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Le préjudice et la liberté d'expression

La Cour suprême du Canada entendra deux appels qui auront des conséquences importantes sur le recours à la loi anti-bâillon par les médias et le public.

Freedom of expression
iStock

Deux décisions qui seront débattues devant la Cour suprême du Canada pourraient avoir des répercussions importantes sur les organisations médiatiques et quiconque souhaite exprimer des commentaires d’intérêt public.

Au centre des deux appels de la Cour d’appel de l’Ontario et autorisés le mois dernier est l’étendue de la Loi sur la protection du droit à la participation aux affaires publiques, qui est entrée en vigueur en 2015. 

La loi a été adoptée suivant les recommandations d’un panel consultatif sur la nécessité de réduire le nombre de poursuites en justice visant à décourager la participation du public, appelées poursuites-bâillons, qui ont pour effet de faire taire les critiques en les menaçant de leur faire payer le coût d'une défense juridique. Les procès en diffamation, qui peuvent être difficiles à défendre, constituent un véhicule idéal pour de telles poursuites.

« La Cour suprême a la possibilité d'interpréter la nouvelle loi de manière à reconnaître l'importance de la liberté d'expression et à protéger la presse et d’autres contre les litiges, y compris les frais considérables liés aux litiges, qui menacent de les faire taire », explique l’avocate en droit de la diffamation et des médias Julia Lefebvre.

Aucun des deux dossiers n’implique directement d’organisation médiatique. Le premier, Platnick c. Bent, porte sur un recours en diffamation intenté par un médecin contre un avocat dans le cadre d’une affaire d’assurance. L’autre, 170464 Ontario Ltée. C. Pointes Protection, est un litige entre un développeur immobilier et un groupe de résidents de Sault-Ste-Marie opposés à un développement résidentiel.

Dans la plupart des cas, les compagnies médiatiques ont eu très peu recours aux lois anti-bâillons en Ontario. Selon Justin Safayeni, un avocat en litige au sein de la firme Stockwoods à Toronto, des deux douzaines de dossiers qui ont porté sur la loi en Ontario, seulement environ deux impliquent les médias.

Malgré tout, la capacité des défendeurs de présenter avec succès des requêtes pour contrer les poursuites-bâillons reste à démontrer.

« La loi à première vue semble être un outil puissant pour les défendeurs », a précisé Me Safayeni. « Mais lorsque les tribunaux ont décidé comment l’interpréter et l’appliquer, il devenait de plus en plus clair qu'il serait difficile d’avoir gain de cause dans le cadre de requêtes contre les poursuites-bâillons. »

Le langage de la loi, dit-il, se voulait simple. « Pour que cette loi soit efficace, elle doit avoir du mordant », souligne l’avocat. « Avec le langage utilisé dans la rédaction de la loi, cela suggère certainement qu'il y avait une intention pour qu'il y ait une barre assez haute avant que les demandeurs puissent poursuivre leurs actions en diffamation contre des accusés qui ont fait des déclarations d'intérêt public ».

Cependant, selon Me Safayeni et Me Lefevbre, les tribunaux débattent encore pour savoir comment protéger les individus et les organisations contre de fausses allégations de diffamation. Un des défis auxquels ils sont confrontés est que les requêtes sont présentées tôt dans le cadre des procédures. Il peut être difficile à ce stade de déterminer le bien-fondé du discours prétendument diffamatoire ou si la partie requérante a une défense valable.

« J'espère qu'il y aura un retour en arrière en faveur de ce que le langage de la loi soutient et exige », souligne Me Safayeni. Il espère que la Cour suprême reconnaîtra que le recours législatif doit être appliqué de manière rigoureuse pour être efficace. Cela signifie que les tribunaux « ont besoin d’être rassurés pour mettre fin au bon procès à un stade préliminaire », dit-il.

La question essentielle pour la Cour suprême sera de déterminer si l'approche adoptée par la Cour d'appel s'est trop éloignée de l'objectif de la loi.

La Cour d'appel de l'Ontario a également soulevé d'autres questions, notamment que « l'intérêt public » n'est pas défini dans la loi.

Cela est important, car pour déterminer le bien-fondé d'une requête contre une poursuite-bâillon, le tribunal doit soupeser le préjudice subi par le demandeur par rapport à la valeur de la liberté d'expression dans l'intérêt public. Pour Me Safayeni, cette exigence d'équilibre est une équation qui est unique à cette législation.

Pour le moment, il voit une tendance selon laquelle les tribunaux sont disposés à faire pencher la balance en faveur du demandeur, même lorsque l'expression serait hautement diffamatoire, mais sans preuve de dommages ou préjudice subi.