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Faut-il réglementer les honoraires de référence, ou les interdire?

En 2002, le Barreau du Haut-Canada a modifié son Code de déontologie pour permettre aux avocats de verser des honoraires de référence.

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Il voulait les encourager à renvoyer des dossiers à des confrères et consœurs plus aptes à servir les intérêts du client, réduisant ainsi le risque qu’ils acceptent un mandat de représentation dans une affaire qui dépasse leur compétence. Au bout du compte, tous y gagneraient : l’avocat renvoyant l’affaire serait payé, l’avocat recommandé aurait un nouveau client, et le client serait servi par un professionnel compétent.

Des conditions ont été mises en place pour prévenir les abus. C’était l’expertise de l’avocat recommandé qui devait motiver le renvoi. On ne pouvait verser de commission dans le cas d’un renvoi pour conflit d’intérêts. En outre, la commission devait être raisonnable et ne pas accroître les honoraires totaux facturés au client, lequel devait être au courant de l’entente et y consentir.

Lorsque la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada a élaboré son Code type de déontologie professionnelle, elle a adopté la règle ontarienne sur les commissions. Aujourd’hui, cette règle est appliquée dans toutes les provinces de common law du pays.

Or, dans les 15 dernières années, il est devenu évident que d’autres conditions s’imposent.

Les commissions ont graduellement augmenté, pour atteindre plus de 25 % des honoraires totaux. Elles étaient souvent disproportionnées à la valeur du service rendu. Ce gonflement incitait de plus en plus les avocats à renvoyer des affaires au plus offrant plutôt qu’à la personne la plus qualifiée.

La situation a atteint un point critique en 2016, lorsque le Toronto Star a révélé qu’un cabinet notoire spécialisé en préjudices corporels avait attiré des milliers de clients en menant une campagne de marketing agressive, puis renvoyé les dossiers à d’autres avocats en échange de généreuses commissions. Selon l’enquête, l’avocat agissant comme porte-parole du cabinet n’avait jamais plaidé de cause.

Cette année, le Barreau du Haut-Canada a modifié les règles : les commissions sont maintenant limitées à 15 % pour la première tranche de 50 000 $ d’honoraires et à 5 % pour les honoraires supérieurs à 50 000 $, jusqu’à concurrence de 25 000 $. Elles ne peuvent être versées que si le client et les juristes concernés concluent une entente prescrite par le Barreau qui confirme, entre autres, que l’avocat renvoyant l’affaire a fourni les coordonnées d’au moins deux avocats compétents en la matière et que le client comprend qu’il n’est pas tenu d’accepter le renvoi.

La nécessité d’une réglementation aussi stricte nous porte à revoir la question : devrait-on même permettre les honoraires de référence?

D’un côté, les torts que les commissions visent à prévenir font déjà l’objet d’autres règles déontologiques. L’avocat a le devoir de ne pas accepter de dossier qui dépasse sa compétence. Si un client le consulte au sujet d’une telle affaire, il doit refuser le mandat. Le respect d’une obligation professionnelle ne devrait pas dépendre d’un quelconque incitatif financier.

Les avocats ont la chance d’exercer, sur la prestation des services juridiques au Canada, un monopole autoréglementé. Mais ils sont aussi tenus d’aider le public à obtenir les services de juristes compétents. Sous cet angle, il semble déraisonnable qu’ils veuillent être payés en échange de leur aide.

D’un autre côté, les commissions facilitent le contact entre clients et avocats compétents. Les bons avocats ne savent pas toujours se vendre, et le public ne sait pas nécessairement où se diriger. Beaucoup de juristes et de clients comptent donc sur les renvois. Si les paiements versés pour ce précieux service sont raisonnables et conformes à la déontologie, les interdire pourrait revenir à s’ingérer dans le marché.

De surcroît, les associés de grands cabinets sont rémunérés pour le renvoi de dossiers à d’autres avocats de l’entreprise. Une interdiction risquerait de donner à ces cabinets un avantage injuste.

L’exercice du droit est à la fois une profession et un marché. Il incombe à nos organes de réglementation de résoudre tout conflit entre ces deux facettes. Le Barreau du Haut-Canada a bien fait de concilier les intérêts en cause et de reconnaître qu’une interdiction aurait peut-être été excessive, mais qu’il y avait quand même lieu de prendre des mesures ciblées pour protéger le public et l’intégrité de la profession.