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Essai-erreur

Les nouvelles règles de divulgation dans les dossiers d’agression sexuelle confrontées à des obstacles constitutionnels

Lady justice
iStock

Les enfants qui ont lu To Kill a Mockingbird (« Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur ») à l'école ne sont pas tous devenus avocats, mais certains se souviennent sans doute du conseil de Harper Lee : en contre-interrogatoire, n’allez jamais, jamais, jamais poser une question au témoin dont vous ne connaissez pas déjà la réponse…

Et si le témoin savait déjà la question que vous allez lui poser?

Le mois dernier, un juge d’une cour provinciale de la Saskatchewan a statué dans un dossier d’agression sexuelle que certains pans de la réforme des procès en matière d’agression sexuelle du gouvernement fédéral, introduite dans le projet de loi C-51, sont inconstitutionnels parce qu’elles minent le droit de l’accusé à un procès équitable.

Les articles qui ont retenu l’attention du juge Bruce Henning portent sur l’admissibilité de la preuve. Ils visent à empêcher l’avocat de la défense de produire des éléments de preuve de nature personnelle qui seraient susceptibles de perpétuer les « mythes » entourant les agressions sexuelles qui tournent trop souvent les procès en une épreuve terrifiante et humiliante pour les plaignants – l’historique sexuel, notamment.

Les articles 278.93 et 278.94 du Code criminel prévoient une audience présidée par un juge afin de déterminer l’admissibilité d’éléments de preuve de l’accusé. Le plaignant ne peut être contraint de témoigner, mais il peut y faire des représentations.

Le problème, a noté le juge Henning, est que ces audiences donnent au plaignant un préavis du type de preuve que la défense compte utiliser en contre-interrogatoire, et assez de temps pour s’y préparer en minimisant les incohérences et les omissions dans sa version des faits.

« Un tel changement de témoignage est possible et cette préoccupation est reflétée dans la pratique de longue date d’exclure les témoins d’un procès jusqu’après leur témoignage », a écrit le juge.

« Cela constitue une violation sérieuse de la possibilité de l’accusé de contre-interroger un plaignant afin de déterminer la vérité dans un procès. »

La décision a été rendue au niveau provincial, mais elle donne une bonne idée aux avocats de la forme que pourraient prendre les contestations constitutionnelles à l’égard du projet de loi C-51 devant la Cour suprême.

« Ces changements (en droit) permettent au plaignant de se préparer au contre-interrogatoire en ayant un avant-goût de la preuve de la défense », dit Lauren Shadley de Shadley Bien-Aimé à Montréal, et une dirigeante de la section de droit criminel de l’Association du Barreau canadien.

L’ombre de l’affaire Jian Ghomeshi plane sur ce débat sur la constitutionnalité de C-51. L’ancien animateur vedette de CBC a subi son procès en 2016 pour de multiples accusations d’agression sexuelle. Il était libre moins de deux mois plus tard – en grande partie grâce aux efforts déployés par son avocate pour miner la crédibilité des plaignantes en contre-interrogatoire.

« Évidemment, la perception partagée par tous est que ce projet de loi est né du dossier Ghomeshi », convient Jody Berkes de Berkes Law à Toronto.

« Dans notre système, un accusé dans un dossier criminel n’a pas à dire quoi que ce soit pour se défendre – il a le droit de garder le silence. Le contre-interrogatoire est un outil efficace uniquement si l’autre partie n’est pas alertée à l’avance des éléments incohérents. »

Me Berkes note qu’entre C-51 et C-75, qui a grandement limité la possibilité de tenir des enquêtes préliminaires, « le gouvernement fédéral change les règles qui gouvernent les affaires d’agression sexuelle. Ça finit par miner la présomption d’innocence ».

Son opinion ne fait pas l’unanimité. Rosel Kim, avocate au Women’s Legal Education and Action Fund (LEAF), estime que C-51 présente un bon équilibre entre le droit de l’accusé à une défense pleine et entière, et celui du plaignant à la « vie privée, la sécurité et l’égalité ».

« Les dossiers d'agression sexuelle diffèrent des autres procès criminels en ce que les plaignants sont souvent tenus de témoigner et d'être contre-interrogés sur des détails très personnels, privés et traumatisants », dit-elle.

« Les procès pour agression sexuelle ont également des conséquences plus graves pour les plaignants. Par exemple, si l'accusé est acquitté, le plaignant peut être qualifié de menteur et faire face à des conséquences sociales et à des poursuites coûteuses. Ces conséquences très réelles rendent cruciale l’équité envers le plaignant. »

Me Berkes craint pour sa part l’introduction dans les audiences sur l’admissibilité de la preuve d’un joueur avec une approche purement adversaire.

« La Couronne a un rôle à jouer pour veiller à ce que la défense bénéficie d'un procès équitable. Cela signifie parfois qu’elle consentira à l'admission d'éléments de preuve susceptibles de nuire à sa cause contre un accusé », dit-il.

« Il peut arriver que la Couronne reconnaisse l'admissibilité, mais que le plaignant s'y oppose. […] Cela risque fort de compromettre l'équité du procès pour l'accusé. »

« Vous avez confié au plaignant un rôle dans l'administration de la justice, ce qui est problématique », dit-il.

Me Shadley soutient que le projet de loi C-51 crée « une toute nouvelle catégorie de victimes », dotée de droits uniques.

« Je suis curieuse de voir comment (la Cour suprême) interprètera ces changements. »