, nous envisagerons de modifier notre action et de l’y ajouter. »
Maître Wechsler dit que les enquêtes réalisées par le gouvernement, la police et le médecin légiste du Québec peuvent aider dans cette affaire en indiquant là où peut se trouver la preuve.
« Notre dossier ne se résume pas à la pandémie de COVID », dit Me Wechsler. « Notre dossier est un cas d’abandon qui a été exacerbé par la situation créée par la COVID. Nos poursuites sont fondées sur le contrat et sur le défaut de respecter des engagements pris envers ces personnes âgées. »