Passer au contenu

Gaz naturel liquéfié : une industrie au ralenti, mais vivante

Les promoteurs de projet qui veulent exporter doivent d’abord avoir des interactions constructives avec les Premières Nations. Cela implique la reconnaissance de systèmes juridiques distincts.

LNG tanker in port
iStock

En 2013, les libéraux de la Colombie-Britannique ont promis d’éponger la dette provinciale en construisant des terminaux de gaz naturel liquéfié (GNL) d’une valeur de 100 milliards de dollars. Un projet qui, en fin de compte, leur a filé entre les doigts, remarque Robin Junger, de McMillan LLP. L’industrie britanno-colombienne du gaz naturel liquéfié ne se développe peut-être pas autant que ce qu’espérait Christy Clark; malgré tout, Me Junger soutient que « l’annonce de sa mort est grandement exagérée ».

C’est ce qu’a conclu un groupe d’experts au sommet du droit de l’environnement, de l’énergie et des ressources tenu par l’ABC à Vancouver plus tôt ce mois-ci. Il y était question de l’expérience canadienne de mise en marché des ressources en GNL.

Il est rapidement devenu évident, pour ce groupe et d’autres, que les promoteurs et leurs équipes qui cherchent des sites d’extraction de GNL doivent d’abord tenir compte des répercussions environnementales de leurs activités et des droits et intérêts des Premières Nations.

Brad Wylynko, de Clayton UTZ (à Perth), était là pour parler du point de vue australien. Faisant remarquer que son pays cherchait à supplanter le Qatar à titre de premier exportateur mondial de GNL, il a présenté des études de cas réalisées en Australie-Occidentale. L’une d’elles portait sur le projet gazier Gorgon de Chevron, l’un des plus grands projets consacrés exclusivement à la production de GNL; il se situe sur l’île de Barrow, parc national abritant une flore et une faune uniques. L’agence de protection de l’environnement du pays avait d’abord rejeté le projet vu les risques pour les sites de reproduction des tortues à dos plat, a rapporté Me Wylynko, mais le gouvernement d’État a annulé cette décision, et Chevron a offert 60 millions de dollars australiens en mesures de protection.

Les travaux n’ont pas été chose simple, a-t-il ajouté, notamment parce que Chevron devait éviter d’introduire involontairement des rats, chats ou autres espèces non indigènes sur l’île. « Il a fallu mettre les navires ravitailleurs en quarantaine. On avait d’énormes pièces d’équipement bien emballées dans de la pellicule plastique. »

George Burke, du cabinet vancouvérois Burke, Dos Remedios, a parlé de la situation dans le nord de la Colombie-Britannique, et plus précisément d’un projet avorté de Petronas qui consistait à investir 36 milliards de dollars canadiens pour construire une installation de production de GNL sur l’île Lelu.

Le projet était problématique dès le début, a-t-il expliqué, précisant que la société malaisienne avait entrepris des négociations avec les Premières Nations locales et d’autres parties en novembre 2012 en indiquant qu’elle était prête à les écouter, mais qu’elle s’attendait à une décision d’investissement définitive avant la fin de 2013. Au terme de ses échanges avec l’ex-première ministre de la Colombie-Britannique Christy Clark et l’ex-premier ministre du Canada Stephen Harper, Petronas avait, selon Me Burke, « compris qu’elle avait obtenu son permis social d’exploitation ».

Les personnes alors présentes, dont des membres de la Première Nation Gitxsan et des représentants du ministère des Pêches et des Océans, étaient sidérées, soulignant entre autres que l’installation proposée serait située à l’embouchure de la rivière Skeena, un habitat vital pour le saumon. « Quelqu’un a demandé s’il existait pire endroit où construire un tel terminal sur la côte de la province », s’est rappelé Me Burke.

Les manifestations contre l’installation ont atteint leur apogée lors de l’occupation de l’île Lelu et ont mené à l’abandon du projet, mais la situation, a ajouté Me Burke, avait déjà suscité de l’animosité et ravivé des conflits internes entre bandes sur des questions de territoire.

« On a beau respecter les règles de l’art sur le plan juridique et technique, il faut examiner le contexte sous tous ses angles et vraiment comprendre la nature du consensus; sinon, on n’arrivera à rien. »

Cette idée a été approfondie lors d’une séance sur les partenariats avec les Autochtones donnée par Sunny LeBourdais, directrice de l’exploitation du groupe Qwelminte-Secwepemc G2G à Kamloops (Colombie-Britannique). D’après elle, les promoteurs ne peuvent avoir des interactions constructives avec les Premières Nations que s’ils reconnaissent et respectent la présence de deux systèmes juridiques distincts. « Ils doivent tenir compte de notre gouvernement et de notre savoir ancestral. Une simple “autochtonisation” ne suffit pas. »

Mme LeBourdais a pris comme exemples divers récits ancestraux pour expliquer qu’ils montrent clairement la voie à suivre dans la prise de décisions et la gestion des terres pour la nation, un peu comme les précédents jurisprudentiels occidentaux. Il est primordial de respecter cette tradition orale dans les négociations, a-t-elle soutenu, et les promoteurs qui arrivent avec un projet doivent faire preuve de l’humilité attendue d’un visiteur sur le territoire d’autrui.

Au sujet de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA) de 2007, Gib van Ert, du cabinet torontois Miller Thomson S.E.N.C.R.L., s.r.l., a souligné que ses répercussions sur le droit canadien demeuraient incertaines, bien que le gouvernement libéral ait formellement balayé l’objection du gouvernement précédent à son adoption en 2016. Le gouvernement néo-démocrate de la Colombie-Britannique, a-t-il précisé, a aussi promis de l’adopter.

Me van Ert a toutefois soulevé plusieurs facteurs à considérer, comme le fait qu’au Canada, la Couronne n’est pas source de droit, et que les modifications que l’on souhaite apporter au droit doivent passer par une modification constitutionnelle. Il peut aussi y avoir des complications si la DNUDPA entre en conflit avec des décisions prises en vertu de traités qui risquent de retirer aux Premières Nations des droits qu’elles veulent conserver. Si de nombreux tribunaux canadiens ont pris en compte la DNUDPA, a soutenu Me van Ert, il n’y a toujours pas eu d’arrêt de principe d’une cour d’appel.

On ne sait pas si le projet de loi C-262, qui vise à harmoniser la législation canadienne avec la DNUDPA et est actuellement en lecture au Parlement, deviendra loi, a ajouté Me van Ert. L’avocat a aussi précisé que le résultat de l’élection fédérale d’octobre pourrait retarder encore davantage le processus. « Je crois que la question avancera très lentement devant les tribunaux, et que les peuples autochtones s’impatienteront devant ce piétinement. »