La concurrence dans les industries émergentes
La Loi sur la concurrence est-elle bien adaptée aux changements du marché?
Dans un monde où l'une des rares constantes est le changement et son rythme impitoyable, les industries émergentes mènent la charge, avec le chaos et les perturbations qui les accompagnent.
Un argument devenu familier dans ce nouvel environnement est celui que ces industries, brillantes, nouvelles et différentes, devraient être réglementées différemment – ou pas du tout.
Mais pour Vicky Eatrides, sous-commissaires principale par intérim, Direction générale des cartels et des pratiques commerciales trompeuses au Bureau de la concurrence, ce n’est pas une question de savoir si les règles en matière de concurrence s’appliquent à l’intelligence artificielle, la chaîne de blocs, le cannabis ou l’« économie des applications mobiles ».
« C’est clair [qu’elles s’appliquent] », a-t-elle tranché lors d’un panel de la conférence d’automne sur le droit de la concurrence de l’Association du Barreau canadien à Ottawa en septembre.
Ian Disend, analyste senior des politiques au ministère canadien de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique, a noté que la question était davantage de savoir si la Loi sur la concurrence est bien adaptée aux changements du marché.
Mais « il est assez difficile de diluer la certitude voulant que le droit soit capable de faire face à un environnement changeant et de plus en plus numérique », a-t-il noté.
Un exemple? Le commerce électronique, qui a provoqué des changements importants sur le marché, possiblement les plus importants depuis plusieurs générations.
« En gros, le cadre est assez large pour fonctionner […], malgré une manière totalement différente de faire des affaires », note Me Disend.
Vicky Eatrides est du même avis. Après tout, peu importe l’industrie, ultimement le Bureau veut savoir s’il y a un risque que des obstacles, restrictions ou des comportements nuisent à la concurrence.
« Les réponses ne sont pas toujours tranchées, en particulier quand l’industrie est en émergence, mais ça fournit une manière bien structurée de réfléchir », dit-elle.
Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas de défis.
« Il y a beaucoup de questions plus larges et de nature plus pratique qui nous gardent éveillés la nuit parce qu’elles n’ont pas de réponses faciles », a confié Me Eatrides.
Dans le cas de l’IA, par exemple, qui est responsable si une entreprise utilise un robot pour adopter une conduite anticoncurrentielle?
« Ça fait partie d’un troisième panier de questions qui sortent de l’ordinaire et qui sont soulevées par la technologie », dit Me Eatrides.
« Compte tenu de la nature de ces industries, la vitesse est aussi un enjeu. »
Questionnée pour savoir si la bataille est perdue d’avance pour faire en sorte que le droit suive le rythme des changements technologiques, elle préfère parler de défi.
« Nous avons toujours dû nous adapter à de nouveaux marchés et produits, mais maintenant je crois que l’étendue des innovations et ce qu’elles impliquent sont plus larges que dans le passé », estime pour sa part Michael Kilby, un avocat en droit de la concurrence au sein de Stikeman Elliott à Toronto.
« Ça a mené à une sorte de réflexion, la question fondamentale étant […] : est-ce que ça change complètement notre approche ou est-ce quelque chose qui se fait graduellement et nous nous ajustons comme nous l’avons toujours fait dans le passé? Mon impression est que pour l’instant et à court terme, les choses vont continuer à être comme avant. »
Récemment, sa firme a travaillé avec un certain nombre d’entreprises dans le secteur du cannabis en vue de la légalisation du 17 octobre et il a trouvé que le cadre législatif était bien adapté.
Debbie Salzberger, du bureau torontois de McCarthy Tétrault, souligne que si le cannabis n’est pas particulièrement nouveau d’un point de vue analytique, d’autres industries émergentes présentent plus de failles et d’enjeux.
Elle donne l’exemple des parts de marché, une dimension problématique puisque plusieurs des moyens traditionnels de les mesurer ne s’appliquent pas dans l’économie numérique.
« Malgré tout, je ne crois pas avoir présenté une soumission au Bureau en 20 ans où il n’y avait pas de référence aux parts de marché », dit l’avocate.
Elle croit qu’il y a un réflexe qui fait en sorte que si l’information n’est pas présente, des doutes s’installent quant aux raisons de son absence.
« Dans ces secteurs, il peut y avoir de la place, peut-être pas pour tout repenser, mais au moins pour des améliorations du système. »