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Comment mieux protéger les retraités en cas d’insolvabilité?

Cet automne, des retraités demanderont aux tribunaux de leur reconnaître une créance prioritaire sur les actifs restants de Sears Mais même s’ils gagnent, ils perdront au change

Stacks of coins

Attilio Malatesta a travaillé comme vendeur chez Sears Canada pendant plus de quatre décennies. Au début du mois d’août, l’annonce qu’il appréhendait est tombée : sa pension serait réduite de 800 dollars par mois.

« Qui va embaucher un gars de 73 ans? » dit-il. « Je ne peux rester debout que pendant quelques heures. Je souffre d'arthrite. »

Lorsque Sears a fait faillite au début de l’année, elle a laissé un régime de retraite en déficit actuariel de 260 millions de dollars, pour environ 18 000 anciens employés. Ce manque à gagner réduit considérablement les revenus des retraités, poussant nombre d’entre eux à retourner sur le marché du travail.

Cet automne, ces retraités demanderont aux tribunaux de leur reconnaître une créance prioritaire sur les actifs restants de la compagnie. Mais même s’ils gagnent, ils perdront au change : ces actifs ne peuvent couvrir qu’à peine plus de la moitié du manque à gagner.

Qui plus est, le cas des retraités a de bonnes chances de se heurter à un aspect fondamental du droit canadien en matière d’insolvabilité : lorsque le régime de retraite d’une société en faillite ne suffit pas à payer les pensions, les retraités se retrouvent généralement en queue de peloton par rapport à l’ensemble des créanciers.

« C’est compliqué », note Susan Philpott, spécialiste des régimes de retraite et de l’insolvabilité chez Goldblatt Partners LLP. Les 13 au 14 septembre, elle participe à un forum de l’ABC sur le droit de l’insolvabilité à Vancouver.

« Les fonds de pension, dans la mesure où ils sont financés, sont protégés des autres créanciers », note-t-elle. « Ce dont nous parlons, c’est la partie non financée du plan, le déficit – et comme on peut le voir, ce n’est garanti d’aucune manière. »

Au Canada, le droit fédéral de l’insolvabilité se décline en deux catégories : la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (LFI) et la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC). La LFI couvre principalement les faillites et la LACC traite de la restructuration d’entreprises lorsque la dette d’une entreprise dépasse 5 millions de dollars. Aucune de ces lois n'accorde de statut prioritaire aux « paiements spéciaux » requis pour maintenir un régime de retraite solide sur le plan actuariel. Lorsqu'une entreprise entame une procédure d'insolvabilité, cette somme est une créance non garantie, qui ne peut être payée qu'après que les créanciers garantis (comme les banques) et les créanciers prioritaires obtiennent leur dû – s'il reste quelque chose.

Certaines lois provinciales permettent la désignation de « fiducies réputées d’origine législative » afin de placer les fonds nécessaires pour soutenir des régimes de retraite à l’abri des procédures d’insolvabilité. En Ontario, par exemple, la loi provinciale accorde à un administrateur de pension un privilège sur des actifs couvrant le déficit du régime dans le cadre de telles procédures. Dans sa décision de 2013 dans l'affaire Sun Indalex Finance LLC c. United Syndicat des Métallos (Indalex), la Cour suprême du Canada a statué que ces fiducies couvraient l'intégralité du déficit d’un régime.

Mais ce que la loi provinciale donne, la loi fédérale peut reprendre. La Cour suprême a aussi statué dans la même affaire que les lois provinciales sur les pensions ne peuvent annuler le rang de priorité des créanciers établi par la loi fédérale. Des créanciers pourraient donc réclamer les actifs restants de la société avant les régimes de retraite sous-financés.

« Et on ne parle pas uniquement de prêteurs et des retraités », précise Kim Robertson de Lawson Lundell LLP, spécialiste de l’insolvabilité et la restructuration financière. Elle et sa collègue Vicki Tickle, de McMillan LLP, présideront le forum de septembre.

« Il y a tellement de parties prenantes, des salaires des employés aux détenteurs de privilèges, et la tarte ne peut qu’être découpée d’un certain nombre de manières. Vous cherchez donc à le faire de manière équitable. Mais “équitable” ne signifie pas toujours “égal”.»

Les retraités seront-ils dont toujours être les perdants dans une situation d’insolvabilité? Des tentatives ont été faites pour adopter une loi fédérale qui protégerait les régimes de retraite dans le cadre de procédures d'insolvabilité. Mais ces tentatives ont échoué, en partie parce que les politiciens se méfient de toute mesure qui réduirait les réclamations des prêteurs.

« Si les prêteurs ne savent pas s'ils vont être remboursés, ils seront beaucoup plus stricts par rapport au crédit », explique Me Tickle. « Cela pourrait signifier, pour de nombreuses entreprises, que l'échec surviendrait plus tôt qu’actuellement, avec les pertes d'emplois qui l'accompagnent. »

Il y a d'autres approches disponibles. Un plus grand nombre de gouvernements provinciaux pourraient s’inspirer de l’Ontario, qui garantit les premiers 1 500 dollars de pensions mensuelles pour les retraités dans les régimes à prestations définies. Le gouvernement fédéral pourrait aussi modifier la LFI et la LACC afin de reconnaître explicitement les fiducies réputées couvrant les régimes de retraite sous-financés. Par contre, cela semble peu probable, puisqu’un tel changement pourrait donner priorité aux régimes de retraite par rapport aux prêteurs.

Selon Me Philpott, l'approche la plus simple consisterait à placer les retraités au centre de la file d'attente dans la législation fédérale – pas aussi élevés que les banques, mais plus que, par exemple, les fournisseurs ou les propriétaires.

« Les fournisseurs et les autres sociétés à qui de l’argent est dû sont généralement bien mieux placés pour se remettre d’une perte, par le biais d’une assurance notamment », dit-elle. « Ce ne serait pas parfait, mais ce serait une amélioration. »

« Les retraités pourraient avoir une priorité limitée, plafonnée à un montant fixe », convient Me Tickle. « N'oubliez pas que les retraités ne sont pas les seuls qui sont vulnérables, ajoute-t-elle. Sears avait un inventaire et cet inventaire provenait de ses fournisseurs, qui sont constamment repoussés dans la hiérarchie des procédures d’insolvabilité. Vous avez des propriétaires, qui sont parfois de petites exploitations familiales qui ne peuvent subir de chocs trop importants. »

En d’autres termes, la plupart des acteurs sont d’accord pour dire que les retraités mériteraient une meilleure protection en cas d’insolvabilité. Mais aller de l’avant exigerait de rééquilibrer les priorités – d’établir une nouvelle façon d’attribuer les parts du gâteau. C’est un débat politique.

« Nous n’avons pas les réponses. C’est pourquoi nous tenons ces panels », lance Me Robertson. « Qu’un jour ça puisse mener à une loi, nous n’y pouvons rien. Mais nous pouvons entamer la discussion. »